Montage éclair pour une bibliothèque
de reine

Quand les exigences d’une reine amènent architectes et artisans à rivaliser d’ingéniosité  dans le domaine de la serrurerie. Assemblage en kit avant l’heure.

La bibliothèque de la Reine vidée de ses ouvrages avant restauration. © Château de Versailles / Christian Milet.

L’histoire de la serrurerie de la bibliothèque de la Reine est intrinsèquement liée à celle, chaotique, de l’aménagement que nous connaissons aujourd’hui, fait de modifications, d’agrandissements et d’embellissements successifs. La pièce actuelle a, en effet, succédé à une précédente bibliothèque, réalisée en 1772 pour Marie-Antoinette, alors dauphine, et les travaux ont été conduits selon le rythme très contraignant des courtes absences de la souveraine.

Détail de la bibliothèque en fin de restauration. © Château de Versailles / Didier Saulnier.

Devenue reine, Marie-Antoinette demanda en 1779 qu’on lui aménageât une nouvelle bibliothèque digne de son rang, équipée de vantaux munis de grandes glaces blanches1. Pour supporter le poids du verre, architectes et artisans furent contraints de renforcer de façon inédite les vantaux à bâti de bois des vitrines qu’ils doublèrent d’un cadre métallique intérieur.

Une fabrication très soignée, mais un montage expéditif

Lors du chantier de restauration, nous avons été surpris de découvrir que les ouvrages de menuiserie, remarquablement conçus et finement exécutés et dorés en atelier, avaient été montés et ajustés de façon très grossière et uniquement à l’aide de « clous d’épingle »2. Les assemblages à tenon et mortaise avaient été emboîtés à blanc, sans chevillage. Cela est probablement dû au temps très limité, en l’absence de la Reine, qui fut laissé aux artisans pour le montage final. Par ailleurs, il n’était sans doute pas envisageable de priver la souveraine de bibliothèque pendant les nombreux mois nécessaires à un travail plus conséquent. Il semblerait donc que, y compris lors du dernier aménagement, la bibliothèque n’ait reçu qu’une nouvelle façade – un simple habillage décoratif – tout en conservant une part importante des armoires réalisées précédemment, celles-ci ayant été simplement recoupées par le devant afin d’accueillir le nouvel alignement du décor.

Cet aménagement par strates successives a conduit à concevoir une façade autoportante et autostable totalement désolidarisée des armoires qui se trouvaient à l’arrière. Les montants qui en forment la structure devant être d’un seul tenant, sans pouvoir être contreventés par les jouées des meubles, d’une part, et devant, d’autre part, supporter le poids et la manipulation des lourds vantaux, ils furent, eux aussi, doublés de métal.

Un système unique de crémaillères en métal

Enfin, il faut souligner la conception tout à fait unique du système de crémaillères destiné à supporter les étagères. Celui-ci permet en effet un réglage très fin, la tringle supportant les consoles étant réglable en hauteur et chaque console étant elle-même réglable individuellement. Ce système, s’il offre une grande souplesse, n’est cependant pas des plus pratiques à l’usage. Il semblerait donc, pour toutes ces raisons, que le dernier aménagement de la bibliothèque ait nécessité la conception et l’exécution d’ouvrages complexes et coûteux dans le seul but de réaliser un montage in situ aussi rapide que possible. Ces ouvrages remarquables, quasiment invisibles aux yeux des visiteurs qui redécouvriront bientôt ce lieu restauré, méritent sans nul doute d’être mis en lumière.

Frédéric Didier, Architecte en chef des Monuments historiques
et Jérôme Léon, Architecte, agence 2BDM Architectes

1 C’est-à-dire de grands panneaux de verre transparent, par opposition à une « glace au tain », qui désigne à l’époque un miroir.
2 Diderot et d’Alembert, Encyclopédie, Paris, 1771, Planches – tome IX, pl. VIII, fig. 86.

La restauration de la bibliothèque de la Reine et de son supplément a pu être lancée grâce au legs de M. Marcel Raynal, à l’assurance-vie de M. Emmanuel Wallez et à de nombreux autres donateurs fédérés par la Société des Amis de Versailles.


La serrurerie de la bibliothèque en chiffres

• La pièce occupe une surface de 22 m² au sol pour 4,30 m de hauteur sous plafond

• Les 85 étagères offrent environ 120 mètres linéaires de rayonnages

• 64 vantaux de vitrines à bâti de bois sculpté et doré et doublés d’un cadre métallique intérieur

• 32 bascules à verrou à pignon1

• 56 serrures de 4 modèles différents dont 10 équipées d’un rare système de pêne à ressort déporté par une tringle

• 10 loquets à ressort (dont 2 restitués)

• 134 charnières encastrées

• Environ 1 360 grosses vis à bois pour l’assemblage des montants et des bâtis de bois avec leur renfort métallique (dont plus de 300 restituées)

• 50 crémaillères en métal (dont 4 restituées) et leurs 166 consoles (dont 26 restituées)

1 Diderot et d’Alembert, Encyclopédie, Paris, 1771, Planches – tome IX, pl. XXXIV, fig. 30.

 

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