Les dessous
du cabinet d'angle

À l’angle de la cour de Marbre et de la cour royale, Louis XV puis Louis XVI en avaient fait leur cabinet de travail : l’une des pièces les plus fastueuses du Château vient d'être remeublée après une restauration complète qui a permis de mieux la connaître.

Vue du cabinet d’angle (plafond et murs latéraux) en cours de chantier. La dépose de l’ensemble de ses boiseries a permis de l’examiner dans ses moindres détails. © EPV / Didier-Saulnier.

Depuis les recherches de Pierre de Nolhac publiées à la fin du XIXe siècle, l’histoire du cabinet d’angle du Roi est bien connue. Créée en 1736, la pièce était tendue d’une étoffe, remplacée en 1753 par les superbes boiseries sculptées par Jacques Verberckt. En 1760, des remaniements dans l’appartement intérieur du Roi lui donnèrent sa physionomie actuelle.

Rendue nécessaire par des désordres survenus sur l’ensemble des lambris et un état de surface peu conforme avec l’importance du lieu, la restauration du cabinet d’angle a donné l’occasion de déceler certains indices de son élaboration. Si la dépose des boiseries a permis de dégager tous les murs de la pièce, on n’a, hélas, pas retrouvé les dessins à grandeur d’exécution qu’il était de coutume de tracer sur les plâtres.

L'une des inscriptions trouvées sous les lambris. © EPV / Didier-Saulnier.

Par contre, plusieurs inscriptions datées de 1809 indiquent clairement que les lambris du mur ouest ont fait l’objet, avec le plafond, d’une reprise, ce qui n’était pas documenté jusque-là.

Derrière l’harmonie des ors, de nombreux réajustements

Les principaux enseignements sont venus des boiseries elles-mêmes. Un simple coup d’œil permettait de constater que plusieurs d’entre elles se composaient d’éléments remployés. C’est notamment le cas des deux pilastres composés de morceaux assemblés encadrant le trumeau sous lequel prend place le médaillier. Leur démontage a confirmé qu’ils avaient été réadaptés pour leur emplacement actuel, mais un relevé de 1753 laisse supposer qu’ils encadraient déjà ce trumeau à l’origine : le déplacement de l’ensemble en 1760 aurait obligé à procéder à ces remaniements.

Mur nord de la pièce, avec le ressaut formant un encadrement au niveau de la cheminée. © EPV / Didier-Saulnier.

Le cas des frises couvrant le ressaut qui forme une sorte d’encadrement au mur du côté de la cheminée est plus révélateur des difficultés d’interprétation. À l’origine dorées en plein1, ce qui était passé de mode en 1753, on se perdait en conjectures à leur propos. On a même supposé qu’elles pouvaient être des remplois d’éléments remontant au temps de Louis XIV. Toutefois, des annotations jusque-là non exploitées, en marge d’un plan de 1753, faisaient état de la commande de quatre « pilastres arabesques ». Cette mention prouve qu’à leur installation, en 1753, elles avaient été dorées en plein tout simplement pour être en harmonie avec les lambris datant de 1735.

Ornement de l’un des panneaux de lambris en cours de restauration. © EPV / Didier-Saulnier.

Plusieurs panneaux portent au revers des inscriptions au crayon, parfois peu lisibles, indiquant souvent le nom des compagnons menuisiers ou, plus occasionnellement, le lieu de destination. Est ainsi visible « Cabinet du Roy » au revers d’un bas lambris. Plus intrigante est la mention présente au revers de la traverse inférieure du trumeau surmontant le médaillier, où il est inscrit : « Frise du panneau de la chambre des coquilles à Versailles ». On ne peut que la mettre en relation avec le cabinet des Coquilles situé à côté et créé sous Louis XIV. Cette pièce fut justement divisée en deux et refaite en 1735, au moment même de l’aménagement du cabinet d’angle. Si on ne peut pas négliger l’idée d’une inscription erronée, les ouvriers pouvant avoir mélangé deux chantiers contemporains et voisins, on reste troublé par l’appellation « chambre » qui évoque plus une dénomination en usage sous Louis XIV. On se demande s’il ne pourrait pas s’agir d’un élément sculpté lors de modifications ordonnées au tout début du XVIIIe siècle et qui aurait été réutilisé lors du chantier de la pièce voisine.

Yves Carlier,
Conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

1 C’est-à-dire que les ornements sculptés et dorés se détachaient sur un fond doré.

Dorure en cours des ornements des boiseries. © EPV / Didier-Saulnier.

Le cabinet d’angle du Roi a été restauré grâce au mécénat de Rolex.


L’un des médaillons
dorés qui forment
le décor caractéristique
du cabinet d’angle. © RMN-GP (château de Versailles) / © Benoît Touchard.

Un lieu stratégique pour le Roi

Aménagé sous Louis XV, le cabinet d’angle occupe une place stratégique, non loin du cabinet du Conseil où le Roi s’entretient quotidiennement avec ses ministres et prend ses décisions les plus importantes. Plus à l’écart, c’est là que sont généralement accordées les audiences individuelles, communément appelées « le travail du Roi » ou « la liasse ». Avant d’être reçu en tête-à-tête par le Roi, les serviteurs de l’État font antichambre dans le cabinet de la Pendule. De plus en plus nombreux, ils obligeront Louis XV à prolonger le cabinet d’angle d’un arrière-cabinet (ou cabinet des Dépêches) pour traiter, notamment, les rapports de ses agents secrets à l’étranger.

Avec ses deux fenêtres ouvrant sur la cour de Marbre et la cour royale, le cabinet d’angle est un poste d’observation idéal. Louis XV, en décembre 1754, admire « de dessus le balcon 122 tambours qu’on a fait venir de tous les régiments français et étrangers au service de France »1. C’est ce que raconte le duc de Luynes qui, en janvier 1741, indique que le Roi se tient « presque toujours »2 dans ce cabinet de travail d’où, éploré, il suivra des yeux, en 1764, le convoi funéraire de Madame de Pompadour3. Louis XVI continuera à y régler ses affaires personnelles. C’est notamment là qu’il fera venir, en 1785, le cardinal de Rohan pour le confondre au sujet du fameux collier de la Reine.

1 Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV (1735-1758), Paris, Firmin Didot, 1860-1865, t. 13, p. 399, 1er décembre 1754.
2 Ibid., t. 3, p. 301.
3 Mémoires du comte Dufort de Cheverny, Plon, Paris, 1909, vol. I., p. 324.


Histoire de clous

Pièce à caractère privée, le cabinet d’angle, comme tout l’ensemble de l’appartement intérieur, du reste, regorgeait d’œuvres appartenant en propre au souverain. Si l’on ne connaît pratiquement pas ce qu’il y avait du temps de Louis XV, il n’en est pas de même sous Louis XVI : pas moins d’une quarantaine d’œuvres de toutes dimensions étaient accrochées aux boiseries. Le décapage des fonds blancs des lambris pour restitution d’une peinture à la colle a permis de retrouver les nombreux trous d’anciens clous ou crochets dont les emplacements ont fait l’objet d’un relevé soigneux et d’une cartographie.

La manière dont le Roi avait disposé sa collection n’est pas pour autant devenue évidente. Des trous peuvent, en effet, remonter au règne de Louis XV et ne pas avoir été réutilisés sous Louis XVI. L’étude actuellement en cours du revers d’une petite dizaine d’œuvres ayant conservé leurs cadres d’origine apportera peut-être des éléments de réponse pour mieux imaginer comment pouvait se présenter ce cabinet à la veille de la Révolution.



À LIRE

Dans l'intimité du Roi, le cabinet d'angle, Yves Carlier (dir.), collection « État des lieux », coédition château de Versailles / Réunion des musées nationaux - Grand Palais, 2021.


À REDÉCOUVRIR

Le cabinet d’angle du Roi dans la visite guidée « Appartements privés des rois ».
Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr

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