magazine du château de versailles

Échappée monumentale

Très inspirée par le peintre et paysagiste Hubert Robert dans sa réflexion sur les jardins, Eva Jospin va déployer son œuvre Chambre de soie à quelques pas du bosquet des Bains d’Apollon, dans l’orangerie du château. Elle y ajoutera même deux lés de broderie directement liés aux bosquets de Versailles qui prolongeront cette déambulation à grande échelle.

Une partie de la Chambre de soie. © Eva Jospin : courtesy of the artist, photo by Laure Vasconi © Adagp, Paris, 2024.

Avant d’investir, à l’automne, un des dédales du musée d’Art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa, au Japon, selon un projet conduit avec le philosophe Emanuele Coccia pour les vingt ans de cette institution, Eva Jospin sera au cœur du château de Versailles. Cette Parisienne amoureuse de l’Italie y réinventera le faste des grandes commandes par son savoir-faire très original et son imaginaire qui se promène entre Rome baroque et contes d’enfant. Il y a du merveilleux dans cette jolie tête bien faite, le goût du risque aussi. Car Versailles est, par son éclat et l’immensité de son patrimoine, un hôte aussi prestigieux qu’intimidant.

Sculpteur spectaculaire

Eva Jospin, c’est un sculpteur – elle tient à ce titre –, une artiste quadragénaire (née en 1975) plongée dans l’histoire de l’art et une femme de son temps qui musarde, regarde la forme d’un buisson, le découpé d’une branche ou la souplesse d’une feuille, le creux d’un rocher, recycle le plus simple des matériaux pour en faire un or contemporain. Lauréate du Prix de l’Académie des beaux-arts en 2015 et pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 2017, elle a magnifié le carton qu’elle a ciselé comme un orfèvre, recréant des panoramas spectaculaires, de la Cour carrée du Louvre à l’abbaye de Montmajour, près d’Arles. D’une obstination de conquistador derrière sa bonne éducation – elle est la fille de l’ancien Premier ministre, Lionel Jospin – elle semble prendre les obstacles sans frémir, paisiblement, fermement.

Portrait d’Eva Jospin devant un détail de la Chambre de soie. © Eva Jospin : courtesy of the artist, photo by Laure Vasconi © Adagp, Paris, 2024.

À la manière des panoramas

Cet été, Versailles invite donc en son royaume cette artiste française qui a enchanté le musée de la Chasse et de la Nature à l’hiver 2021-2022 et le Palais des papes, l’année dernière en Avignon. Monumentale création de broderie de 500 mètres de long, Chambre de soie fut présentée pour la première fois en juillet 2021 pour les défilés haute couture de la maison Dior au musée Rodin. S’inspirant de la salle aux Broderies du palais Colonna de Rome et du roman Une chambre à soi de Virginia Woolf, l’œuvre d’Eva Jospin est une prouesse de broderie qui avait ébloui, par sa grâce, sa précision et son échelle, le public. Exploit artistique et technique réalisé entre deux continents, cette fastueuse Chambre de soie, qui fait courir la broderie là où a dessiné le crayon, est née à l’invitation de la directrice artistique des collections femme de Dior depuis 2017, la Romaine Maria Grazia Chiuri. Les repérages faits par l’artiste ont stimulé cette femme d’action, rêveuse qui cache sa détermination sous un teint de rose et de jolies anglaises romantiques. On pourrait l’imaginer contemplative sur une méridienne. Elle est dans son atelier comme un explorateur.

L’orangerie du château de Versailles. © EPV/ Thomas Garnier

Pour imaginer cette œuvre à la fois délicate et saisissante, Eva Jospin a puisé son inspiration parmi ses thèmes de prédilection : la nature, la déambulation et les folies architecturales. Ses murs de paysages de 350 mètres carrés ont été produits par les artisans de l’atelier Chanakya et de la Chanakya School of Craft à Mumbai, en dialogue permanent avec l’artiste : chaque trait de son dessin est devenu un fil et un point en utilisant plus de quatre cents nuances d’écheveaux de soie, de coton et de jute, créant une installation à la manière des panoramas du XIXe siècle.
Cet ensemble spectaculaire ouvrira, cette fois, « un dialogue singulier avec l’imposante architecture de l’orangerie et invitera le visiteur à la déambulation ». Il va s’étendre sur tout un mur, sans discontinuer. L’orangerie de Versailles est la seule de son envergure et de son pedigree à accueillir mille cinq cents arbres, orangers surtout et citronniers, pour l’hiver, de la Toussaint à fin avril. Ce lieu patrimonial est rarement ouvert au public. Y ont lieu certains événements, comme les grands dîners donnés notamment pour les artistes contemporains invités au château, d’Anish Kapoor à Olafur Eliasson, de Jeff Koons à Takashi Murakami, de Lee Ufan à Giuseppe Penone. Ce sera donc une double découverte pour le public qui aura pris son billet pour les jardins.

Valérie Duponchelle,
journaliste

L’exposition est rendue possible grâce au mécénat de Parfums Christian Dior.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°24 (octobre 2023-mars 2024).

Le bosquet des Bains d’Apollon vu du ciel. © EPV/ Thomas Garnier


Quand l’art voyage dans l’espace et dans le temps

« Quand j’ai exposé dans la Cour carrée en 2016, il y avait simultanément une rétrospective du peintre Hubert Robert (1733-1808) au Louvre. J’ai été alors invitée par le département de Chalcographie du musée à faire une gravure inspirée de celle de la grotte de Téthys, grotte artificielle construite sous le règne de Louis XIV dans les jardins de Versailles, située dans la partie nord du château et qui a été détruite. Tous les éléments de sculpture, coquillages, concrétions, qui étaient dans cette grotte ornée baroque ont été recomposés par Hubert Robert pour devenir le bosquet des Bains d’Apollon. Cela m’a étonnée. Pour moi, Versailles était un jardin à la française. Et je découvrais son lien avec l’Italie », nous explique cette âme voyageuse qu’est Eva Jospin.


À VOIR

Exposition
Eva Jospin
du 18 juin au 29 septembre
Orangerie du château de Versailles

Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 18 h 30 (dernière admission à 18 h).

Billets : accessible avec le billet Passeport, Grandes Eaux musicales ou Jardins musicaux.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles » , ainsi que pour les enfants de 0 à 5 ans.

Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles »

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