magazine du château de versailles

L’empereur, la marine
et Trianon

À Versailles les barques sur le Grand Canal,
à Trianon les navires de guerre : pour la première fois depuis 1828,
les « Maquettes de la Marine impériale » retrouvent leur écrin de la galerie des Cotelle au Grand Trianon. Une exposition en partenariat avec le musée national de la Marine, du 17 juin au 14 septembre 2014.

Prise du Rocher du Diamant par l’escadre française du contre-amiral Missiessy, le 2 juin 1805 [détail], par Auguste Mayer. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Gérard Blot

En 1810, alors qu’il procédait au remeublement du Grand Trianon en vue de s’y installer avec la nouvelle impératrice Marie-Louise, Napoléon décida de faire placer dans la galerie des Cotelle, une collection de modèles réduits de navires de guerre de tous types, que l’on appelle aujourd’hui la « Collection Trianon ». Jacques-Noël Sané (1740-1831), inspecteur général du Génie maritime, l’un des principaux artisans de la rénovation de la Marine sous Louis XVI grâce à la standardisation des plans de trois types de vaisseaux (118, 80 et 74 canons), fut chargé de constituer la collection en lien avec Duroc, Grand Maréchal du palais, et Alexandre Desmazis, administrateur du Garde Meuble impérial.
Sané était l’un des meilleurs ingénieurs-constructeurs de sa génération, une figure de la construction navale française et de la marine à voile pendant près d’un demi-siècle, le « Vauban de la marine ». Dès octobre 1810, l’année même où fut décidée la constitution de la collection, il eut droit aux honneurs de l’Empereur qui le nomma Baron d’Empire. Peut-être qu’avec cet ensemble, Napoléon a d’ailleurs souhaité à la fois rendre hommage au concepteur et témoigner de l’excellence de la construction navale française de l’époque.

Combat naval en baie d’Algésiras remporté par le contre-amiral Linois contre l’escadre anglaise du contre-amiral Saumarez, le 6 juillet 1801, par Antoine Léon Morel-Fatio (1810-1871). © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Franck Raux

Treize modèles étaient prévus : « Un vaisseau à trois ponts, un de 80, un de 74, un de 50, une frégate, une corvette, une chaloupe canonnière, un cutter [cotre], une tartane, un lougre, un bateau canonnier, un caïque, une péniche » [pour plus de précisions sur ces différentes embarcations, lire le lexique ci-dessous, ndlr]. Dans cet ensemble, figuraient les petites embarcations destinées à envahir l’Angleterre. Est-ce la raison pour laquelle l’Empereur souhaita rassembler la collection de modèles dans un palais de campagne relativement isolé où il pouvait étudier à loisir les capacités de ses navires et relancer son projet d’invasion ? Rien ne le dit, mais cela est fort possible.

Napoléon et Marie-Louise assistent au lancement du vaisseau « Le Friedland » dans le port d’Anvers, le 2 mai 1810 [détail], par Matthieu-Ignace Van Brée. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Franck Raux

Pour remettre en état, concevoir les modèles, Sané créa un atelier à Paris dans lequel il fit venir trois ouvriers des arsenaux. Les sites d’Anvers et de Rochefort furent également mis à contribution. Alors qu’on aurait pu croire cette collection simple à constituer, le projet se poursuivit après l’Empire, sous la Restauration. Certaines maquettes, comme le Friedland, un vaisseau de 80, ou la prame d’artillerie la Foudroyante, n’arriveront cependant jamais à Trianon. En revanche, les modèles de plusieurs navires dont la construction était antérieure au lancement de la collection « Trianon » – l’Océan, par exemple, un vaisseau à trois ponts mis en service en 1790 sous le nom d’États-de-Bourgogne, « chef-d’œuvre de Sané » – furent vite apportés à Trianon.

Figure de proue de L’Artésien : détail du modèle miniature du vaisseau 64 canons. © Musée national de la Marine

Des modèles prestigieux de l’Ancien Régime comme l’Artésien, vaisseau de 64 canons typique de la guerre d’Indépendance américaine, ou le chébec des années 1750 furent également placés dans la Galerie. Au final, ce fut un état complet de la marine impériale qui fut planifié : outre les navires déjà mentionnés, on y trouvait aussi bien le vaisseau de 74 (le Triomphant), une frégate (la Flore), une corvette (la Bayadère), une flûte (la Normande), un brick (l’Espérance) et de petites embarcations comme une gabarre-écurie, ou une chaloupe canonnière.

En 1818, il fut demandé la création d’un musée spécifiquement attaché à la Marine au sein du Louvre. Dix ans plus tard, en 1828, la collection quitta le petit palais de Trianon pour gagner ce nouveau musée de la Marine, un temps appelé « musée Dauphin » (1828-1830). Rassemblé à Trianon pour la première fois depuis cette date, cet ensemble exceptionnel montre les différents types de navires de guerre de l’époque, ceux de la guerre d’escadre et du combat d’abordage jusqu’aux navires de charge, plus modestes. L’exposition sera accompagnée de tableaux représentant des scènes de combats navals, peints par Crépin, Hue, Morel-Fatio ou Mayer ainsi que de portraits d’amiraux comme Latouche-Tréville, Magon de Médine ou Blanquet du Chayla, et de quelques armes évocatrices de l’abordage.

Jérémie Benoit,
conservateur en chef en charge des châteaux de Trianon,
et Hélène Tromparent-de-Seynes,
conservateur en chef au musée national de la Marine.

Le musée de la Marine (www.musee-marine.fr) est partenaire de l’exposition.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°5 (avril-septembre 2014)


Lexique de la flotte impériale

Brick
Navire à deux mâts, voile rectangulaire. Tonnage moyen.

Caïque
Petite embarcation légère à voiles ou à rames.

Chaloupe-canonnière
Grand canot à voiles et avirons, assez robuste pour porter un ou plusieurs canons. Sa coque plate lui permet d’intervenir dans des eaux peu profondes et de protéger un débarquement.

Chébec
Voilier à trois mâts de la Méditerranée.

Corvette
Navire de guerre léger et rapide. Il ne porte qu’une rangée de canons. Particulièrement maniable, il est utilisé pour donner la chasse à l’ennemi.

Cutter [cotre]
Voilier rapide à un seul mât.

Flûte
Voilier hollandais à trois mâts apparu au XVIIe. Il est optimisé pour le transport des vivres et des munitions. Comme la chaloupe canonnière, la flûte est de « faible tirant d’eau » : la partie immergée du bateau est moins importante que celle des navires de guerre construits pour être maniables et rapides. À l’origine, cette caractéristique répondait à une spécificité des ports néerlandais, aux hauts fonds sablonneux.

Frégate
Navire de guerre à trois mâts de taille moyenne, très rapide. Disposant d’une force de frappe moins importante qu’un vaisseau, il participe rarement aux combats en ligne, assurant un rôle de transmission des informations et des missions de repérage. Le dessin de sa coque est particulièrement fin.
Deux typologies sont utilisées pour classer les frégates :
• XVIIe - XVIIIe siècles : selon le calibre des canons de la batterie.
• XIXe siècle : selon le nombre de bouches à feu embarquées.

Gabarre-écurie
La gabarre est une grande embarcation à voiles, comportant un pont et pouvant effectuer de longs voyages. La gabarre-écurie était équipée pour transporter des chevaux. Au XIXe siècle, la gabarre tend à remplacer la flûte.

Lougre
Petit bateau à trois mâts utilisé principalement sur les côtes de la Manche et en océan Atlantique, rapide. Ses voiles sont dites « au tiers » : en forme de trapèze, le bord supérieur de la voile est attaché sur une pièce de bois ou de métal (vergue) inclinée, au tiers de sa longueur.

Prame
Embarcation à fond plat sans pont pouvant être manœuvrée aux avirons ou à la voile. Elle est notamment utilisée pour débarquer des hommes à terre. Les prames d’artillerie pouvaient également transporter du matériel militaire.

Tartane
Navire à un mât typique de la zone méditerranéenne. Sa coque est ronde et pointue aux extrémités.

Vaisseau
Navire de guerre qui compte deux à trois ponts portant des canons. Cette architecture qui lui confère une puissance de feu linéaire et importante est particulièrement adaptée pour les batailles en ligne. Les vaisseaux sont désignés selon le nombre de ponts ou selon le nombre de canons qu’ils embarquent (sous l’Empire : 74, 80 ou 118 canons).


À VOIR

Maquettes de la Marine impériale. Collection du musée de la Marine
Du 17 juin au 14 septembre 2014
Grand Trianon

horaires : 12h-18h30, dernière admission 18h
billets : passeport et billet châteaux de Trianon

Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles »

 

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