Horace Vernet,
peintre politique

On peine à suivre l’artiste que l’aisance à peindre, la fougue, une certaine désinvolture rendent inclassable. Pour la première fois, une exposition tente de cerner cette personnalité faite de contradictions.

Mazeppa, par Horace Vernet, 1826, Avignon, musée Calvet. © Avignon, musée Calvet / Don de l’auteur à la Fondation Calvet en 1824 © Avignon, musée Calvet / Don de l’auteur à la Fondation Calvet en 1824

Horace Vernet (1789-1863) doit beaucoup au soutien de Louis-Philippe, roi des Français de 1830 à 1848, et est très présent à Versailles. Fils et petit-fils de peintres, l’artiste est bien introduit dans les milieux artistiques, auprès des pouvoirs publics et de la famille royale. Il a reçu plusieurs commandes sous l’Empire et sa faveur continue sous la Restauration et sous la monarchie de Juillet. Ses œuvres abondent dans les Galeries historiques, en particulier pour des sujets concernant la conquête de l’Algérie, dans les salles d’Afrique.

L'œuvre Prise de la Smalah d'Abd-el-Kader par le duc d'Aumale à Taguin, 16 mai 1843 occupant la longueur du mur d'une des salles d'Afrique. © EPV / Thomas Garnier

Les contemporains d’Horace Vernet ont vu en lui un enfant prodige, un talent facile, abondant et incisif, faisant de l’escrime d’une main, de la peinture de l’autre. Vernet s’est amusé à se mettre en scène dans son atelier, faisant croire à son improvisation, arguant de sa mémoire impressionnante. À l’automne 2023, une exposition monographique lui est consacrée pour la première fois au château de Versailles. Elle réunira près de deux cents œuvres venant du monde entier et montrera l’audace de l’artiste, mais aussi sa complexité, tout en restituant son travail acharné, avec des esquisses et des tableaux inachevés.

Bataille de Las Navas de Tolosa, 1212, par Horace Vernet, 1817, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © © RMN-GP (Château de Versailles) © Gérard Blot

La complicité avec Théodore Géricault

Appartenir à une dynastie d’artistes a marqué toute la carrière d’Horace Vernet. Les premiers sujets qu’il a traités sont des échos de l’épopée impériale à la suite des œuvres de son père, Carle Vernet. Durant son apprentissage au sein de sa famille, l’artiste s’est lié avec Théodore Géricault, qui devint son mentor. Tous deux ont partagé un goût pour les sujets d’actualité, une prédilection pour les chevaux, comme la course des chevaux libres à Rome, et une réelle connaissance de la poésie de Lord Byron. Horace Vernet était un artiste romantique majeur, reconnu comme tel en 1822, lorsque le Salon refusa ses œuvres qui présentaient des cocardes tricolores. L’artiste provocateur, surveillé par la police, ouvrit alors son atelier pour une exposition privée qui remporta un énorme succès.

Peintre du Juste-Milieu

Son engagement esthétique fut toujours politique et contestataire. L’exposition montrera le renouveau de sujets napoléoniens, même si sa vénération pour l’empereur n’écarte pas chez lui un certain opportunisme exploitant un filon lucratif.

« Il réalisa surtout des scènes de bivouac et montra le désenchantement militaire, mais aussi des sujets proches de l’allégorie. »

 

Le Soldat laboureur, par Horace Vernet, 1822, Londres, The Wallace Collection. © Londres, Wallace Collection /

Il réalisa surtout des scènes de bivouac et montra le désenchantement militaire, mais aussi des sujets proches de l’allégorie, comme Le Soldat laboureur. Dans le même temps, l’artiste répondait aux commandes de Louis XVIII et de Charles X, tandis que les tableaux que le duc d’Orléans lui commandait participent de la propagande familiale, puis à celle du roi Louis-Philippe. Libéral, Vernet le fut jusqu’en 1830. Après son ralliement à la monarchie de Juillet, il devint le symbole du Juste-Milieu, expression employée en 1831 par un critique, et qui désigne par la suite les peintres en vogue dans les années 1830-1840, Paul Delaroche ou Horace Vernet.

 

Portrait du pape Pie VIII, par Horace Vernet, 1831, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Christophe Fouin

 

L’expérience romaine

L’artiste qui avait échoué au Prix de Rome fut élu à l’Institut en 1826, puis nommé directeur de la Villa Médicis de 1829 à 1834. Cette période romaine est cruciale, puisqu’il défendit les pensionnaires de la Villa Médicis contre l’administration parisienne. Surtout, Vernet prit conscience de l’importance des maîtres anciens. Il se sentit élève et voulut tout réapprendre. Il y a là une véritable rupture, dans le Portrait du pape Pie VIII, qui suscita l’incompréhension des critiques parisiens. Car, durant toute sa carrière, ses tableaux ont été appréciés, parfois encensés, tout en étant aussi le sujet constant de réprimandes.

À Rome, Vernet réalisa un certain nombre de sujets italiens, des scènes de brigands et des paysages. Il réalisa aussi de magnifiques portraits, genre qu’il avait développé à Paris dans les années 1820. Sachant aussi bien satisfaire les personnalités officielles que les artistes, très vite il se fit une spécialité des portraits d’artistes réalisés en une seule séance de pose, d’une facture énergique et sensible. Rome fut aussi le moment d’un « dialogue » à distance avec l’art d’Ingres et surtout avec l’art de Raphaël. De nombreux portraits inédits seront présentés à côté des chefs-d'œuvre les plus célèbres.

Sujets pittoresques et militaires

L’expédition d’Égypte avait introduit la vogue des sujets orientalistes, et ce fut par cette voie que Vernet entra en Orient avec l’évidence d’une peinture pittoresque et militaire. Il découvrit l’Algérie en 1833, un an après le voyage de Delacroix au Maroc. Dès lors, son intérêt pour les habitants et leurs costumes pittoresques a accompagné son esprit de conquête. En marge des commandes pour les salles d’Afrique seront présentés les sujets algériens civils et les sujets bibliques et religieux, de la monarchie de Juillet et du Second Empire. La grande nouveauté d’Horace Vernet a été de représenter les personnages de l’Ancien Testament avec les costumes des Arabes modernes dès 1836-1837, par exemple dans Agar chassée par Abraham. Ce choix n’a pas été compris, mais il est évident que Vernet s’intéressait à l’anthropologie, il fit partie de la Société ethnographique, adopta le costume des Spahis de Yusuf, et exposa sa théorie sur le costume à l’Institut.

Les colonnes d’assaut se mettent en mouvement lors du siège de Constantine, 13 octobre 1837, par Horace Vernet, 1838, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Christophe Fouin

Pour beaucoup, Horace Vernet s’est fait la spécialité des scènes de batailles, d’abord napoléoniennes puis de la conquête d’Algérie. Parmi les premières œuvres commandées pour les salles d’Afrique, Vernet exposa les trois toiles sur la prise de Constantine au Salon de 1839. Les conquêtes successives de l’armée française célèbrent la tactique mise en place par les fils de Louis-Philippe, jusqu’à la Prise de la smalah d’Abd-el-Kader exposée au Salon de 1845. Au lieu de chercher une unité d’action, l’artiste a montré le pittoresque des anecdotes ; il a éparpillé l’intérêt du spectateur dans une composition qui tient du panorama.

La peinture d’Horace Vernet montre les préjugés racistes et antisémites de son auteur qui, opportuniste, a profité de la conquête coloniale en achetant une ferme. Certains diront que son racisme était celui de son temps largement accepté, normalisé et qu’il suffit de contextualiser son comportement. Pourtant, dès son époque ont été posées des questions sur la brutalité de la conquête militaire de l’Algérie qu’Horace Vernet n’a pas abordées. Sa vision pittoresque est celle d’une société bien pensante, dominatrice et oublieuse des autres. Son inspiration hétéroclite ne facilite pas l’organisation d’une exposition sur cet artiste : Vernet fut à la fois tout et son contraire.

Portrait de Louise Vernet, par Horace Vernet, 1829-1830, Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

L’exposition montrera comment Horace Vernet a transcrit dans ses œuvres ses propos péremptoires, son mépris, ses ruptures et ses hésitations. Sans le censurer, le catalogue questionnera son aveuglement et sa radicalité, tout en s’attachant à déconstruire quelques mythes pour mieux comprendre l’artiste, son rapport au pouvoir et ses stratégies de carrière.

Valérie Bajou,
conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°23 (octobre 2023-mars 2024).


À VOIR

Exposition Horace Vernet
Du 14 novembre 2023
au 17 mars 2024
Château de Versailles – Salles d’Afrique et de Crimée

Horaires : Tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 17 h 30 (dernière admission à 17 h).

Billets : Accessible avec le billet Passeport ou le billet Château.
Pour les bénéficiaires de la gratuité : gratuité et tarifs réduits sur le site chateauversailles.fr
Réservation horaire obligatoire.

Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».

COMMISSARIAT

Valérie Bajou,
conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Scénographie :
Antoine Fontaine,
Roland Fontaine, Perrine Villemur

AUTOUR DE L’EXPOSITION

Visites guidées de l’exposition
Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr

Visites en famille
Plusieurs activités pour les familles sont proposées.

Un parcours audio à télécharger gratuitement sur l’application
mobile : onelink.to/chateau
Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles »
à découvrir sur chateauversailles.fr/abonnes

À LIRE
Le catalogue de l’exposition
Coédition château de Versailles / Faton
448 p., 24 × 27 cm, 54 €
Disponible sur boutique-chateauversailles.fr

Un livret-jeu gratuit pour les 7-12 ans,
disponible sur chateauversailles.fr et en distribution libre à l’entrée de l’exposition.
En partenariat avec Le Petit Léonard.

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