Les mots de la balle

La restauration de la salle du Jeu de Paume permet de mieux accueillir le public dans un lieu emblématique de la République. Elle ne lui redonne certes pas son aspect originel, perdu lors de sa reconversion, en 1883, en musée de la Révolution française, mais garde des dispositions qui permettent de saisir les règles d’un jeu très populaire, immortalisé à travers de nombreuses expressions.

Un jeu de paume vu de la galerie du dedans, estampe tirée de l’Art du paumier-raquetier et de la paume, par François-Alexandre de Garsault, Paris, 1767.

« Épater la galerie » ; « rester sur le carreau » ; « qui va à la chasse perd sa place » ; « tomber à pic » ; « bisque, bisque, rage ! » : provenant de l’univers du jeu de paume, ces expressions passées dans la langue française témoignent de l’importance de cette activité dans les temps anciens qui touchait toutes les couches de la population. Le jeu de paume, et particulièrement celui de courte paume – joué dans une salle spécifique – a connu ses heures de gloire durant environ deux cents ans, entre les années 1450 et 1650. Chaque maison royale en abritait un ou plusieurs, notamment au Louvre, à Vincennes, à Compiègne ou à Saint-Germain. De nos jours, seule la salle de Fontainebleau, construite sous Henri IV, est encore dévolue à ce jeu qui est toujours pratiqué dans un très petit nombre d’endroits.
À Versailles, le jeu de paume élevé pour Louis XIII fut démoli sous Louis XIV pour permettre la construction du Grand Commun. Une nouvelle salle vint en 1686 le remplacer, bâtie en ville par des particuliers qui comptaient tirer parti de la présence de la Cour.

La salle du Jeu de Paume tout juste restaurée, avec ses galeries, le long de trois des murs, où se tenaient les spectateurs. ©EPV / Didier-Saulnier

Bonds et rebonds

Un jeu de paume se présente toujours sous la forme d’une salle rectangulaire dont un des grands côtés et les deux petits sont pourvus de galeries. S’y tiennent les spectateurs que l’on peut « épater » en réussissant un beau coup. Le terrain, dissymétrique, est divisé par un filet par-dessus lequel les joueurs se renvoient la balle qu’ils frappent à l’aide d’une raquette dont l’emploi s’est généralisé au cours du XVIe siècle. Originellement composé de rangs de dalles en calcaire de 30 cm de large environ, le sol de tout jeu de paume était nommé « carreau » (d’où viendrait l’expression « rester sur le carreau »).
La balle peut faire plusieurs bonds sur les murs et les toits des galeries, mais seulement un seul sur le sol. Si elle touche celui-ci une seconde fois, il y a point ou « chasse », selon la zone du terrain où la balle a rebondi. Et lorsque cela se reproduit durant le jeu, il y a changement de camp. Le joueur à la réception « chasse » alors celui au service qui perd cette place avantageuse : « qui va à la chasse perd sa place » ! Selon l’emplacement du rebond, la chasse porte un nom particulier. La meilleure est celle dite « pic », située à l’angle du sol et du mur du fond : on ne peut mieux « tomber à pic »… Autre manière, pour le joueur le moins talentueux (selon un système de niveaux comparable au tennis), de faire rager son adversaire : parmi les deux points qui lui sont d’emblée accordés, prendre la « bisque » à un moment stratégique.

Les grandes baies qui éclairent la salle du Jeu de Paume. © EPV / Didier-Saulnier

Des éléments caractéristiques

Malgré des transformations opérées au cours du XIXe siècle, la salle de Versailles a conservé bien de ces éléments caractéristiques : les galeries le long de trois des murs, une partie de l’ancien carreau, occulté par des couches postérieures, mais révélé lors des sondages en vue des travaux actuels, le « tambour » (décrochement sur le côté sans galerie formant un angle ouvert en saillie qui modifie la trajectoire de la balle si elle le touche), les grands fenestrages pour permettre au maximum de lumière d’éclairer la salle.

Yves Carlier,
Conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Salle du Jeu de Paume photographiée par l’Association des Photographes de la ville de Versailles entre 1896 et 1916. Archives du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Christophe Fouin

 


Une restauration en l’état de 1883

La salle du Jeu de Paume est restaurée, à peu de chose près, telle qu’elle a été transformée en musée consacré à la Révolution française, à la fin du XIXe siècle.

Projet de restauration de la salle du Jeu de Paume, par Edmond Guillaume, architecte des palais nationaux, 1882 : frise décorative, alternant les noms des signataires du serment du Jeu de Paume et des couronnes de laurier, et soubassement peint en rouge « pompéien ».
© Paris, Bibliothèque du Musée des Arts Décoratifs.

Elle a retrouvé notamment sa polychromie de l’époque, avec un sol en ciment noir, révélé par les sondages, et la teinte rouge pompéien de ses soubassements qu’avait choisie Edmond Guillaume, l’architecte des palais nationaux chargé, à l’époque, de cette reconversion.
Les décors peints et les bustes sculptés ont été également restaurés, ainsi que la grande huile sur toile marouflée de Merson qui domine toujours aujourd’hui les lieux et dont ont été restituées les frises aux motifs végétaux latérales.


Participation citoyenne pour le berceau
de l’Assemblée nationale

Pour financer son projet de tableau dont se servira plus tard Merson, Jacques-Louis David avait autrefois convaincu la Société des Amis de la Constitution (ancien club des Jacobins) de lancer une souscription nationale qui fut complétée par le Trésor public. Pour la restauration de la salle du Jeu de Paume, le président de l’Assemblée nationale a proposé de solliciter les députés qui ont ainsi contribué au lancement des travaux. Ceux-ci bénéficient, par ailleurs, du plan de relance mis en place par le gouvernement.


Le lieu d’un instant historique

C’est le 20 juin 1789, lorsque de nombreux députés réunis à l’occasion des États généraux prêtèrent le serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution au Royaume, que le jeu de paume de Versailles est entré dans l’histoire. Il incarne le prélude aux événements révolutionnaires qui entraînèrent la chute de l’Ancien Régime.
Acquis par la Convention en 1794 pour devenir un des symboles de la nouvelle République, le lieu connut de nombreuses vicissitudes pendant une grande partie du XIXe siècle. Tour à tour atelier du peintre Gros, hospice militaire, atelier du peintre Horace, il fut largement défiguré avant d’être réhabilité comme jeu de paume sous le Second Empire. C’est à ce moment que furent refaites les galeries qui avaient été ôtées.
En 1880-1883, la salle fut entièrement restaurée pour en faire un temple à la gloire de la Révolution. C’est alors que Luc-Olivier Merson réalise, à partir du projet initié en 1790 par Jacques-Louis David – et dont le château présente, à l’attique Chimay, la seule partie conservée – la grande huile sur toile marouflée représentant la scène du serment.
L’essentiel de ce qui caractérise un jeu de paume sert ainsi de cadre à la présentation d’œuvres commémorant ce jour du 20 juin 1789.

Serment du Jeu de Paume [détail], par Luc-Olivier Merson, d’après Jacques-Louis David, 1883. Salle du Jeu de Paume, à Versailles. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Gérard Blot


À SUIVRE

À l'occasion de cette restauration, le château de Versailles met en lumière l’histoire complexe du lieu en proposant un podcast inédit. Sous forme de fiction, il retrace la création du musée de la Révolution française en 1883 et le travail du peintre Luc-Olivier Merson chargé par la IIIe République de parachever le projet de David pour orner la salle du Jeu de Paume.


À VOIR

La salle du Jeu de Paume, 
1, rue du jeu de Paume, à Versailles

Ouverte en visite libre et gratuite de 12h30 à 18h30 (dernier accès à 17h45) les dimanches 17 avril, 8 mai et 5 juin ainsi que les jeudis 26 mai et 14 juillet.

Renseignements au 01.30.83.78.00

Visites guidées :

  • Le serment du Jeu de Paume : de l'esquisse à la salle
  • Versailles et la République

Renseignements sur le site Internet du château de Versailles

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