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Rigaud : deux portraits à mettre en regard

La fermeture prolongée de l’exposition « Hyacinthe Rigaud ou le portrait-soleil », aujourd’hui enfin visible, a permis aux équipes du château de Versailles de réaliser pendant quelques jours une confrontation inédite : celle de deux portraits du duc de Bourgogne, père de Louis XV.

Confrontation des deux portraits du duc de Bourgogne dans l’exposition sur Hyacinthe Rigaud, château de Versailles, 6 mai 2021. © EPV / Thomas Garnier

Nul, selon toute vraisemblance, n’avait pu les observer ensemble depuis leur départ de l’atelier de l’artiste, en 1702. Le premier, accroché dans la somptueuse scénographie de Pier Luigi Pizzi, est conservé à Kenwood House, à Londres, et passe pour l’original en raison de la présence d’une signature. Le second, exceptionnellement posé sur chevalet, est une œuvre versaillaise, habituellement présentée en hauteur, loin des yeux, au salon de l’Abondance.

Un portrait du duc de Bourgogne maintes fois dupliqué

Facturé mille livres en 1703, le portrait du duc de Bourgogne suit de peu la célèbre effigie de Louis XIV, livrée en janvier 1702, et impose Rigaud comme le peintre des hommes de la famille royale. Compte tenu de la notoriété du jeune homme, alors âgé de vingt ans et destiné au trône de France, l’atelier de l’artiste en multiplie immédiatement les versions. Il en subsiste aujourd’hui plus d’une dizaine, d’inégale qualité, qui rendent l’entreprise de l’historien de l’art bien ardue : faute de toutes pouvoir les rassembler, en admettant qu’aucune n’ait disparu, il s’avère délicat de les comparer sur photographie et de les confronter à la documentation conservée, en l’occurrence les mentions du livre de comptes de Rigaud et du cahier où il notait la répartition des tâches dans l’atelier. C’est dire la confiance qui était accordée à la présence, sur la version de Kenwood House, d’une signature du maître, justifiant l’emprunt du tableau.

Détail du visage du duc de Bourgogne de Versailles : en pointillés, les traces de la petite toile marouflée. © EPV / Thomas Garnier

Quand la version versaillaise dévoile ses atouts

L’organisation de l’exposition a nécessité de revoir l’accrochage du salon de l’Abondance où la version versaillaise du duc de Bourgogne a pris la place habituellement occupée par son frère, le roi d’Espagne Philippe V. Cette opération nous a permis de noter la belle qualité du tableau et de son arrière-plan : ainsi est née l’idée de profiter de l’occasion pour comparer les deux portraits.

Sur le chemin de l’exposition, l’examen approfondi de l’œuvre versaillaise, mené dans la lumière de la galerie de Pierre haute de l’aile Nord, a permis de noter que le visage du duc était peint sur une petite toile incrustée dans la grande composition finale : cette particularité, relevée par un rapport de restauration en 2013 sans être interprétée, renvoie à la pratique de Rigaud, dont les séances de pose étaient uniquement consacrées à la représentation de la tête des modèles. Pour les plus prestigieux d’entre eux, le maître n’hésitait pas à quitter son atelier pour les rejoindre dans leur lieu de résidence : dans ce cas, au lieu d’emporter la composition définitive au risque de l’endommager, il peignait volontiers leur visage sur une petite toile qu’il incorporait ensuite à son tableau. Cette caractéristique se retrouve sur la version originale du grand portrait de Louis XIV, mais aussi sur les effigies des cardinaux de Bouillon et de La Tour-d’Auvergne.

Sa présence sur le tableau de Versailles invite à y reconnaître la marque d’une séance de pose avec le grand artiste, ce qui explique d’ailleurs la différence de couleur entre les mèches de la perruque les plus proches du visage et les autres, peintes ultérieurement. Or, celle-ci est absente du tableau de Kenwood House. La petite toile incrustée permet donc de réévaluer le statut du tableau de Versailles, jusqu’alors considéré comme une réplique, voire une copie.

Une œuvre plus aboutie

D’autant plus que l’œuvre possède un historique irréprochable puisqu’elle provient des collections royales où elle est mentionnée dès 1760, quand sa jumelle de Kenwood n’apparaît qu’en 1823, en Angleterre1. Bien qu’aucune des deux versions ne porte atteinte à la réputation de Rigaud, celle de Versailles, de dimensions plus importantes, semble en outre plus achevée et plus travaillée que son homologue d’Angleterre, qui présente, sur le bas de l’armure, les craquelures caractéristiques d’une exécution n’ayant pas laissé à toutes les couches de peinture le temps de sécher. Le modelé du visage y apparaît particulièrement soigné, avec des sourcils moins marqués, et des yeux moins cernés.

Détail des deux scènes de bataille : en haut, le tableau de Kenwood House, en bas, celui de Versailles. © EPV / Thomas Garnier

C’est toutefois dans la scène de bataille à l’arrière-plan que la comparaison des deux est la plus fascinante : presque identiques, elles ne se distinguent que par leur état d’achèvement. Toutes deux semblent de la même main, celle du peintre Joseph Parrocel (1646-1704), comme l’affirme le spécialiste Jérôme Delaplanche2. Louis XIV possédait, en effet, un goût particulier pour les tableaux de cet artiste, au point de lui confier les scènes de bataille encastrées dans les boiseries de l’antichambre du Grand Couvert, au château de Versailles, et le fond de son portrait par Rigaud finalement envoyé à son deuxième petit-fils, le roi d’Espagne. Peinte rapidement et avec virtuosité, la version de Kenwood House est extrêmement enlevée, davantage que celle de Versailles, mais cette dernière, plus finie, comporte des détails ne se retrouvant pas sur l’autre.

La présence d’une signature peut désigner un original – comme c’est le cas pour la fameuse effigie de Louis XIV –, mais aussi avoir été apposée sur des œuvres ayant une destination particulière : l’étranger, où le style des artistes n’est pas aussi aisément identifié que dans leur pays d’origine, ou le Salon, où ils tentent de se distinguer de leurs concurrents. Son existence donne un avantage à l’œuvre de Kenwood House… mais la petite toile sur laquelle est peint le visage du duc de Bourgogne à Versailles en constitue un autre. À la faveur de ces éléments nouveaux, et de la longue fermeture de l’exposition, une nouvelle œuvre peut aujourd’hui prétendre au statut d’original de Hyacinthe Rigaud.

Élodie Vaysse,
Conservateur au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

1. Il n’est pas possible, dans l’état actuel des connaissances, de déterminer laquelle des deux versions se trouvait exposée au Salon de 1704, à Paris.
2. Le Livre de comptes de Rigaud semble indiquer que Parrocel n’a participé qu’à un seul exemplaire du portrait du duc de Bourgogne, mais ce document ne se montre pas toujours parfaitement exact.

Détail des deux scènes de bataille : en haut, le tableau de Kenwood House, en bas, celui de Versailles. © EPV / Thomas Garnier


À VOIR

Exposition Hyacinthe Rigaud ou le portrait soleil
Château de Versailles
Salles d’Afrique et de Crimée

Horaires
Tous les jours, sauf le lundi : 9h-17h30 (dernière admission à 16h45).

Billets
Accessible avec le billet Passeport, le billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Réservation horaire obligatoire.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».

Commissariat général
Laurent Salomé,
Directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
et
Élodie Vaysse,
Conservateur au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Commissariat scientifique
Ariane James-Sarazin,
Directrice adjointe du musée de l’Armée

Scénographie : Pier Luigi Pizzi et Massimo Pizzi Gasparon Contarini


À LIRE

Le catalogue de l’exposition
Coédition château de Versailles / éditions Faton
440 p., 27 × 24 cm ; prix : 49 € ; disponible sur boutique-chateauversailles.fr

Un livret-jeu gratuit a été conçu pour accompagner les enfants âgés de 6 à 12 ans dans l’exposition. En partenariat avec Quelle Histoire.


AUTOUR DE L’EXPOSITION

Visites guidées de l’exposition
sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr

 

 

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