Entre pente à gradins
et plateau brisé

Depuis l’acquisition du bureau – à l’origine brisé – de Louis XIV, on s’est interrogé sur la façon de le restaurer. Fallait-il rétablir cette découpe centrale ou garder le meuble tel qu’il avait été, plus tard, transformé ? Les experts, à la lumière de nombreuses études et grâce à l’existence d’un meuble jumeau au Metropolitan Museum, ont tranché.

Restauration en cours de la marqueterie d’écaille et de laiton par le C2RMF. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

Transformé en bureau de pente à gradins, sans doute à la fin du XIXe siècle, le meuble acquis en 2015 par le château de Versailles doit être observé au regard de son pendant, conservé dans les collections du Metropolitan Museum of Art de New York depuis 1985. Il provient, en effet, d’une paire de bureaux brisés1 en marqueterie d’écaille et de laiton, livrée en 1685 pour le roi Louis XIV au château de Versailles2. Sa destination est le « petit cabinet où le Roy escrit », pièce de retraite du souverain en arrière de son appartement qui fait alors l’objet d’une refonte.

Ces deux bureaux sont l’œuvre d’Alexandre-Jean Oppenordt (1639-1715) qui se voit, à cette époque, confier d’importantes commandes, notamment pour le cabinet des Médailles et des Raretés. L’ébéniste ordinaire du Roi collabore étroitement avec Jean Bérain, dessinateur de la chambre du Roi. On retrouve le répertoire ornemental de ce dernier dans le dessin particulièrement riche de la marqueterie des bureaux, à la gloire du souverain : monogramme royal à double « L » entrelacés, surmonté de la couronne royale et du soleil d’Apollon, grandes lyres évoquant le dieu et présence de fleurs de lys, dans un décor foisonnant de rinceaux.

Le désintérêt pour le modèle du bureau brisé, jugé peu pratique par rapport au bureau plat, aura probablement entraîné le renvoi de la paire au Garde-Meuble, où elle est mentionnée dans l’Inventaire général des meubles de la Couronne de 1729. Considérés comme démodés, les bureaux sont séparés lors d’une vente de meubles royaux en juillet 1751. On perd alors la trace de celui récemment acquis par Versailles jusque dans les années 1880. Il figure, semble-t-il, dans les collections du baron Ferdinand de Rothschild (1839-1898), puis passe dans celles de Constance Gladys, marquise de Ripon (1859-1917), qui le lègue à sa fille, Lady Juliet Duff (1881-1965).

Dendrochronologie, étude des pigments et radiographie pour mieux comprendre le « bureau du Roi »

En très mauvais état, le bureau présentait de nombreux soulèvements de sa marqueterie d’écaille et de laiton. Les interventions de fortune lui avaient fait perdre une grande partie de sa lisibilité. Aussi a-t-il été confié au C2RMF en vue de sa restauration, suivie par un comité scientifique regroupant des conservateurs de Versailles, du C2RMF, du Louvre, du MET et des experts du Mobilier national. Différentes études ont été menées. La dendrochronologie a permis de constater l’homogénéité des bois, dont seuls diffèrent ceux datant de la transformation en bureau de pente. L’étude des pigments a fait apparaître la présence de vermillon, mais cette information ne permet malheureusement pas de resserrer la datation. L’ensemble du meuble a été radiographié, livrant très précisément l’emplacement et la forme originels des serrureries et quincailleries avant que ne disparaisse la découpe centrale du plateau. Des recherches documentaires ont été conduites plus en avant, notamment en Angleterre dans les fonds Rothschild.

Modélisation 3D du bureau de Louis XIV une fois restitué dans son état originel de 1685, avec la même brisure que le bureau du MET. © ExploVision.co/Reconstruction 3D.

Le choix du parti de restauration

Une fois ces préalables posés, il convenait de définir le parti de restauration. Le débat était de savoir quelle option adopter entre une restauration en conservation – qui maintenait le meuble dans la forme sous laquelle il nous était parvenu –, une restitution – qui impliquait au contraire de revenir à son état originel de 1685 – et une alternative modulable – introduisant des éléments modernes pour jouer sur les deux états. Cette dernière solution n’a pas été retenue, jugée trop invasive. La première non plus, la transformation étant considérée comme tardive, maladroite et présentant une forme incompatible sur le plan stylistique. Aussi a-t-il été décidé collégialement de revenir à l’état originel, ce qui impliquait de délimiter précisément le périmètre des éléments perdus lors de la transformation du XIXe siècle. Or, l’analyse menée par Frédéric Leblanc, ébéniste restaurateur au sein du C2RMF, a montré qu’une grande partie des caissons du gradin étaient, en fait, les tiroirs intérieurs du bureau brisé, et comment la marqueterie du troisième niveau des tiroirs de face d’origine avait été malhabilement découpée pour être reportée sur les côtés du gradin. On y retrouvait même une entrée de serrure bouchée et remontée à l’envers.

Démontage complet

Cependant, si ce parti a fait consensus, il est apparu nécessaire, afin d’y voir plus clair, de recourir à la modélisation qui a été menée de front avec la restauration. Le bureau a été démonté dans sa totalité. Toutes les marqueteries d’écaille et de laiton ont été déposées. Le dégagement, à certains endroits, de colles modernes, durcies et d’origine chimique, a permis d’atteindre la couche de la colle de poisson d’origine afin de la réhydrater. Ce travail, long et fastidieux, a permis de redécouvrir des éléments d’écaille qui, emportés par les recollages successifs, avaient glissé sous la marqueterie de surface. Quel moment heureux ! Une très belle découverte ! Le dégagement a aussi permis de mieux comprendre le tracé des dessins et d’identifier clairement les différentes interventions vécues par le meuble. Enfin, la réhydratation des colles a permis de replacer convenablement les marqueteries et de retrouver une planéité qui avait complètement disparu.

L’objectif est désormais d’analyser, au sein du comité scientifique, les types de réintégrations à pratiquer, entre manques grossiers comblés de gomme-laque, interventions maladroites qui ne respectent pas les réserves du dessin et celles qui, au contraire, ne gênent pas la lisibilité. La réflexion est soutenue par le dialogue constant qui s’est établi entre Frédéric Leblanc et les équipes du MET. Celles-ci ont procédé à de nombreuses prises de vue permettant d’utiles comparaisons. Ainsi est-il apparu que certaines marqueteries de métal de l’exemplaire de Versailles, certes très endommagées, sont incontestablement d’origine au regard de celles, parfois redessinées, de l’exemplaire du MET. Dans la perspective de ce travail de réintégration, le C2RMF a fait l’acquisition d’une machine de découpe laser qui atteint un niveau de précision remarquable dans un délai d’exécution quasi immédiat.

Une fois cette étape déterminante franchie, viendra le tour de la restauration des marqueteries intérieures ; s’ensuivra la restitution des quincailleries. Si le chemin peut paraître long, il est gage de la prudence avec laquelle les différents interlocuteurs s’engagent, défrichant la voie d’une nouvelle approche déontologique.

Élisabeth Caude,
Directrice des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, précédemment Conservateur général au château de Versailles.

1. Un bureau est dit « brisé » lorsque son décor est coupé en deux en raison de son système d’ouverture.
2 Lire « Un trésor d’écailles et de cuivre » par Élisabeth Caude, conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Le bureau brisé de Louis XIV a été acquis, le 18 novembre 2015, grâce au mécénat d’Axa et de la Société des Amis de Versailles.


Détail du bureau de Louis XIV, réalisé par Oppenordt. © Château de Versailles / Christophe Fouin.

Trésor national, rare témoin des meubles royaux des années 1680

Qualifié de « trésor national » en 2015, le bureau sera exposé dans le salon de l’Abondance, à proximité de l’ancienne Petite Galerie du Roi. Il permettra d’évoquer ce Versailles du temps de Louis XIV disparu dans les transformations du XVIIIe siècle. Il témoignera ainsi de la fastueuse production de meubles royaux des années 1684-1685, dont peu sont parvenus jusqu’à nous.

Article publié dans Les Carnets de Versailles n°18 (mai-septembre 2021)

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