magazine du château de versailles

Esprits des lieux

Sa restauration permettra de redécouvrir l’appartement de madame Du Barry dans toute sa splendeur lors de l’exposition consacrée à Louis XV à partir du 18 octobre 2022. Frédéric Didier nous relate ces travaux sur les traces de l’un de ses prédécesseurs, André Japy (1883-1960).

Détail d’une corniche du grand cabinet de l’appartement de madame Du Barry montrant deux amours. © Château de Versailles / D. Saulnier

Pourquoi mener cette restauration aujourd’hui ?
Frédéric Didier : Il était temps de lancer ces travaux à la suite des dégâts causés par des fuites d’eau dues à la tempête de 1999, et de restaurer ainsi de précieux décors. Dans ce projet, le mécénat d’AXA a été un formidable soutien dont nous nous réjouissons tous.

Quelles sont les particularités de cet appartement, situé au cœur du château ?
La transformation en musée de l’histoire de France par Louis-Philippe a été radicale, notamment pour les parties les plus intimes du château. La plupart des appartements des courtisans, aile du Nord ou aile du Midi, ont disparu ; le rez-de-chaussée du corps central a été particulièrement touché, notamment l’appartement du Dauphin1.
Celui de madame Du Barry, lui, est resté quasiment intact depuis son aménagement, en 1770. Il a échappé aux assauts de l’histoire pour une raison assez simple : il est resté longtemps habité, notamment durant la Révolution. Il est ainsi le seul endroit dans le château dont les insignes royaux, fleurs de lys et doubles « L », n’ont pas été bûchés sous la Terreur. Durant la Commune, il a servi de logement au ministre des Travaux publics, puis a été utilisé par la chambre des Députés jusqu’aux années 1890. Ainsi, et de plus en plus au fil du chantier, avons-nous été frappés par l’authenticité de cet appartement.

Au niveau des pièces d’apparat en enfilade, côté cour de Marbre, une embrasure de lucarne dépouillée de ses sous-faces cintrées en vue de la restauration des lieux. © Château de Versailles / D. Saulnier

Comment pourriez-vous plus précisément nous décrire ces lieux ?
C’est un appartement à plusieurs visages, ce qui le rend terriblement attachant. Au deuxième étage du château, dans des soupentes aux proportions parfois ingrates, il a fallu toute l’ingéniosité des architectes Jacques V, puis Ange-Jacques Gabriel pour en faire un lieu de vie à la fois raffiné et confortable. Magnifiquement placé au niveau de la cour de Marbre, l’appartement comporte une enfilade de pièces d’apparat derrière lesquelles se déploie un véritable dédale. Plusieurs escaliers et pas moins de cinq entrées permettent d’y accéder !
Une fois à l’intérieur, on est ébloui par une palette de décors en couleurs. Autrefois, ceux-ci étaient nombreux dans le château, mais la plupart ont disparu au profit de teintes plus uniformes, grises ou blanches, à la fin de l’Ancien Régime, période de référence adoptée usuellement pour les travaux menés à Versailles. En ce qui concerne l’appartement de madame Du Barry, néanmoins, il a été décidé depuis longtemps de s’arrêter à l’état de 1774, jugé plus pertinent, quand la favorite quitte précipitamment le château au décès du roi. Ses couleurs avaient donc été restituées, selon des traces existantes, par l’un de mes prédécesseurs. Il n’y a pas de façon univoque, vous savez, de restaurer ce palais. C’est une question d’éléments en présence : des vestiges, des espaces, des moments de l’histoire…

« Il n’y a pas de façon univoque de restaurer ce palais. C’est une question d’éléments en présence : des vestiges, des espaces, des moments de l’histoire… »

Vous faites allusion à la restauration menée par André Japy, entre 1942 et 1947…
Oui, la seule restauration menée en cet endroit, il y a trois quarts de siècle, par un architecte infiniment respectueux des lieux et auquel je tiens à rendre hommage, ainsi qu’à son collaborateur, Henri Racinais, qui avait scrupuleusement consigné le déroulement du chantier. Il avait notamment rassemblé toute une campagne photographique sur plaques de verre. Avec un premier objectif : restituer les volumes d’origine de l’appartement qui avait été, après le départ de madame Du Barry, divisé en trois par des cloisons2. Sous l’impulsion d’André Japy, le grand cabinet, la salle à manger et la chambre avaient donc retrouvé leur ampleur. Ces remises en état avaient été parfois radicales, laissant une impression de raideur, mais nous avons pu constater que tout était bien à sa place, avec les formes adéquates, comme, en grande partie, les chantournements3 des boiseries.

L’une des photographies sur plaque de verre montrant le chantier de restauration de l’appartement de madame Du Barry par André Japy, dans les années 1940. © Château de Versailles / Archives

Il nous faut peut-être, à ce propos, évoquer les placards qui étaient dans l’antichambre ?
Sur ce sujet, Japy est passé complètement à côté de « l’état Du Barry », ce qui demeure inexplicable. Ces buffets, c’est également après 1774 qu’ils ont été montés dans l’antichambre, alors rattachée à l’appartement de Villequier et utilisée comme salle à manger. Les lambris et les teintes que nous avons retrouvés derrière en témoignent sans ambiguïté. Ceux-ci nous ont permis de comprendre, puis de rétablir aisément les dispositions précédentes, selon une symétrie usuelle des placards, de part et d’autre de la cheminée. Quant aux buffets, ils ont été placés en réserve. La vaisselle qui y était présentée dans l’ancien circuit de visite sera désormais visible dans la pièce où il était d’usage de la ranger, du temps de madame Du Barry : la salle des buffets, en toute logique ! Tout reprend donc sens à partir d’une simple modification de boiserie.

Comment donc avez-vous procédé par rapport à cette restauration antérieure ?
Pour le reste, l’intervention de Japy s’est avérée d’une grande pertinence. Nous nous sommes donc mis dans ses pas, mais en nous interrogeant sans cesse : était-il possible d’aller plus loin ? La période durant laquelle l’architecte avait œuvré, en pleine Seconde Guerre mondiale, avait pu le refréner, par manque de matériaux ou de moyens. Nous nous sommes donc livrés à une sorte de « jeu des sept erreurs », en vérifiant point par point la cohérence de l’ensemble en place par rapport à la documentation dont nous disposions et aux témoins préservés à l’issue de cette première restauration.

Dorure des moulures au niveau des ébrasures des lucarnes. © Château de Versailles / D. Saulnier

Mise en couleur des ornementations. © Château de Versailles / D. Saulnier

Des traces ont donc été conservées du temps de madame Du Barry ?
André Japy avait, en effet, laissé visibles, quand il y en avait, les traces de finition d’époque. Contrairement à bien d’autres chantiers postérieurs, où n’ont été conservées aucune preuve ni documentation, celles-ci ont été léguées à la postérité pour pouvoir, à tout moment, juger sur pièce. Cela nous a permis, par exemple, de nous rendre compte que les couleurs restituées par Japy, une fois nettoyées, correspondaient bien à celles de 1774 : le « vert émeraude », identifiable dans les ébrasements, de la salle à manger ou le « rose lilas », visible au revers d’une porte, combiné avec un beige, dans la pièce des buffets. Quant au ton mastic de l’antichambre, il s’est avéré très proche de l’état de référence, comme l’ont montré les lambris préservés derrière les placards rapportés. Ce qui est peut-être nouveau ici, c’est d’avoir considéré la restauration du XXe siècle comme une strate historique à part entière. Ainsi nous avons fait faire une campagne de photographies des pièces en enfilade après nettoyage et avant retouche des fonds et des dorures, campagne qui constituera pour nos successeurs un témoignage irréfutable de nos découvertes et, je l’espère, de la probité de notre travail.

Ces pièces en enfilade, les avez-vous modifiées ?
Non, nous avons procédé à une restauration à l’identique du grand cabinet, de la chambre et du cabinet d’angle, en corrigeant seulement quelques détails. Des médaillons au niveau de la corniche du grand cabinet, comme dans la salle à manger attenante, avaient disparu lors des cloisonnements de 1774. Ils ont été restitués. Nous comptions également intervenir sur les médaillons des ébrasements des fenêtres : ils étaient à l’origine ornés d’une sculpture que nous pouvions aisément retrouver à partir des fantômes. Mais pourquoi celle-ci avait-elle été bûchée alors que, ainsi que je vous l’ai dit, le reste de l’appartement avait été épargné par la Révolution ? Nous avons fi ni par comprendre que ces médaillons, inscrits dans des boiseries datant de 1735, bien avant l’installation de madame Du Barry, avaient dû paraître ensuite démodés. C’est très probablement dans le souci d’alléger le décor qu’ils ont disparu : nous n’avions qu’à nous incliner. Suivant l’exemple de Japy, nous avons simplement reconstitué cette sculpture dans l’ébrasement le plus éloigné, au fond de la chambre, en guise de témoin.

Plan des changements à faire à l’appartement de madame Du Barry, par Anges-Jacques Gabriel, 22 juillet 1770. © Paris, Archives nationales (France) / avec le soutien du LabEx Patrima

© Château de Versailles / D. Saulnier

Vous êtes plus intervenus au niveau des pièces de service, semble-t-il ?
Oui, la restauration des années 1940 était plus contestable au niveau des petites pièces situées derrière l’enfilade et au fond de l’appartement. Sur le plan des couleurs, nous avons rétabli une continuité visuelle blanche et or, tout à fait logique, au niveau des espaces de circulation. En revanche, le cabinet de chaise et la salle de bains ont gardé leur décor blanc et bleu outremer indiqué par les rares témoins préservés.
Enfin, nous avons restitué une cloison que Japy, d’après un devis de 1943, avait bien l’intention d’installer : celle qui fermait la salle de bains du côté de la cour des Cerfs et dont nous connaissons précisément les dispositions grâce à des plans et des élévations d’Ange- Jacques Gabriel conservés aux Archives nationales. Je me plais à imaginer André Japy découvrant le résultat et déambulant aujourd’hui dans l’appartement aux couleurs ravivées par leur nettoyage et quelques glacis discrètement harmonisés…

Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

 

1 L’appartement du Dauphin vient d’être restauré.
2 Chaque partie a été rattachée respectivement à l’appartement du duc de Villequier, à celui du premier valet de chambre du roi Marc-Antoine Thierry et à celui du comte de Maurepas.
3 Ensemble des sinuosités qui forment les cintres d’un ouvrage.

 

Pour une meilleure protection des espaces

La restauration de l’appartement de madame Du Barry a compris l’isolation de son enveloppe, depuis les combles, juste au-dessus, et derrière les lambris. Dans un souci environnemental assez récent dans le cadre des Monuments historiques, cette isolation permettra de limiter les dispositifs de traitement d’air1.
Par ailleurs, l’électricité, conduite discrètement jusqu’à des bras de lumière, a été installée, ce qui donnera la possibilité de visiter l’appartement à tout moment, sans avoir à manipuler les volets anciens.

 

1 Travaux de mise en sécurité du corps central nord dans le cadre du schéma directeur lancé depuis 2007.

 

La restauration de l’appartement de madame Du Barry a bénéficié du soutien du groupe AXA.

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