À l’heure des « turqueries » 

Les décors de cette très belle pièce en bronze doré en feraient presque oublier sa destination première : donner l’heure. La pendule aux sultanes, qui appartenait au comte d’Artois, futur Charles X, vient d’être restaurée. Elle a repris place sur la cheminée du salon des Nobles depuis la réouverture, en avril, du Grand Appartement de la Reine.

© Château de Versailles / Christophe Fouin.

Sur un socle de marbre rouge griotte, quatre dromadaires couchés en bronze patiné, richement harnachés et caparaçonnés, portent sur leur dos une plaque de marbre ornée de perles et de trophées. Dessus, deux femmes enturbannées s’appuient sur un cadran au décor fleuri, représentant les signes du zodiaque. De leurs bras gracieux, elles couronnent le cadran d’un turban décoré d’un croissant de lune. Autour des jeunes femmes, drapés et coquillages évoquent des ailleurs lointains. Élément atypique de cette création, le cadran à aiguilles, qui indique le jour et le mois, est surmonté d’un second cadran tournant horizontal, constitué de deux cylindres indépendants : l’un présente l’heure, l’autre les minutes. Il est flanqué de deux enfants africains et surmonté de deux Amours ailés. À l’arrière de la pendule, un décor figurant une tente dissimule le mécanisme de l’horloge.

Voici décliné le vocabulaire exotique que le XVIIIe siècle développa dans son goût du pittoresque et de l’Orient, avec la mode des « turqueries ». Cette pendule est l’œuvre de l’horloger Urbain Jarossay et du bronzier François Rémond, dont le rôle fut très important dans l’art du bronze à Paris, du règne de Louis XVI à l’Empire. Livrée le 31 décembre 1781 au château de Versailles, elle venait garnir la cheminée du boudoir turc que le comte d’Artois, frère de Louis XVI, se faisait aménager dans ses appartements au premier étage de l’aile du Midi.

La restauratrice a décloué, dévissé et démonté une à une les pièces de la pendule que le temps avait ternies. Au préalable, elle a jeté sur un papier blanc leur dessin pour retrouver aisément l’imbrication des éléments, comme sur un plan de montage. Elle a remarqué sur l’objet les symptômes des démontages et remontages successifs effectués lors de restaurations antérieures, et l’intégration de pièces de quincaillerie qui n’étaient pas d’époque. Bien que maladroites, ces interventions eurent l’avantage de limiter les pertes de la plupart des ornements.

« Parce que le nettoyage est irréversible, et tout sauf simple », la restauratrice apporte un soin infini au décrassage de l’objet. Munie d’une brosse douce, d’éponges, de pinceaux, de chiffons doux et de cotons tiges, elle nettoie les bronzes dorés de la pendule, avec de l’eau claire et ses propres mélanges. Sous la crasse, les dorures sont restées en excellent état, excepté quelques lacunes ponctuelles. Elles sont comblées par des feuilles d’or 24 carats, tandis que les pièces argentées sont recouvertes d’une fine couche de cire qui les protègera de l’oxydation. Puis vient le moment de la « remonture », c’est-à-dire l’opération de réassemblage des pièces démontées. L’horloger du château de Versailles, Bernard Draux, intervient ensuite pour réviser le mécanisme de la pendule, changé au XIXe siècle.

Devant l’objet qu’elle a restauré, Blandine Brochu admire une ciselure d’une extrême finesse, remarquablement conservée. « Cette intervention, qui vise à redonner l’éclat à cette pendule exceptionnelle, permettra d’apprécier pleinement le raffinement de l’artisanat d’art sous le règne de Louis XVI et l’extraordinaire finesse du travail d’un bronzier d’exception. »

La pendule vue de face. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

Cette singulière pendule à deux cadrans est désormais présentée dans le salon des Nobles du Grand Appartement de la Reine, où elle est conservée du fait du goût commun du comte d’Artois et de Marie-Antoinette pour le raffinement exotique.

Clotilde Nouailhat


Aller-retour à Versailles

L'horloger du Château, Bernard Draux, en train d'installer la pendule dans le salon des Nobles. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

Confisquée pendant la Révolution, la pendule du comte d’Artois fut envoyée au ministère des Affaires étrangères tandis que les candélabres furent expédiés au palais des Tuileries, puis au Louvre. Ce n’est qu’en 1971 que la pendule aux sultanes et les candélabres aux autruches réintégrèrent les collections de Versailles. Ils sont visibles dans le salon des Nobles aujourd’hui.

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