Cortège
du Grand Siècle

L'imposante monographie sur Antoine Coysevox (1640-1720) publiée par les éditions Arthena, en partenariat avec le château de Versailles, a été remarquée, cette année, avec deux prix. C’est l’occasion de prolonger, après l’œuvre peinte de Hyacinthe Rigaud, le tour des figures qui animèrent le XVIIe siècle et le début du XVIIIe.

Autoportrait, par Antoine Coysevox, vers 1702. © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Fuzeau.

« Mais qui est-ce qui a jamais poussé plus loin que lui l’exacte ressemblance dans les portraits ? Sans le secours de la couleur, mais par un seul jeu de la lumière, il a su y représenter sensiblement les traits de l’âme et du corps. Que dis-je ? Il a souvent même donné le change à la peinture, qui, d’après la ronde-bosse, compose ses ouvrages par le dessin et la couleur (qui ne peuvent faire voir qu’une face de l’objet), puisqu’il a tiré d’une plate peinture, qu’il imitait, des ressemblances en ronde-bosse qu’il isolait de tous côtés. Enfin, on peut dire qu’il a été le Wandeck [Van Dyck] de la sculpture. » Ainsi, le talent de Coysevox portraitiste était-il décrit par son ami et biographe Jean-Baptiste Fermel’huis dans l’éloge funèbre prononcé devant l’Académie en 1721. Un talent qui fut largement reconnu du vivant du sculpteur, et ce dès ses jeunes années.

Coysevox et Rigaud : une complicité dans l’œuvre comme dans l’amitié

Coysevox et Rigaud réunis dans l'exposition sur Hyacinthe Rigaud organisée au château de Versailles. © Château de Versailles / Didier Saulnier.

La comparaison flatteuse avec le peintre Antoon van Dyck fut également maintes fois faite pour Hyacinthe Rigaud (1659-1743), le grand peintre portraitiste auquel le château de Versailles a consacré une exposition. Coysevox, qui reçut aussi par la suite le qualificatif de « Rigaud de la sculpture », en fut un ami proche, malgré la petite génération qui les séparait, et l’étude de l’œuvre des deux portraitistes révèle des correspondances et des complicités artistiques passionnantes. On pense d’abord, bien sûr, au magnifique et émouvant buste en marbre de la mère de Rigaud, Marie Serre (musée du Louvre), qui était présenté dans l’exposition en regard des portraits peints. On peut aussi évoquer les portraits peints et sculptés des maréchaux de Villars, de Vauban, de l’architecte Jules Hardouin-Mansart, du poète anglais Matthew Prior, ou encore de Madame Neyret de La Ravoye, qu’exécutèrent conjointement les deux artistes.

« Docile avec beaucoup de lumières »

Le goût et les dispositions de Coysevox pour l’art subtil du portrait contribuèrent assurément au renforcement de ses réseaux et à l’afflux des commandes, jouant un rôle décisif dans sa carrière. Y contribua, en outre, un caractère facile et souple, « docile avec beaucoup de lumières », tel que le décrit Fermel’huis, qui dit encore : « Le dénombrement que nous avons fait de ses principaux ouvrages n’approche point de celui qu’on pourrait faire de ses portraits, ouvrages dans lesquels personne ne l’a surpassé. Je ne sais même si les Anciens auraient osé entreprendre ceux des hommes de notre siècle avec des perruques qu’il est très difficile de rendre légères. C’est ce que M. Coysevox avait surmonté par un art admirable. »

Louis XIV, par Antoine Coysevox, 1678-1681, placé dans le salon de Œil-de-Bœuf, en plein cœur du château de Versailles. © Château de Versailles / Christophe Fouin.

Les premiers grands bustes que le sculpteur exécuta dans la décennie 1670, de sa propre initiative, lui permirent de s’attirer les bonnes grâces de protecteurs importants : Jean-Baptiste Colbert, Charles Le Brun (avec son morceau de réception à l’Académie royale de peinture et de sculpture, modelé en 1676, achevé en marbre en 1679, bustes conservés à la Wallace Collection de Londres et au musée du Louvre), mais aussi le puissant chancelier Michel Le Tellier, dont il fit « quatre différents portraits ». Très vite, Coysevox put sculpter les traits du Roi, de la Reine et du Dauphin, et le succès rencontré dans cet exercice périlleux contribua, à la fois, à lui ouvrir la porte des grands chantiers du moment, à Versailles et Paris, et à lui faire exécuter les portraits sculptés de commanditaires prestigieux. Princes, ducs et pairs, ministres, hommes de guerre ou grands ecclésiastiques figurent dans une liste impressionnante qui convoque une grande partie de la Cour : Condé, Turenne, les ducs de Chaulnes, de Montausier, de Richelieu, les maréchaux de Vauban, de Villars, les cardinaux de Bouillon, de Polignac…

Des portraits qui rendent compte de l’évolution de la société et des styles

Coysevox sculpte ainsi tout au long de sa vie des portraits officiels de grande allure. De plus en plus, il exécute aussi les bustes de personnages moins en vue, des femmes, de nombreux artistes (bustes plus intimes que ceux, déjà évoqués, de Charles Le Brun et de Jules Hardouin-Mansart, comme ceux de l’architecte Robert de Cotte ou du graveur Gérard Audran), mais également des portraits d’amitié, comme celui de Fermel’huis, que ce dernier qualifiait d’« ouvrage de l’amour »

En 1702, Coysevox devient directeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture, et exécute probablement son autoportrait en marbre (musée du Louvre). À partir de là – et plus encore du Salon de 1704, qui marque véritablement le triomphe du portrait peint –, sa production de bustes reflète très nettement les évolutions de la société, et annonce le succès du genre au XVIIIe siècle avec l’art de Pigalle, Houdon ou Caffieri. Elle tient une place prépondérante dans l’activité du sculpteur jusqu’à la dernière décennie, marquée par l’exécution de l’émouvante statue de Louis XIV en prière destinée au sanctuaire de la cathédrale Notre-Dame de Paris, et la série des Louis XV enfant exécutée peu avant sa mort (marbres à la Frick Collection de New York et au château de Versailles, terres cuites au musée des Beaux-Arts de Lyon et au musée du Louvre).

Valérie Carpentier-Vanhaverbeke,
Conservateur du patrimoine au département des Sculptures du musée du Louvre

Antoine Coysevox, le sculpteur du Grand Siècle a reçu deux distinctions : le Prix Eugène-Carrière de l’Académie française et le prix XVIIe siècle 2020, décerné  par la Société d’étude du XVIIe siècle.


Pas moins de 77 bustes répertoriés

Robert de Cotte, par Antoine Coysevox, 1707, conservé à Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève. © EPV / Christophe Fouin.

Au total, et sans compter les statues en pied (le Roi, le Grand Condé, la duchesse de Bourgogne…), les monuments funéraires (Mazarin, Colbert…) et les portraits en bas-reliefs, on répertorie aujourd’hui pas moins de 77 bustes dans la production d’Antoine Coysevox, en partie seulement conservés aujourd’hui. Ils forment le cœur des collections nationales en matière de portraits sculptés du Grand Siècle, une part importante d’entre eux étant exposés au musée du Louvre (le Grand Condé, le duc de Chaulnes, Antoine Coypel, Madame du Vaucel…) et au château de Versailles (Louis XIV, le Grand Dauphin, la duchesse de Bourgogne, le cardinal de Polignac…), mais aussi à la bibliothèque Sainte-Geneviève, héritière de l’abbaye, qui conserve un ensemble exceptionnel, avec les bustes en marbre de Jules Hardouin-Mansart, Michel Le Tellier, Charles-Maurice Le Tellier et Robert de Cotte. Les autres sont dispersés dans différents musées en France (musée Condé à Chantilly, musée des Beaux-Arts de Rennes, de Lyon…), dans de grandes collections étrangères (Frick Collection de New York, Wallace Collection de Londres, châteaux de Windsor, d’Aranjuez…), ou sont encore en main privée, formant, selon les mots de Fermel’huis, « un magnifique cortège au temple de Mémoire ».


À LIRE :

Antoine Coysevox, le sculpteur du Grand Siècle,
sous la direction de Alexandre Maral et Valérie Carpentier-Vanhaverbeke,
château de Versailles / éditions Arthena,
nov. 2020, 139 €.

L'article d'Alexandre Maral pour Les Carnets de Versailles : De-ci de-là

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