Énigmatique, le Grand Trianon échappe à tous ceux qui voudraient l’enfermer dans une chronologie évidente, une époque ou un style. Le visiteur n’a qu’une issue : se laisser entraîner dans la ronde fantasque et étincelante d’une histoire bénie des dieux.

Le Grand Trianon vu depuis le Grand Canal. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

Le Grand Trianon est une étrange construction, à la fois rigoureuse et organique, majestueuse et transparente, couchée les bras écartés au milieu d’un jardin enchanteur. Il semble avoir été entièrement conçu pour abriter les mystères amoureux des Métamorphoses d’Ovide, inspiration primordiale de tout le projet de Louis XIV à Versailles. Demeure délicieuse, en marge du gigantesque palais qui n’a cessé de poser des problèmes insolubles à tous les souverains qui l’ont occupé, il est resté un refuge idéal, conservant une intense activité sous l’Empire, la monarchie de Juillet et jusqu’à la Ve République, qui en fit une résidence présidentielle et un lieu d’accueil des chefs d’État. Il s’est donc transformé sans cesse, et il faut être aujourd’hui bien savant pour démêler l’historique de ses décors. Mais il n’est pas nécessaire de l’être pour se délecter des contrastes curieux qui font le charme unique de ce château.

Clytie changée en tournesol [détail], par Charles de La Fosse, 1688. © Château de Versailles / Jean-Marc Manaï.

Thétys, Clytie et Diane, suivant la course du soleil

L’aile nord abrite le premier appartement de Louis XIV, qu’il n’occupa que trois ans de 1688 à 1691. Dans le cabinet du Couchant, titans et dieux de la mythologie poursuivent leur dialogue poétique à travers les chefs-d’œuvre de Charles de La Fosse, toujours en place. Le soleil se couche tous les soirs sur la mer : Apollon rend sa visite quotidienne à Téthys la titane, qui l’accueille tout éblouie et irisée de sa lumière. Au-dessus de la porte sud, Clytie, l’un des 6 000 enfants nés du mariage de Thétys avec Océan, continue de se morfondre pour l’éternité en contemplant la course de son char. Amoureuse transie et jalouse, responsable de la mort atroce de sa rivale Leucothoé, elle est punie par Apollon et condamnée à le regarder de loin, jaunie par ses rayons, changée en tournesol. De l’autre côté, la sœur d’Apollon, Diane, se repose voluptueusement avec ses nymphes au retour de sa chasse nocturne : le soleil se lève.

Paire de vases du salon des Malachites. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

Un tel degré de sublime n’empêcha pas Napoléon de commander, en 1811, pour cette pièce des tableaux d’un tout autre esprit, représentant ses visites diplomatiques à travers l’Europe. Trianon, pensé comme un lieu intime, prenait une dimension politique parce que l’Empereur n’avait pas réussi à s’installer au château de Versailles. Mais la poésie de la nature allait envahir les lieux d’une autre façon, avec l’arrivée des malachites offertes en 1808 par le tsar Alexandre 1er. La mystérieuse pierre verte, qui ornait les colonnes du temple d’Artémis à Éphèse, et dont la variété œil-de-paon est associée à Junon, offre aujourd’hui un étrange écho aux peintures de La Fosse.

La galerie des Cotelle au Grand Trianon. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

Millefeuille historique

Partout ailleurs dans le Château, la peinture méditative du Grand Siècle voisine avec le somptueux mobilier de l’Empire, réemployé ou complété par Louis-Philippe. Elle a pu être chassée parfois, comme les Cotelle l’ont été de leur galerie, qui a revêtu les aspects les plus saugrenus au XIXe siècle. Ces merveilleux tableaux n’ont retrouvé leur place qu’en 1913, et ils cohabitent maintenant avec des rafraîchissoirs Louis XV et des consoles de Marcion… et c’est la salle la plus sobre du Château. Dans le petit appartement de l’Empereur, dont les pièces servirent anciennement à Louis XV et à Madame de Pompadour, le mobilier viril dialogue avec les tableaux que contempla Madame de Maintenon.

« Partout ailleurs dans le Château, la peinture méditative du Grand Siècle voisine avec le somptueux mobilier de l’Empire, réemployé ou complété par Louis-Philippe. »

Le palimpseste du Grand Trianon est indémêlable, et les transformations ne sont pas terminées. Pour compliquer le tout, à Versailles, l’Histoire a la particularité de progresser dans les deux sens : Louis-Philippe a été passablement éclipsé de Trianon lorsqu’on voulut, à la fin du XXe siècle, revenir à un strict état Empire. Aujourd’hui, nous célébrons la réapparition de sa chambre-cabinet, qui « succède » à la grande chambre réservée par la République aux chefs d’État étrangers jusqu’aux années 1980…
Les objets témoins de tous ces épisodes n’ont pas fini de danser sur la scène de ce théâtre de l’Histoire.

Laurent Salomé,
Directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.


À VIVRE, ces 11 et 12 septembre 2021 :

WEEK-END IMPÉRIAL
NAPOLÉON À VERSAILLES

le château de Versailles propose une reconstitution historique au domaine de Trianon, devenu résidence impériale sous Napoléon 1er. 400 reconstitueurs en costumes historiques, 60 chevaux de cavalerie, la Garde Républicaine en formation de spectacle équestre et en batterie musicale, feront revivre les régiments célèbres de l'Empire.

Toute l'information sur le site Internet du château de Versailles

SOIRÉE COSTUMÉE
FÊTE EMPIRE AU GRAND TRIANON

Le 11 septembre, le château de Versailles propose une soirée en costumes Empire, dans l’intimité du Grand Trianon et de ses jardins. Au programme : visites des salons et des appartements de l’Impératrice et de l’Empereur, démonstrations de danse dans la galerie des Cotelle, musique dans les salons, jeux, visite nocturne du bivouac... Un feu d’artifice clôturera la soirée.

Réservations sur : chateauversailles-spectacles.fr

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