400 ans : Escalier
à remonter le temps

L’anniversaire du château, c’est aussi quatre cents ans de vies d’hommes et de femmes qui l’ont occupé diversement selon leur condition. Arrêtons-nous quelques instants dans l’un des lieux les plus anciens, l’« escalier des Dupes », en référence à un événement fondateur pour Louis XIII, et regardons passer ceux qui l’ont emprunté.

L’escalier des Dupes, à l’emplacement de celui qu’emprunta Richelieu en 1630, avec ses marches usées par le passage des rois et de leurs proches. © EPV / Didier Saulnier.

Ce modeste escalier en vis jouxte le salon de l’Œil-de-Bœuf, dans le passage qui rejoint les appartements du Roi (au nord) à ceux de la Reine (au sud). Il est étroit – d’une soixantaine de centimètres de large environ – et court du rez-de-chaussée jusqu’aux toits.

L’« escalier des Dupes »

On lui donne encore parfois improprement le nom d’« escalier des Dupes ». Construit lors des premiers réaménagements de Louis XIV, au début des années 1660, il occupe, en effet, l’emplacement d’un ancien escalier où l’on peut s’imaginer le cardinal de Richelieu gravissant les marches quatre à quatre, le 11 novembre 1630, dans ce qui n’était encore que le premier château de Louis XIII, avant sa reconstruction dès l’année suivante.
La situation politique était grave : la veille, au palais du Luxembourg, Marie de Médicis, la mère du monarque, avait pratiquement convaincu son fils de renvoyer son principal ministre. Retiré à Versailles pour mieux réfléchir, le roi accepta d’y recevoir dans son cabinet l’homme d’Église, arrivé discrètement par l’escalier dérobé et venu se justifier. Louis XIII, fort content de ce qu’il entendit, conserva les pleins pouvoirs à Richelieu et renvoya sa mère qui dut partir peu de temps après sur les chemins de l’exil. Fort étonné par la tournure que prit l’événement, l’un des témoins, le comte de Serrant, s’écria : « C’est la journée des dupes ! »

© EPV / Didier Saulnier.

Un passage discret, parcouru par les plus proches du roi

Sous les règnes suivants, cet escalier ne conduisait plus aux complots, mais à l’intimité des souverains : Louis XIV, puis Louis XV l’utilisaient pour se rendre chez le dauphin, au rez-de-chaussée (l’escalier aboutit aujourd’hui au revers de la salle de bains de Marie-Antoinette). Ils n’étaient alors accompagnés que de leurs plus proches domestiques : entendons les pas empressés de ces capitaines des gardes, de ces premiers gentilshommes de la chambre et, surtout, de ces premiers valets de chambre. La pièce que desservait l’escalier au premier étage (ainsi que les espaces entresolés, au-dessus) dépendait précisément de l’appartement de service du premier valet de chambre de quartier.
Il s’agissait donc des membres de grandes dynasties commensales, tels les Bontemps, les Nyert, les Champcenetz ou encore les Lebel, dont les voix résonnaient dans le passage resserré. N’étaient-ce pas ces fidèles serviteurs qui accompagnaient le roi à la chambre de la Reine, et uniquement dans ce sens, le mémorialiste Luynes précisant que, selon la volonté de l’épouse de Louis XV en 1741, le verrou de la porte qui séparait la pièce de service du valet de celle de la première femme de chambre de la reine devait se trouver précisément du côté du souverain… ?

« Au-delà des entresols, au second étage, l’escalier desservait des appartements destinés à certains courtisans. »

L’escalier du comte de Fersen

Au-delà des entresols, au second étage, l’escalier desservait des appartements destinés à certains courtisans avant que, quelques décennies plus tard, il ne menât directement à ce qui faisait partie désormais de l’appartement privé de Marie-Antoinette. Au sortir de celui-ci, avant le cabinet du billard de la Reine, le visiteur débouchait sur deux minuscules pièces au décor des plus simples.

Le comte Axel de Fersen à l’âge de 28 ans, XVIIIe siècle, musée
franco-américain du château de Blérancourt. © RMN-Grand Palais
(château de Blérancourt) / © Michel Urtado.

Malgré cette sobriété, il semblerait pourtant que cet espace fût celui réservé au comte Hans Axel de Fersen, « l’ami » de la souveraine. Plusieurs éléments concordants, mis notamment en lumière par Evelyn Farr1, permettent de l’affirmer. En effet, le registre consignant la correspondance du comte suédois évoque à plusieurs reprises, à partir de son retour dans la cité royale en 1787, « l’appartement d’en-haut » à Versailles, dans les petits cabinets de la Reine. En octobre de cette même année, il demanda des aménagements pour un poêle. La requête fut prise en compte seulement quelques jours plus tard, à la demande de Marie- Antoinette, comme le mentionne le directeur général des Bâtiments : « La reine a envoyé chercher le poêlier suédois qui a fait des poêles à l’appartement de Madame, que Sa Majesté lui a ordonné d’en faire un dans un de ses cabinets intérieurs avec des tuyaux de chaleur pour échauffer une petite pièce à côté. »
Au revers de la Grande Galerie, cet escalier dérobé, mais non secret, reste ainsi un véritable témoin du palais quadricentenaire, tel un ascenseur générationnel.

Mathieu da Vinha,
directeur scientifique du Centre de recherche du château de Versailles

1 Evelyn Farr, Marie-Antoinette et le comte de Fersen. La correspondance secrète, Paris, L’Archipel, 2016.

 

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