Place à un ancien
décor de théâtre

C’est, cette fois-ci, au château de Fontainebleau que s’est rendue la « brigade » de Versailles pour monter le décor d’une place publique sur la scène du Théâtre impérial. Avec un défi de taille : parvenir à adapter ce décor, conçu au milieu du XIXe siècle pour le grand théâtre du château de Saint-Cloud1, aux dimensions du petit théâtre bellifontain.

Le décor de la place publique planté sur la scène du Théâtre impérial. © château de Fontainebleau / Serge Reby, 2021.

La brigade, ainsi que l’on appelle traditionnellement une équipe de machinistes, est venue de Versailles apporter son expertise pour replanter ce décor de répertoire permettant d’évoquer le cœur d’une ville. Colombages et pierre de taille, meneaux et baies géminées, motifs italianisant et nordiques forment les façades hétéroclites de ce tableau, adaptable aux histoires les plus variées. « Il a presque un petit air londonien, ce décor, lance Vincent Cochet, conservateur au château de Fontainebleau qui supervise l’opération, mais cela surtout se veut pittoresque, selon le goût de l’époque ».  Au lointain, un trait de lumière, sur un ciel orageux, accentue la blancheur d’un dôme qui ancre le panorama. L’ambiance est prometteuse. Encore faut-il qu’elle paraisse crédible.

Vincent Cochet, conservateur au château de Fontainebleau, participant à la mise en place des châssis du décor. © château de Fontainebleau / Serge Reby, 2021.

Décors à reconstituer

Comme tous ces décors anciens, aucune archive n’a laissé d’instructions sur leur plantation exacte. À peine quelques mentions, tracées au dos des châssis, donnent-elles des indices. La brigade se trouve ainsi face à un puzzle géant dont personne ne connaît le paysage final. Il n’y a plus qu’à tâtonner à partir de l’expérience acquise depuis quelques années sur le plateau du théâtre de la Reine, dans le domaine de Trianon. Les machinistes s’activent aux quatre coins de la scène. Trois d’entre eux devisent à l’orchestre pour apprécier la disposition des panneaux. D’autres, au niveau des cintres, commencent à installer les « bandes d’air » en guise de ciel. Les châssis ballottent, tant ils sont hauts et flexibles, et sont arrimés aux mâts par de savants tours de fils sous l’œil attentif de Raphaël Masson, conservateur au château de Versailles, qui dirige la brigade.

Ajustement de fils pour tenir un châssis. © château de Fontainebleau / Serge Reby, 2021.

Vincent et Raphaël se connaissent depuis longtemps, d’autant mieux depuis qu’ils se passionnent ensemble pour la valorisation de ces théâtres de Cour et de leur patrimoine. Les deux conservateurs n’hésitent pas d’ailleurs à mettre la main à la pâte, aidant les machinistes à manipuler les éléments du décor. Ils se font encore peur en se souvenant de la réouverture du Théâtre impérial, en juin 2019, lors de laquelle une représentation exceptionnelle avait été donnée devant le mécène, Président des Émirats Arabes Unis. « L’objectif était de lui montrer combien était important de faire fonctionner ce théâtre, qui venait d’être restauré à l’identique, dans les conditions de son époque. » Conservateurs et machinistes ont pris le pari risqué de procéder à un changement de décor « précipité », et non « à vue » :  quelques minutes seulement dans le noir pour passer de l’univers d’un salon luxueux à celui d’une forêt profonde ; beaucoup d’émotion et de rires qui restent palpables dans ce lieu qu’ils font revivre en le dotant de ses atours.

Détail du Théâtre impérial de Fontainebleau. @ château de Fontainebleau/Sophie Lloyd 2019.

La préciosité des théâtres de Cour

Tels des bijoux tellement précieux qu’ils ne peuvent être portés, ces théâtres de cour ont, dès leur conception, peu servi. Destinés à un usage très privé, réservés à des occasions exceptionnelles, ils sont restés, grâce à cela, quasiment intacts, en particulier celui de Fontainebleau. Commandé par Napoléon III à Hector Lefuel et inauguré en 1857, le Théâtre impérial a conservé toutes ses dispositions, jusqu’à ses moquettes fleuries, ses soieries plissées et ses fauteuils capitonnés. Il a également préservé un ensemble exceptionnel de décors dont certains éléments, hélas isolés, datent du XVIIIe siècle, du temps de l’ancienne Comédie, qui se trouvait dans l’aile de la Belle Cheminée (disparue dans un incendie en 1856). L’inventaire dressé en 1864, mentionne déjà le décor de la place publique que les machinistes sont entrain de monter.

Centre du décor de la Place publique. © château de Fontainebleau / Serge Reby, 2021.

À force de déplacer les châssis, les différentes parties du paysage commencent à se répondre. Des plans successifs se mettent en place suivant les deux points de fuite identifiés par la brigade. La perspective s’affine, et déjà une ruelle, entre deux maisons, s’amorce côté cour et se fait engageante. À l’issue d’un long conciliabule, le lointain est décalé d’une vingtaine de centimètres côté jardin : ça y est, les lignes se rejoignent, corniches, bords des balcons et appuis de fenêtre se succèdent de manière logique, et le décor prend sens ! Un apport de lumière supplémentaire fait ressortir les volumes. L’œil s’en satisfait pleinement, et l’esprit ne demande plus qu’à se laisser entraîner dans l’illusion…

Lucie Nicolas-Vullierme,
Rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1 Théâtre détruit sous le Second Empire.


À VOIR

Le château de Fontainebleau a dévoilé son décor de place publique dès sa réouverture, le 19 mai dernier.

Depuis la restauration de son Théâtre impérial, il a, en effet, choisi d’exposer chaque année, durant la belle saison, un décor parmi les 250 châssis et toiles du fonds conservés.

Pour le découvrir, rendez-vous sur le site du château de Fontainebleau.

 

 

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