400 ans :
espace-temps

Quatre cents ans, quatre hommages au Château pour fêter cet anniversaire : celui d’un architecte, celui d’un chef d’orchestre, celui d’un artiste plasticien  et celui d’un écrivain, tous liés,
d’une manière ou d’une autre, à ces lieux qui les fascinent.
Ici, Philippe Prost. 

© El Boton Rojo

L’automne dernier, il a gagné le concours pour l’aménagement de la Grande Écurie qui accueillera les activités et les formations proposées par le Campus Versailles. Au même moment, il recevait, au nom de son atelier AAPP, le Grand Prix national de l’architecture 2022, une consécration où a été valorisé son travail de continuité entre l’existant et la création, le patrimoine et l’architecture contemporaine, les savoir-faire et l’innovation, dans un profond respect pour la mémoire :

« Ce qu’il y a d’extraordinaire avec ce château, c’est l’unité qui s’en dégage alors qu’il est constitué de différentes parties édifiées au fil du temps. Si l’on ne connaît pas son histoire, on ne peut pas deviner cet emboîtement depuis la cour de Marbre, qui apparaît comme un joyau central, jusqu’aux ailes du Nord et du Midi, déployées de façon harmonieuse, parfaite. Or, personne n’a, au départ, imaginé et dessiné le plan actuel de ce monument magnifique dont la cohérence s’est instaurée à travers la pierre. Voici le résultat d’une longue maturation qui a naturellement écarté toute volonté de rupture, contrairement à ce qui se fait souvent aujourd’hui avec une architecture qui se donne à voir. Cette continuité relève d’une grammaire commune qui tient aux matériaux et à un répertoire de formes déclinées à l’infini. Ainsi, sans concertation aucune, le château s’est-il développé pour atteindre une taille gigantesque, selon le désir d’un roi à qui importait la force symbolique d’une telle architecture.

Le château de Versailles côté est, avec le début de l'aile du Midi, à gauche. © EPV / Thomas Garnier

Une démonstration de puissance qui nous dépasse, peut-être, aujourd’hui : le château ne serait-il pas trop grand pour nous ? Il est à l’échelle d’un territoire où il s’inscrit merveilleusement. C’est ce qui me touche le plus, ce rapport établi avec le paysage alentour par l’architecture, qui décuple ainsi l’effet du site. Les bâtiments sont comme installés sur une ligne horizontale, telle une falaise, avec un basculement entre le côté ville et le côté jardin. À la manière d’un Vauban, que j’ai beaucoup étudié, Le Nôtre a aménagé l’espace extérieur à tous les niveaux, en jouant sur les distances, les perspectives, l’eau, afin d’amplifier le lieu et, dans cette immense scénographie, on se sent partie prenante, envahi par un sentiment inouï de plénitude.
Dans un tel lieu, aussi ancien, une intervention ne peut être envisagée qu’inscrite dans le temps : la Grande Écurie, depuis sa construction en 1682, a connu plusieurs existences ; je suis chargé d’y introduire une nouvelle vie, à travers le projet du Campus Versailles, mais elle en accueillera d’autres que je ne verrai pas ; il ne s’agit que d’un moment, pour cet édifice, pas d’un aboutissement. Cela rend très humble et donne l’ambition de trouver le moyen de démolir le moins possible et de conserver tout ce qui peut l’être.

Vue de la Grande Ecurie dont l'aile droite abrite le Campus Versailles. © EPV / Thomas Garnier

Cette problématique, qui était propre aux Monuments historiques, est devenue aujourd’hui beaucoup plus globale dans le cadre des préoccupations d’ordre écologique et durable.
Était-ce prédestiné ? Élève à l’École d’architecture de Versailles, installée dans la Petite Écurie, mon premier souvenir du château se situe à la jonction entre la Vieille Aile et le pavillon Dufour. Je devais faire un relevé de cette liaison qui montre l’interruption, en 1820, de la construction, les pierres étant restées en attente selon une ligne irrégulière, comme une cicatrice. Je l’ai soigneusement dessinée, sans savoir que c’était justement la transformation de l’architecture, son inachèvement et son évolution dans le temps qui allaient être la source de tout mon travail.

Projet pour l'intérieur du Campus de Versailles. © KDSL – Visualisation Architecturale

Je vois les bâtiments comme des êtres humains qu’il ne faut pas trop bousculer au risque de les fragiliser. Comment intervenir avec force, mais délicatesse, tout en projetant les lieux dans notre époque, avec ses propres usages ? C’est ce qui m’a animé pour ce projet de réhabilitation de la Grande Écurie dont la nouvelle fonction – liée aux métiers traditionnels tout en visant à les décloisonner – fait écho à cette porosité, à cette mouvance de l’architecture. »

Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles


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