Du ciel
au fond des mers

Trois ans avant la Révolution, comment enseignait-on au dauphin la place de la Terre dans l’univers et la formation des continents ?
Le globe de Mentelle, totalement inédit par sa forme d’objet gigogne, en donne une représentation en relief.

Détail de la voûte céleste du globe de Mentelle. © Château de Versailles / Christophe Fouin

Prêt à long terme de la Bibliothèque nationale de France, le globe de Mentelle vient de retrouver sa place dans l’appartement du Dauphin restauré. C’est à la demande de Louis XVI que fut réalisé, entre 1786 et 1789, ce monument composite de 2 mètres 40 de hauteur. Conçu pour l’éducation de son fils aîné, l’objet scientifique donnait de la géographie l’image d’une discipline moderne tout en reliant la dynastie à l’ordre cosmique.

« L’objet scientifique donnait de la géographie l’image d’une discipline moderne tout en reliant la dynastie à l’ordre cosmique. »

 

Le globe terrestre réalisé par Edme Mentelle (géographe), François Vernet (peintre), Jean-Nicolas Gardeur (sculpteur), Louis Chatard (doreur) et Jean-Tobie Mercklein (mécanicien), entre 1786 et 1788. Bibliothèque nationale de France. © Château de Versailles / Christophe Fouin

La surface terrestre est représentée sur la calotte extérieure dont les hémisphères peuvent se séparer en deux parties correspondant au Nouveau Monde (Amérique et Pacifique) et à l’Ancien (Eurasie et Afrique) le long du méridien de référence (à l’époque, celui de l’île de Fer, dans les îles Canaries). Ces hémisphères portent sur leurs revers les constellations du ciel, dessinées en blanc sur fond « bleu céleste », et les étoiles les plus brillantes, celles des quatre premières grandeurs1, en cuivre doré. À l’intérieur, se niche un autre globe représentant, en cire, les reliefs de la Terre, ceux des chaînes de montagnes, mais aussi ceux du fond des mers, ce qui était à l’époque complètement novateur.

Géographie comparée

La commande royale est passée auprès d’Edme Mentelle (1731-1799), professeur d’histoire et de géographie à l’École militaire, mais c’est une équipe nombreuse qui assure la fabrication de l’objet (voir encadré ci-dessous). Plusieurs ingénieurs dessinateurs sont employés à tracer les pointes et limites des constellations, le carroyage, les contours géographiques et la toponymie. Quant au jeune ingénieur géographe Jean-Baptiste Poirson (1761-1831), il se charge de réaliser des cartons mobiles, aujourd’hui disparus, que l’on pouvait fixer au moyen de vis sur le globe en relief : ils permettaient d’enseigner « mécaniquement » la géographie comparée, en superposant frontières anciennes et modernes.

Considérer la surface solide de la Terre

Le contenu géographique et astronomique du globe de Mentelle est fidèle aux connaissances françaises du temps. Le globe interne illustre notamment la théorie formulée en 1752 par Philippe Buache (1700-1773) sur la répartition des chaînes de montagnes qui constitueraient une véritable « charpente » du globe se prolongeant sous la mer. Toujours dans le sillage de Buache, une vaste et hypothétique « mer de l’Ouest » figure, sur la calotte extérieure, comme une profonde entaille au niveau de la rive occidentale de l’Amérique du Nord. Quant à l’Australie, elle paraît vierge de toute toponymie, signe sans doute d’un projet avorté de mise à jour à l’issue des expéditions franco-britanniques de Nicolas Baudin et Matthew Flinders (1800-1803).

Détail de la surface terrestre au niveau de la "mer de l'Ouest" que l'on se figurait alors en Amérique du Nord. © Château de Versailles / Christophe Fouin

Le ciel figuré au revers des deux calottes amovibles inscrit le globe du Dauphin dans une tradition très ancienne : tout comme le grand globe céleste de Coronelli offert à Louis XIV montrait la configuration des astres à la naissance du Roi-Soleil, celui de Mentelle indique les planètes « au lieu du ciel où elles se trouvaient le 22 octobre de l’année 1781 », date de naissance du jeune dauphin Louis Joseph (1781-1789) auquel il était destiné.

Catherine Hofmann, conservatrice générale, cheffe de service du département des Cartes et plans,
et Ève Netchine, conservatrice générale, directrice du département des Cartes et plans, à la Bibliothèque nationale de France

1 Selon le catalogue d’Hipparque qui range les étoiles en cinq grandeurs, en commençant par la plus brillante.


Un chef-d’œuvre conçu dans l’entourage royal

Partie inférieure du globe de Mentelle. © Château de Versailles / Christophe Fouin

L’ensemble tient sur un piétement de chêne décoré de trois dauphins qui cachent les supports sur lesquels repose la table d’horizon. Une forte coulisse permettait au globe de tourner. Supports et coulisse, mais aussi axes en acier, méridien de cuivre, vis et roulettes sont dus au mécanicien Jean-Tobie Mercklein (1733-1808), connu pour avoir fabriqué un tour à guillocher qu’affectionnait le souverain ; les ornements du socle – dauphins, vents et signes du zodiaque – ainsi que les sphères, en carton, et les reliefs, en cire, ont été exécutés par le sculpteur en carton et fabricant d’éventails Jean-Nicolas Gardeur, célèbre pour ses bustes de Louis XVI et de ses proches. Enfin, c’est l’un des membres de la famille Vernet, peintres de marine, qui reporta au trait, avec finesse, les figures célestes.


Globe trotteur

Le globe du Dauphin a connu ensuite de nombreux voyages : dès son achèvement, il suit le roi au palais des Tuileries, où il sert à l’enseignement de Mentelle en galerie de Diane. Napoléon Ier l’installe ensuite dans le Grand Cabinet avant de l’envoyer au garde-meuble. Son obsolescence et son état empêchent alors son transfert au palais de Meudon où il était projeté de fonder un institut impérial pour l’enseignement des princes du sang. Sa restauration étant jugée trop coûteuse, le globe est vendu en 1826 à un particulier. Il regagne les collections nationales en 1877 grâce à son achat par la Bibliothèque nationale de France. Son prêt au château de Versailles, à partir de 1983, permet à ce grand globe d’occuper la place qui lui était destinée lors de sa conception.


À VOIR

Bibliothèque du Dauphin. © Château de Versailles / Thomas Garnier

L’appartement du Dauphin
restauré et remeublé

en visite libre ou en visite guidée

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