L'appel
d'André Cornu
(1er février 1952)

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le château de Versailles se trouve dans un état de dégradation très préoccupant. Les avertissements répétés d’André Japy1, de Charles Mauricheau-Beaupré2 et de René Perchet3 peinent à mobiliser l’opinion.
C’est alors qu’André Cornu (1892-1980), sénateur des Côtes-du-Nord et nommé secrétaire d’État aux Beaux-Arts rattachés au ministère de l’Éducation nationale, lance un cri d’alarme.
Extrait de l'article « La IVRépublique au chevet de Versailles »
dans la revue Château de Versailles n°46.

Le château de Versailles sous la Quatrième République. Carte postale, vers 1950. © Geneanet

[…] À peine nommé, André Cornu prend connaissance du rapport rédigé par André Japy et René Perchet deux années auparavant : « Je n’avais pas attendu d’être ministre des Beaux-Arts pour aimer Versailles, mais comme tout le monde, j’en ignorais les misères secrètes », confiera-t-il. Quelques mois plus tard, en novembre 1951, une importante chute de neige sur Versailles sert d’élément déclencheur. En raison de l’état de la toiture, la fonte de la neige engendre de dramatiques infiltrations d’eau qui endommagent directement l’intérieur du château. […] Il pleut dans la galerie des Glaces. Les peintures sont menacées. Il en est de même dans la chambre du Roi et dans plusieurs salons. Cet état de délabrement de Versailles nécessite, sans plus tarder, une intervention immédiate des pouvoirs publics pour éviter le pire. […] André Cornu décide aussitôt de se rendre sur place et de constater par lui-même la situation. Pour cette visite, fixée à la date du 24 novembre, le secrétaire d’État aux Beaux-Arts convie de nombreux journalistes et personnalités politiques […]

« Sauvons Versailles ! »
L’assemblée se rend tout d’abord à l’Opéra royal où André Japy insiste fortement sur la nécessité de refaire la charpente et la toiture, ce qui est évalué à environ 330 millions de francs. La visite se prolonge ensuite par les toitures et les Grands Appartements, pour s’achever dans le parc. À l’issue de la journée, aux microphones qui lui sont tendus, André Cornu déclare sans détour : « Je voudrais dire d’une manière très nette que j’espère que nous trouverons ces crédits d’une manière ou d’une autre et qu’en tout cas, c’est une question qui urge […]. Nous avons l’intention de réparer [le château] dans le moindre délai possible, si toutefois nous en avons les moyens. » Cette visite du 24 novembre 1951 trouve un écho relativement important dans la presse et se montre plus efficace que la campagne amorcée en 1949. Les journalistes alternent entre consternation et indignation face à l’inaction du gouvernement. « Les Actualités françaises », programme diffusé avant les séances de cinéma et donc susceptible de toucher un large public, va même jusqu’à consacrer, dans son édition du 13 décembre, un court reportage intitulé « Sauvons Versailles ! ». Après avoir envisagé de lancer un emprunt de 5 milliards de francs pour rassembler les fonds nécessaires à cette gigantesque œuvre de remise en état, André Cornu opte finalement pour la solution d’une souscription nationale : « Je ne voulais pas que la restauration de Versailles, partie intégrante du patrimoine français, fût assurée uniquement par des étrangers, fussent-ils aussi bons amis que les Américains », argumentera André Cornu une vingtaine d’années plus tard.

Portrait d’André Cornu. Coll. particulière.
Secrétaire d’État aux Beaux-Arts entre 1951 et 1954, André Cornu a fait de la cause de Versailles l’une des priorités de son action politique.© DR

Lancement d’une souscription nationale
L’objectif est donc non seulement de récolter de l’argent, mais aussi de tenter de sensibiliser les Français au sort de leur patrimoine et de les fédérer autour de Versailles, ce qui montre d’emblée que le mouvement a également des visées morales et patriotiques. André Cornu est un homme habitué aux médias et parfaitement conscient de leur importance pour mobiliser l’opinion. Le secrétaire d’État dispose, en effet, d’un solide réseau de connaissances dans la presse, d’une grande utilité pour la campagne dans laquelle il se lance. Afin d’ouvrir la souscription de la manière la plus efficace possible et de lui accorder une large diffusion, André Cornu choisit de lancer un appel à la radio pour marquer symboliquement le début de la campagne de sauvegarde. Dans son allocution radiophonique du 1er février 1952, le secrétaire d’État annonce deux mesures importantes, la première étant l’ouverture d’une souscription […]. La seconde mesure est la création d’un « Comité national pour la sauvegarde du château de Versailles ». Comme le rapportera André Cornu dans ses mémoires, son allocution du 1er février 1952 aura joué un rôle majeur : « Son retentissement […] dans le pays fut plus grand encore que je ne pouvais m’y attendre. La presse fit écho à mon appel. L’opinion publique fut concernée, et des lettres émouvantes commencèrent à affluer au ministère. »

Mathieu Geagea,
historien

1 Architecte en chef du château depuis 1940.
2 Conservateur en chef du domaine des musées de Versailles et de Trianon depuis 1941.
3 Directeur de l’Architecture au ministère des Affaires culturelles depuis 1947.


Extrait de l’allocution radiophonique d’André Cornu dans l’émission
« Paris vous parle », le 1er février 1952
« Je viens jeter un cri d’alarme et faire appel à tous les Français pour qu’ils m’aident à sauver de la ruine leur bien commun le plus prestigieux : le château de Versailles. […] Ce n’est pas seulement un chef-d'œuvre de l’art qu’on peut craindre de voir disparaître, mais, en chacun de nous, Français, une image de la France qu’aucune autre ne saurait remplacer. Pascal, Descartes, Racine, La Fontaine, Molière, Mansart, Le Brun, Le Nôtre, Lully, Charpentier, tous ces génies qui ont illustré le Grand Siècle sont, pour ainsi dire, solidaires de Versailles. […] C’est pourquoi j’ai la conviction que mon appel sera entendu et que tous ensemble nous sauverons Versailles. La somme nécessaire est, il est vrai, considérable puisqu’il s’agit de cinq milliards. Mais, si chacun de vous apportait la plus modeste contribution, cette somme serait aisément couverte. J’ai calculé que si chacun y affectait l’argent d’un paquet de Gauloises, les cinq milliards seraient trouvés. »


La revue Château de Versailles

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le n°46 de la revue Château de Versailles (avril-juin 2022). La revue est disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du Château : boutique-chateauversailles.fr

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