Conservateur
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À l’occasion du deuxième récolement décennal – opération de réexamen des œuvres menée tous les dix ans – un splendide portrait a été sorti des réserves et attribué au peintre Nicolas de Largillierre. Il représente Nicolas Bailly qui fut « garde des tableaux du roi », autrement dit, conservateur des collections de Louis XIV.

L'une des paysans se transformant en grenouille dans le bassin de Latone. © EPV / Thomas Garnier

Des artistes dévoués à Versailles

Nicolas Bailly (1659-1736) est le second fils de Jacques Bailly, qui arborait fièrement le titre de « peintre en miniature » de Louis XIV mais dont le talent ne se limitait pas aux petits formats. Auteur de somptueux manuscrits enluminés, dont celui immortalisant le labyrinthe de Versailles en 1674, il était également réputé pour sa capacité à peindre sur n’importe quel support. À ce titre lui fut confiée la tâche de « bronzer », c’est-à-dire d’apposer une dorure foncée, sur plusieurs fontaines des jardins, notamment le char d’Apollon et les paysans-grenouilles du bassin de Latone. Il serait mort en expérimentant une nouvelle technique, efficace mais toxique, pour peindre sur le marbre : Colbert aurait alors fait saisir, pour la postérité, le morceau sur lequel l’artiste travaillait et où il avait eu le temps de représenter un mascaron crachant des fleurs et des fruits.

Portrait de Nicolas Bailly, par Nicolas de Largillierre, vers 1715. Huile sur toile, 82 × 65 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 6258. © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin

Deux mille trois cent soixante-sept peintures inventoriées

Plus prudent que son père, Nicolas Bailly, tout en maintenant une modeste activité de peintre et de graveur, se tourna vers le commerce et l’histoire de l’art, ce qui lui valut, en 1699, de succéder à Charles Le Brun comme garde général des tableaux du roi. Assisté de trois gardes ordinaires, l’un à Paris, l’autre à Versailles, le dernier aux Gobelins, il s’attela à la rédaction d’un nouvel inventaire des deux mille trois cent soixante-sept peintures appartenant aux collections royales – elles n’étaient que quelques centaines à l’avènement de Louis XIV – en adoptant un classement par école. Standardisée, la description des œuvres précisait leurs dimensions, leur support et la présence éventuelle d’un cadre. Les proportions des personnages étaient, elles aussi, mentionnées afin de faciliter les accrochages. Enfin, innovation par rapport aux versions précédentes, les localisations furent scrupuleusement indiquées, et même pièce par pièce à Versailles : Nicolas Bailly devait les signaler chaque semaine au surintendant des bâtiments, son supérieur hiérarchique, qui conservait une copie de son inventaire. Mais le déplacement et l’entretien des œuvres étaient confiés aux gardes ordinaires, préfigurations des régisseurs et restaurateurs que nous connaissons aujourd’hui.
Acquis en 1931 auprès des descendants du modèle, le portrait de Nicolas Bailly le représente dans ses fonctions, tenant un porte-mine où sont insérés une pointe de sanguine et un morceau de craie blanche, la main appuyée sur un châssis recouvert d’une toile peinte en bleu. Son regard, vif et perçant, soutient celui du spectateur. Un peu de poudre blanche, échappée de sa perruque, vient maculer sa belle veste brune. Typique de l’art de Nicolas de Largillierre (1656-1746), le tableau est la seule effigie connue du garde des tableaux du roi, qui semble l’avoir particulièrement appréciée : il précise dans son testament qu’elle doit revenir à son fils aîné Jacques, appelé à lui succéder, et non pas à ses soeurs. Actuellement en restauration, le tableau rejoindra les salles Louis XIV, au premier étage de l’aile nord.

Élodie Vaysse,
Conservateur au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

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