Dans les pas
du parfumeur

Depuis l’âge de 24 ans, le destin de Francis Kurkdjian est étroitement lié à Versailles. De la danse au parfum, c’est un philtre puissant qui l’a conduit à travers fontaines et bosquets, jusqu’en Australie et à Shanghai, et, dans l’intimité du domaine de Trianon, à la pépinière de Châteauneuf.

Dans les jardins du Grand Trianon, vue des parterres inspirés, en 2020, de la végétation africaine et dont le Fonds de Dotation Francis Kurkdjian était le mécène. © EPV / Thomas Garnier

Un Roi-Soleil tout en or, à l’image de Louis XIV dansant les « Plaisirs de l’île enchantée »… Une photo sépia déjà – c’était en 1995 – comme un condensé des passions d’un jeune homme, « sûr d’avoir un destin », sans savoir que sa vie serait si souvent liée au château de Versailles. Francis Kurkdjian a alors 24 ans. Il semble hésiter encore un peu entre la danse et le parfum. Mais au fond de lui, avec cette lucidité venue de son enfance arménienne qui ne le quitte jamais, il sait – depuis qu’à 13 ans il a échoué au concours d’entrée à l’École de l’Opéra de Paris – qu’il ne sera pas danseur. « Si tu n’es pas bon, tu finis buisson », constate- t-il aujourd’hui. Quand il prend le rôle du « meilleur danseur du Royaume », peut-il alors imaginer que le parfum va lui inventer ce destin auquel il veut croire ?

Portrait de Francis Kurkdjian. © François Roelant.

À l’école des femmes

Il est entré à l’école de parfumerie de Versailles, qui offre à ceux qui n’ont pas grandi dans les jardins de Grasse la formation de leurs rêves. Son grand- père était tailleur pour hommes, sa mère cousait divinement, Francis Kurkdjian s’essayait à reconnaître les « sillages » que laissaient les femmes dans la rue. Avant de savoir que Christian Dior affirmait que le parfum était la « touche finale de l’allure », il estime que le parfum est un accessoire pour la mode, cet univers qui le fascine. Et puis il a adoré, adolescent, ce film Le Sauvage, dans lequel Yves Montand était un créateur de parfums à succès…

Danser dans les bosquets

En même temps, il continue de danser tous les jours. Trop vieux pour intégrer le Centre de musique baroque, il entre dans la Compagnie Versailles Soleil. Il est le seul garçon parmi cent cinquante filles. Il sera le « roi ». Dans un déluge de plumes, il danse tous les week-ends pour les Fêtes vénitiennes qui accompagnent alors les Grandes Eaux. Il sait tout des angoisses des fontainiers quand les jets débutent un peu trop tôt ou trop tard. Un jour, c’est une gondole qui tangue, et une perruque qui flotte sur le Grand Canal. Un autre, c’est le chariot royal qui manque prendre feu. On rit beaucoup pendant les fêtes de nuit, et le jour on révise ses cours dans les jardins.

Premiers parfums

Francis Kurkdjian tombe amoureux de ces bosquets, suit la progression des charmilles qu’on réhabilite, note l’odeur, obsédante parfois, de marécage qui trouble les fontaines. Insensiblement, c’est là sans doute que s’achève un rêve pour un autre. Il crée son premier parfum pour Jean-Paul Gaultier. Il a 25 ans. C’est un événement : « Le Male » va détrôner les plus grands, et Francis Kurkdjian devenir l’enfant chéri et turbulent, instinctif et savant de ce monde si particulier des parfums. En 2001, il crée son propre atelier et des parfums sur mesure comme au XVIIIe siècle. Versailles n’est jamais loin quand il reconstitue des formules dans sa cuisine. Le 6 janvier 2004 – jour de Noël en Arménie – il lance à Versailles sa première reconstitution, le parfum de Marie-Antoinette « Sillage de la Reine », un événement mondial.

Un oranger en fleur. © EPV / Christian Milet

Aux effluves de fleur d’oranger

Francis Kurkdjian enivre les jardins d’expériences éphémères. En 2006, le bassin de l’Orangerie se pare d’effluves de fleur d’oranger. En 2008, le bosquet de la Salle de bal scintille de bougies parfumées. En 2016, à Canberra, les Australiens découvrent le goût de Louis XIV pour la fleur d’oranger avec le parfum diffusé dans l’exposition Versailles. Treasures from the Palace. En 2019, à Shanghai, Virtually Versailles s’ouvre sur la même évocation olfactive des jardins. À l’affût d’une fleur oubliée comme de l’écrit méconnu d’un mémorialiste qui décrirait l’univers – ou la personne – qu’il souhaite « traduire » en un parfum, Francis Kurkdjian finance en 2017 un projet du Centre de recherche du château de Versailles : « Être parfumeur à Versailles, de Louis XIV à Louis XVI » donne lieu à un colloque international en 2021.

Projet pour une partie
du « jardin du parfumeur ».
Plan aquarellé de Fulvia Grandizio, jardinière d’art au domaine de Trianon et historienne
des jardins. © EPV / Fulvia Grandizio

Actions de mécénat

En 2019, il crée le Fonds de Dotation Francis Kurkdjian qui choisit Versailles pour l’un de ses premiers mécénats : la réalisation de parterres inspirés de la végétation africaine au Grand Trianon. La Fondation engagée dans la lutte contre la discrimination culturelle a permis à trois cents jeunes en lien avec les associations le Refuge, Aurore ou encore la Protection judiciaire de la jeunesse, de s’initier à ces jardins et à leur singularité.
En ce printemps, c’est un « jardin du Parfumeur » qui se dessine avec Alain Baraton et les jardiniers du domaine de Trianon grâce au mécénat de la Maison qui porte son nom. Il permettra à tous les publics d’apprendre, et de jouer, avec les essences plantées du côté de la pépinière de Châteauneuf. Un projet sur trois années qui continue de raconter la fabuleuse aventure de Francis Kurkdjian, mais aussi sa volonté, et celle de Marc Chaya, co-fondateur et Président de la Maison Francis Kurkdjian, de transmettre passion et savoir à ceux qui cherchent leur voie.
Et comme l’histoire est parfois bien faite, alors qu’il devient aujourd’hui le compositeur des parfums Christian Dior, il retrouvera du côté des jardins de Versailles, les fleurs préférées du couturier, la rose, le jasmin, la fleur d’oranger…

Catherine Pégard,
Présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles

Article publié dans Les Carnets de Versailles n°20 (avril - septembre 2022)

Fleur des parterres inspirés, en 2020, de la végétation africaine grâce au mécénat du Fonds de Dotation Francis Kurkdjian. © EPV / Thomas Garnier

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