Penone et Le Nôtre dialoguent à Versailles

Du 11 juin au 30 octobre 2013, Giuseppe Penone confronte l’épure organique de ses œuvres au marbre, à la pierre
et aux jardins de Versailles.

Giuseppe Penone dans son atelier à Turin, en compagnie de Catherine Pégard © Micheline Pelletier Decaux

On peut imaginer une complicité immédiate, évidente entre Giuseppe Penone et Versailles. Comment ne pas se souvenir de la tempête qui, tout à coup, créa entre eux un lien ? Mais personne alors ne pouvait penser qu’un jour il se matérialiserait en une exposition inédite dans les jardins du Château.

Au début de l’année 2000, Penone entend parler de la vente d’arbres foudroyés par l’ouragan qui, le 26 décembre 1999, a ravagé le parc de Versailles. À cette époque, il commence un travail sur les conifères. Deux troncs de cèdres l’intéressent. Le réalisateur Claude Berri, qui collectionne ses œuvres, décide de les lui offrir. Ainsi commence une histoire et particulièrement celle du « Cèdre de Versailles ». Napoléon est passé devant lui en 1805 lors d’une visite à Trianon. Jeune pousse, il grandissait dans la pépinière avant d’être planté dans le parc où, en 1999, il sembla finir ses jours jusqu’à ce que Penone lui rende sa jeunesse. L’artiste l’évide jusqu’à ce qu’il retrouve l’état qui était le sien en 1825 lorsqu’il avait vingt-cinq ans.

Giuseppe Penone travaillant le Cèdre de Versailles (Cedro di Versailles), 2000. © Archivio Penone

Hélas, ce cèdre ne reviendra pas à Versailles en juin prochain car, sculpté par Penone, il est maintenant trop haut pour trouver sa place à l’intérieur du château.

Cèdre de Versailles (Cedro di Versailles), 2000-2003 © Micheline Pelletier Decaux

Mais il y a le deuxième arbre acquis lui aussi en 2000 par Penone. Une autre histoire. Celui-ci est trop abîmé pour qu’en le creusant, Penone remonte le temps. Mais il trouve son écorce magnifique. Il en réalise donc une empreinte en bronze qui composera les deux moitiés de Tra Scorza a Scorza (D’écorce à écorce) au milieu desquelles grandit un arbre bien vivant. Cette œuvre est l’une des premières que l’on verra dans le parc.

Absence de l’un, présence de l’autre, il faut en fait « oublier » ces arbres. Car sans eux, sans cette coïncidence extraordinaire, Giuseppe Penone aurait néanmoins toute sa place à Versailles. C’est son œuvre qui l’y conduit. Et pas le souvenir, fût-il fabuleux, de ces arbres centenaires.

Le dialogue entre son travail et celui de Le Nôtre semble naturel comme celui qui le mena d’abord aux Tuileries où il déposa l’Arbre des Voyelles puis à la Reggia di Venaria près de Turin où sont installées plusieurs de ses œuvres. Impératif des lignes tracées par Le Nôtre ici, structuration d’un bosquet décomposé là, comme le dit Alfred Pacquement, commissaire de l’exposition et directeur du Musée d’art moderne, Penone se fait « architecte paysagiste » s’inscrivant dans la perception de l’espace défini par la grande perspective, jusqu’à créer la surprise d’un Bosquet « réhabité » – celui de l’Étoile – où se cacheront plusieurs sculptures.

Souche déracinée, branches emmêlées, arbre foudroyé même, les formes et les essences font naître des sculptures différentes entre souvenir et devenir. L’arbre, comme le marbre dont Penone recrée les veines, garde la mémoire de son geste. Le bronze fossilise l’arbre, la pierre fait une pierre, les feuilles recréées évoquent le vent. Richard Peduzzi, qui l’accueillit à la Villa Medicis il y a quelques années, dit de lui qu’avec un instinct de sourcier, Penone recrée le monde, le façonne, le rend immortel.
Confrontation entre le temps de l’histoire et l’instant de l’empreinte. Où mieux qu’à Versailles, pouvait-il s’interroger sur la façon dont l’art fait se répondre les époques ?
Et puis à l’intérieur du château, Penone installera une chambre de feuillages, une pièce tapissée de lauriers qui distillent leur parfum et protègent les hommes. « Respirare l’ombra », tel est le titre qu’il lui a donnée. Et soudain l’on songe à un chant de Haendel. Écho, correspondance... Penone à Versailles.

Catherine Pégard,
Présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°3 (avril-septembre 2013)

Respirare l’ombra, par Giuseppe Penone dans la salle des Gardes du Château. © Château de Versailles / Didier Saulnier.


Portrait de l’artiste © Micheline Pelletier Decaux

Giuseppe Penone et l’Arte Povera

En 1967, le critique Germano Celant regroupe le travail d’artistes italiens sous le nom d’Arte povera. L’appellation définit davantage une attitude qu’un mouvement : le rejet de l’industrialisation de la société qui produit des icônes factices et luxueuses, déconnectées du réel. L’Arte povera est un appel à ne pas isoler l’art de la vie en utilisant notamment des matériaux du quotidien, « pauvres » – d’où le nom du mouvement. Pour eux, une œuvre d’art n’est pas forcément un objet. Insaisissable, l’art surgit à l’occasion d’une performance où s’intègre un processus naturel, prenant une forme mouvante et éphémère. Dès 1968, les œuvres de Penone reposent sur une interaction fragile entre l’activité humaine et les développements organiques de la nature ; des fils de fer, par exemple, entourent le tronc d’un arbre qui, en grandissant, modifie la forme de l’œuvre. Ici, à l’écart des natures mortes de la peinture classique, l’œuvre redevient vivante.


À VOIR

Giuseppe Penone à Versailles
Du 11 juin au 30 octobre 2013
dans les jardins et le château

horaires :
Le château : de 9h à 18h30. Dernière admission 18h.
Les jardins : de 8h-20h30, sauf événements exceptionnels et intempéries.
Consultez www.chateauversailles.fr

billets : Pour l’accès aux œuvres dans le Château: prix d’un billet Château
Pour l’accès aux œuvres dans les Jardins : accès gratuit, sauf les jours des Grandes Eaux

À LIRE

Le catalogue de l’exposition, dir. Alfred Pacquement, éditions RMN

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