Octobre 1789 :
Versailles déserté

À l’issue des fameuses journées des 5 et 6 octobre 1789, la famille royale quitte Versailles pour Paris, tandis que courtisans et serviteurs de l’État se dispersent. Le Château se vide de ses occupants, puis de son mobilier.

Au retour de Louis XVI et de la famille royale à Paris, le 6 octobre 1789, par Isaac Cruikshank, 1789. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles).

Le mardi 6 octobre, après la comparution de la Reine qui, courageuse, affronte seule la foule, les époux royaux reviennent sur le balcon pour annoncer le départ de la Cour pour Paris. Il est environ 9 heures du matin.
Tous font leurs préparatifs. Vers 13 heures, la famille royale descend le degré du Roi et sort dans la cour royale, où l’attend une voiture à huit places, tirée par huit chevaux. « Vous restez maître ici, tâchez de me sauver mon pauvre Versailles », dit le Roi au comte de Gouvernet, qui reste sur place pour exercer le commandement de la garde nationale de Versailles.
Près de deux cents voitures suivent le carrosse royal. Dans un concert d’acclamations, Versailles se vide.

L’Assemblée nationale divisée
Le mercredi 7 octobre, l’Assemblée nationale tient sa séance du jour à l’hôtel des Menus-Plaisirs (actuel 22, avenue de Paris), comme à l’accoutumée. Une trentaine de députés demandent des passeports pour quitter la ville : ils entendent désavouer la journée révolutionnaire de la veille, ils ont peur aussi. Le lendemain, le marquis de La Fayette vient à l’Assemblée pour la prévenir qu’un nouveau mouvement de foule se prépare au faubourg Saint-Antoine, à Paris, et qu’il s’agit cette fois de venir incendier le château de Versailles et la salle de l’Assemblée nationale. Pris de panique, plus de deux cents députés obtiennent un passeport pour partir. Les députés nobles, qui se sentent visés, demandent alors l’abandon de tout costume distinctif et, dans la salle des séances, le mélange des députés des trois ordres, mesures qui sont votées le 15 octobre. Désormais, les députés se réunissent en fonction de leur sensibilité politique, à droite ou à gauche du président de l’Assemblée : c’est la naissance de la droite et de la gauche. […]
Selon un journaliste témoin des événements, « le roi n’eut pas plus tôt quitté cette ville pour venir fixer sa résidence à Paris que tous les habitants furent frappés d’un étonnement difficile à décrire. On eût dit que Versailles venait de se transformer en une vaste solitude ». Installés à Paris, les ministres du gouvernement font venir auprès d’eux leurs administrations respectives. Les deux ailes des Ministres se vident de leurs bureaux et de leurs archives, ainsi que les hôtels de la rue de l’Indépendance américaine. […] Au moins trente mille Versaillais quittent la ville après le 6 octobre. Le recensement de 1790 compte cinquante mille habitants, celui de 1792 moins de quarante mille. Privés d’emplois du fait du départ de la Cour, beaucoup d’habitants de Versailles deviennent des nécessiteux. Plus de cinq mille mendiants sont recensés en 1790. Pour les employer et les rémunérer, un atelier de charité est ouvert en janvier 1790 pour entretenir le Grand Canal : il emploie plus de cinq cents ouvriers, mais doit fermer en août 1790.
En janvier 1790, la jeune administration municipale de Versailles est transférée de l’hôtel du Garde-Meuble (actuels 9-11, rue des Réservoirs) à celui du Grand Maître, à l’emplacement d’une partie de l’actuel hôtel de ville.

Pièce dite « de la vaisselle d’Or » dans l’Appartement intérieur du Roi, corps central du château de Versailles. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

« Tout a fui, des grandeurs tu n’es plus le séjour »
Le 6 octobre, les membres de la famille royale, les courtisans et le personnel gouvernemental emportent leurs effets avec précipitation. Le soir, le Château est désert. Madame de Gouvernet est restée sur place : « Une affreuse solitude régnait déjà à Versailles. On n’entendait d’autre bruit dans le Château que celui des portes, des volets, des contrevents que l’on fermait et qui ne l’avaient plus été depuis Louis XIV. Mon mari disposait toutes choses pour la défense du Château, persuadé que, la nuit venue, les figures étrangères et sinistres que l’on voyait errer dans les rues et dans les cours, jusque-là encore ouvertes, se réuniraient pour livrer le Château au pillage. »
Page de la Chambre du roi, le comte d’Hézecques retourne sur les lieux quelques jours après le 6 octobre : « Je trouvai les portes laissées ouvertes dans le trouble et je parcourus ce labyrinthe de passages inconnus, dont plusieurs étaient matelassés. Je pénétrai ainsi dans une foule de petits appartements dépendant de celui de la Reine et dont je ne soupçonnai pas même l’existence. La plupart étaient sombres, n’ayant de jour que sur de petites cours. Ils étaient simplement meublés, presque tous en glaces et boiseries. » Bien vite, les transferts de meubles s’organisent entre Versailles et les Tuileries. Le 10 octobre, une partie de l’appartement de la Reine est vidée. Chargé de mettre en sécurité les objets les plus précieux des cabinets de la souveraine, le marchand mercier Lignereux en dresse l’inventaire : porcelaines, laques, gemmes, ainsi que « la lanterne magique et les jouets de M. le Dauphin ». Tous les luminaires du Grand Appartement sont transférés le 13 octobre, le billard du Roi prend le chemin de Paris le 23, suivi d’une grande partie de sa bibliothèque et de ses instruments scientifiques le 30. En mars 1790, les tapisseries des Gobelins quittent à leur tour Versailles pour Paris. […]

Après l’avoir été une première fois de juin à août 1791, le Château est mis sous scellés en août 1792. Le concierge Boucheman est alors chargé de dresser la liste des occupants : il en dénombre soixante-dix, qui sont expulsés. Le décret décidant la vente du mobilier royal est pris en juin 1793, la vente se déroule d’août 1793 à août 1794. […]
À partir de l’automne 1792, les emblèmes royaux, peints et sculptés, sont l’objet d’une campagne de destruction systématique. En vertu d’un arrêté pris par le directoire du district de Versailles en août 1794, la Grille royale est détruite, la cour royale est dépavée, la cour de Marbre, perd aussi son précieux sol. En 1793, réfugié à Versailles, où il séjourne dans la clandestinité, le poète André Chénier compose les fameux vers : « Ô Versailles, ô bois, ô portiques, / Par les dieux et les rois Élysée embelli, / Tout a fui, des grandeurs tu n’es plus le séjour. »

Alexandre Maral,
Conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon


À VOIR

 


À LIRE

Dans la revue Château de Versailles n°31

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le n°31 de la revue Château de Versailles (octobre-décembre 2018). La revue est disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du Château : boutique-chateauversailles.fr

 

 

 

 


À APPROFONDIR

Alexandre Maral, Les derniers jours de Versailles, Paris, éd. Perrin en partenariat avec le château de Versailles, 2018.

De mai à octobre 1789, les premières étapes de la Révolution française se déroulent principalement à Versailles : ouverture des états généraux le 5 mai, proclamation de l’Assemblée nationale le 17 juin, serment du jeu de paume le 20 juin, séance royale le 23 juin, première vague d’émigration après le 14 juillet, désertion des gardes françaises le 30 juillet, abolition des privilèges dans la nuit du 4 août, Déclaration des droits de l’homme le 26 août, banquet des gardes du corps le 1er octobre.
Tous ces événements accompagnent et précipitent les derniers jours de Versailles comme capitale du royaume, siège de la cour et du gouvernement. Les reprendre à la lumière des témoignages oculaires – journaux, lettres de courtisans et de députés notamment – permet de mieux comprendre leurs causes et leur déroulement. Cette micro-histoire – qu’il ne faut pas confondre avec la petite histoire – éclaire la grande histoire de la Révolution, dont les enjeux et les conséquences n’ont pas été perçus, loin de là, par les acteurs et les témoins versaillais de 1789. Les journées d’octobre n’échappent pas à cette règle. Il est possible de retracer leur déroulement en s'aidant des très nombreuses dépositions – près de 400 – rassemblées dans le cadre de l’enquête judiciaire instruite par le Châtelet de Paris. C'est ainsi, à partir de sources souvent inédites, qu'Alexandre Maral a restitué l’enchaînement rapide et intense des faits qui ont bouleversé le cours de la royauté. 

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