400 ans :
l’Âge des pierres

Le château de Versailles fête cette année ses quatre cents ans d’existence ! Depuis un premier devis de construction datant de septembre 1623,
ce sont quatre siècles de transformations et d’effervescence qu’évoque
le directeur du musée, Laurent Salomé, qui vient d’inaugurer la nouvelle galerie de l’Histoire du château.

La Construction du château de Versailles [détail], par Adam-Frans Van der Meulen, vers 1669, Londres, Royal Collection Trust. © Londres, UK, Royal Collection Trust /

Comment dire si un monument né il y a quatre cents ans est jeune ou vieux ? Où est l’échelle de référence ? Le temple de Louxor, avec ses lacunes béantes, est plus pimpant que bien des édifices du XXe siècle. À Versailles, l’impression de vigueur éternelle se mélange élégamment aux signes de décrépitude, dans un équilibre fragile et poignant. Si l’on pouvait ressentir, à l’aube du XXe siècle, un saisissement mélancolique en songeant à ce « Versailles, grand nom rouillé et doux, royal cimetière de feuillages1 », le château offre paradoxalement, cent ans plus tard, un visage plus rassurant, moins propice aux émois fin-de-siècle. Le temps n’agit pas sur Versailles comme sur les êtres vivants ; ou bien, c’est un être vivant d’un genre spécial, qui dispose de plusieurs vies, enchaîne les périodes de déclin et les résurrections, grâce à une anatomie réparable à l’infini. Son âme surtout traverse les âges et luit en toute circonstance. Les soins prodigués au château sont assez efficaces pour faire croire que le temps à Versailles est définitivement suspendu… mais mainte petite alerte se charge de rappeler que l’on ne débraie jamais totalement l’impitoyable roue dentée.

Margelle du mur de soutènement du bassin du Bain des nymphes, au nord des jardins du château. © EPV / Thomas Garnier

Comme un corps se renouvelle

Il suffit d’errer le long des margelles des bassins. Ici, le marbre est rongé et criblé de fissures, là il est lisse et sa couleur réjouit l’œil. Est-ce un morceau miraculeusement protégé des intempéries ou une pièce rapportée ? Hardouin-Mansart ou Marcel Lambert2 ? Ou plus récent peut-être… Il faut dépouiller bien des archives pour démêler l’écheveau des transformations qui n’ont jamais cessé depuis Louis XIV, des restaurations, des restitutions. De même à l’intérieur du château, la jeunesse éternelle se gagne à coups de scie. Le palimpseste des décors, la distribution des pièces perpétuellement modifiée, tout concourt finalement à l’étrange sensation d’une structure organique et vivante. Les panneaux de boiserie des galeries historiques de Louis-Philippe sont souvent faits de découpages de ceux du palais d’avant la Révolution. Si l’on pouvait les détacher, on trouverait au revers de superbes fragments de décors d’arabesques et de guirlandes de fleurs violemment tronçonnés, comme le montrent les éléments conservés en réserve, provenant des galeries qui ont été démontées par Pierre de Nolhac pour recréer des appartements.
Chaque partie de ce corps se renouvelle en permanence : la peau, le squelette… et que dire des viscères, des interminables tuyauteries du calorifère de Louis-Philippe qui chauffent encore une bonne partie du château ? Et du système nerveux, l’électricité, si récente (au point d’être encore absente de certaines sections importantes du musée, comme les attiques du Nord et du Midi) qui, pourtant, offre déjà une véritable collection d’équipements vétustes et pittoresques, à exterminer méthodiquement et sans délai ?

Le passage du temps

Les parquets de l’appartement de madame Du Barry tout juste restauré.  © EPV / Thomas Garnier

Une observation attentive des parquets du château est l’un des multiples moyens qui s’offrent au visiteur pour voyager dans le temps. Il en subsiste quelques-uns du XVIIe siècle, notamment dans les ailes des Ministres, beaucoup du XVIIIe siècle dans
les appartements intérieurs, de grandes surfaces du XIXe et naturellement de tout récents.
Le parquet n’est pas seulement, par le prestige de l’emblématique modèle « Versailles », un symbole de la splendeur du palais. Il est l’interface sensuelle entre lui et ses visiteurs, un épiderme que l’on touche (le seul en principe), que l’on parcourt, glissant doucement ou martelant selon les cas.
En échange, le parquet du château vous fera ressentir physiquement son immensité qui triomphera de vous et vous laissera les talons en compote. Mais quel plaisir d’éprouver sa souplesse ou sa dureté, sa brillance, sa tonalité, toute la palette des couleurs, de la patine brun profond que beaucoup ont tendance à préférer parce qu’elle suggère le passage du temps et le mariage de deux matériaux magiques, le bois et la cire d’abeille, jusqu’au badigeon « couleur de citron » rétabli dans les cabinets intérieurs de la Reine et chez madame Du Barry ! Ce fut l’un des grands combats de notre architecte en chef, ayant démontré qu’à la fin de l’Ancien Régime, on ne goûtait guère les vieux parquets foncés et irréguliers, mais plutôt les surfaces nettes, bien uniformes et lumineuses.

« Mais la meilleure cure de jouvence pour le palais réside dans chaque occasion de retrouver sa matière originale. »

Retrouver une matière d’origine

Le ballet du neuf et du vieux se joue aussi dans les textiles, les vitres, les plafonds peints… L’emploi des techniques anciennes miraculeusement transmises, en particulier dans le tissage, concourt à notre ambition assez folle d’abolir le temps. Mais la meilleure cure de jouvence pour le palais réside dans chaque occasion de retrouver sa matière originale : dégager les repeints du XIXe siècle sur les plafonds, comme au salon de la Paix où l’œuvre de Le Brun, pourtant très largement conservée, avait été presque entièrement recouverte ; faire revenir dans les appartements les objets authentiques, sièges de Jacob et lustres de Thomire qui, eux, sont des vieillards certifiés, avec date de naissance à l’appui. Du haut de leurs quelques siècles, ces survivants réveillent joyeusement la maison.

Laurent Salomé,
directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

1 Marcel Proust, Les Plaisirs et les jours, éd. Calmann-Lévy, 1896, p. 173.
2 Marcel Lambert (1847-1928) a été architecte en chef du domaine de Versailles et des Trianon de 1888 à 1912.


BIO EXPRESS D'UNE SILHOUETTE

15 septembre 1623 : contrat est passé pour la construction « d’une maison que Sa Majesté [Louis XIII] a commandé être faite pour son service sur la butte du moulin à vent, proche Versailles ».

28 juin 1624 : première nuit de Louis XIII dans son petit pavillon de chasse.

1631-1634 : le relais de chasse est quasiment détruit pour laisser place à une nouvelle demeure, plus grande, par l’architecte Philibert Le Roy.

1662-1668 : d’importants travaux sont lancés par Louis XIV qui fait élever deux nouvelles ailes, plus spacieuses, et, surtout, réaménager l’intérieur. Une première orangerie est bâtie par Louis Le Vau au niveau du parterre sud.

1668-1670 : le château est considérablement transformé par « l’enveloppe » de Le Vau autour du bâtiment primitif.

Le Versailles de Louis XIII [détail], par Jacques Gomboust, 1652, Paris, Bibliothèque nationale de France. © Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF) / Dist. RMN-Grand Palais / image BnF

1677-1689 : Jules Hardouin-Mansart crée les ailes des Ministres nord et sud, puis la Grande et la Petite Écurie et l’aile du Midi. Le château peut accueillir la Cour qui s’installe dès 1682, puis s’étend dans le Grand Commun (1684) et, enfin, dans l’aile du Nord (1689). En 1686, la terrasse à l’italienne reliant les appartements royaux côté jardin a disparu au profit d’une galerie intérieure, la galerie des Glaces, et une nouvelle orangerie a remplacé la première de Le Vau.

1699-1710 : au cœur du château, la chambre du Roi prend sa place définitive tandis qu’est élevée la cinquième et dernière chapelle.

1770-1774 : l’architecte Ange-Jacques Gabriel termine l’opéra juste à temps pour le mariage du dauphin avec Marie-Antoinette. Son « grand projet », qui vise à reprendre les façades côté cour, se limite à la reconstruction de l’aile du Gouvernement, au nord, désormais appelée « aile Gabriel » dont le pavillon avant sera dupliqué, côté sud, en 1820, fixant l’allure générale du château que l’on connaît aujourd’hui.

Vue du château de Versailles [détail], par Michel-François Damame-Demartrais, 1825-1827, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF) / Dist. RMN-Grand Palais / image BnF


À DÉCOUVRIR

La galerie de L’Histoire du château, au début du parcours de visite libre.

Accès et horaires


À ÉCOUTER

Le podcast de Versailles immortel :

Épisode 1 (1623-1721)
Épisode 2 (1722-1823)
Épisode 3 (1824-1923)
Épisode 4 (1924-2023)

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