400 ans :
« en ce pays-ci »

Quatre cents ans, quatre hommages au Château pour fêter cet anniversaire : celui d’un écrivain, celui d’un architecte, celui d’un chef d’orchestre, et celui d’un artiste plasticien, tous liés,
d’une manière ou d’une autre, à ces lieux qui les fascinent.
Ici, Chantal Thomas. 

© EPV / Sébastien Giles.

Sa plume alerte nous a transportés au temps de Louis XV (Le Testament d’Olympe et L’Échange des princesses) et de Marie-Antoinette (Les Adieux à la reine)1 dans l’intimité d’une époque qu’elle chérit. Chantal Thomas trouve le XVIIIe siècle si « musical, délicat, élégant, intense et aventureux », mais ce sont surtout les occupants de ce château, dont elle connaît les moindres recoins, qui piquent sa curiosité :

« Vous avez choisi de m’interviewer dans la bibliothèque de Marie- Antoinette. Cet appartement résonne en moi du côté du savoir – me rappelant mes recherches pour mes livres – mais aussi d’une manière romanesque. Je ne peux pas m’empêcher d’y voir mes personnages, d’entendre leurs voix, tels que je les ai imaginés à partir des archives, mais aussi à travers les acteurs des films2, tirés de mes romans, de Benoît Jacquot et de Marc Dugain.

La bibliothèque de Marie-Antoinette. © EPV / Thomas Garnier.

À l’image de cette superposition, Versailles résonne de multiples façons. Je n’oublie jamais, en revanche, qu’il s’agit au départ d’un pavillon de chasse, où s’exerçait l’une des activités principales du roi. C’était là, comme l’indique le prince de Ligne, que l’on y obtenait des faveurs plus sûrement qu’à travers des années de courtisanerie.

Vue du départ de la duchesse de Bourgogne pour la chasse devant l'Orangerie de Versailles, par Pierre-Denis Martin le Jeune, XVIIe siècle, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Christophe Fouin

Ensuite, il y a Versailles comme symbole du pouvoir, puis Versailles selon les personnalités. Pour Louis XV, qui notait soigneusement les moments qu’il passerait hors du château, comme pour Marie-Antoinette, il s’agissait d’un lieu chargé de difficultés…

Mais ce que je trouve fabuleux dans Versailles, ce sont les milliers et milliers d’histoires qui y sont contenues. Tous les documents sur lesquels j’ai travaillé pour mieux comprendre les espaces – plans, gazettes d’époque ou mémoires – sont très habités. Le livre extraordinaire de William Newton3 a été déterminant pour moi, car j’ai compris tout d’un coup ce que signifiait vivre à Versailles pour ces courtisans qui s’entassaient dans des appartements souvent minuscules, demandant qu’on y ajoute une cheminée ou qu’on en blanchisse les murs. Ce livre très concret m’a ouvert la porte d’un monde bruissant, traversé par les passions, les ressentiments, mais aussi l’extase.

Décoration du bal paré donné par le Roy, le 24 février 1745 [détail], par Charles-Nicolas Cochin le Jeune, 1749, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-GP (Château de Versailles) / © Franck Raux

Versailles fait également partie de ma mémoire familiale, puisque ma mère y est née, rue Adélaïde, et que j’y ai passé, petite fille, de nombreux moments. Prolongement de mes jeux, j’y percevais surtout la démesure et l’ennui des visites officielles. C’est quand j’ai commencé à écrire dessus que ce château est devenu vivant, puis vraiment familier quand j’ai habité quelque temps rue des Récollets, où je me suis sentie comme la lectrice adjointe de Marie-Antoinette4 : un sentiment de proximité un peu hallucinatoire, tous ces gens restant définitivement mystérieux.

Versailles est comme une langue étrangère. On n’y entre pas de plain-pied. À son propos, ne disait-on pas “ en ce pays-ci ” ? Les visiteurs, dans les salles inhabitées, doivent en faire resurgir les fantômes. Mais chacun y promène aussi sa propre histoire, recréant un château à sa mesure, à celle de son savoir et de ses expectations, et c’est en cela que Versailles continue de vivre aujourd’hui. »

Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1 Les Adieux à la reine, Paris, éd. du Seuil, Prix Femina, 2002 ; Le Testament d’Olympe, Paris, éd. du Seuil, 2010 ; L’Échange des princesses, Paris, éd. du Seuil, 2013.
2 Les Adieux à la reine, Benoît Jacquot réal., 2012 et L’Échange des princesses, Marc Dugain réal., 2017.
3 William R. Newton, L’Espace du roi. La cour de France au château de Versailles, 1682-1789, Paris, Fayard, 2000.
4 La jeune Agathe-Sidonie Laborde, héroïne des Adieux à la reine.


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