Dans les yeux
de Napoléon

Cette exposition, présentée au musée des Beaux-Arts d’Arras à partir des collections du château de Versailles, propose de voir Napoléon autrement. En s’attachant à forger sa propre légende, l’Empereur a laissé derrière lui de nombreux portraits et paysages qui ont jalonné sa vie et parlent d’eux-mêmes.

Le Général Bonaparte à Arcole, par Antoine Jean Gros, 1796. Détail. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot.

Ce n’est pas Napoléon qui tient le plus beau rôle dans cette exposition, c’est tout son entourage, les hommes, les femmes qui ont croisé sa route : ceux qui ont guerroyé avec et contre lui, ceux qui ont contribué à sa gloire, sur les champs de batailles, mais aussi dans les grands cérémonials et par la peinture ; celles qui ont bénéficié de ses faveurs et ont fait de l’Empire l’une des époques les plus brillantes des siècles passés.

Et pour cause : en constituant, en 1837, un Musée de l’histoire de France rassemblant, entre autres, la totalité des œuvres commandées par l’Empereur, Louis-Philippe faisait de Versailles la plus grande galerie de portraits historiques au monde, abritant la première et plus importante collection napoléonienne. Trouvés dans les magasins des musées royaux et complétés afin de combler les lacunes d’un récit que Louis-Philippe voulait continu, ces tableaux et portraits peints et sculptés comprennent, notamment, les œuvres mises en scène par Napoléon lui-même dans le souci de façonner sa propre légende.

Dans l'exposition, portraits de Juliette Récamier, par Eulalie Morin (1799), de François René, vicomte de Chateaubriand, par Anne Louis Girodet (1811) et de Madame de Staël, par Marie-Eleonore Godefroid, d'après François Gérard (vers 1817).© Château de Versailles /Didier-Saulnier.

Un entourage familial, militaire, politique, et toute la société qui gravitait autour de lui

Frédéric Lacaille déplorait que le bicentenaire de l’Empire ait été aussi discrètement célébré en France, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays comme les États-Unis ou la Russie (Lire Napoléon à la conquête d’Arras). Le conservateur en charge des peintures du XIXe siècle au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon a souhaité que cette exposition rappelle l’importance du grand homme dans notre histoire, sans pour autant en faire l’apologie.

« Je suis d’une génération à qui l’on a appris à aimer Napoléon à travers ses faits d’armes, mais aussi, et surtout, sa réforme de l’État, et je n’avais pas envie de montrer seulement l’homme de guerre et ses nombreuses batailles »

Il semble que le pari soit réussi de présenter un Napoléon différent, à travers son entourage – familial, militaire, politique - et toute la société qui gravitait autour de lui lors des petits et grands moments de sa vie.

L’une des premières scènes offertes par l’exposition est la Prise du palais des Tuileries, le 10 août 1792 : c’est exactement, dit-on, ce qui s’est déroulé sous les yeux du jeune Bonaparte venant d’arriver à Paris qui, par hasard, se trouvait dans une maison voisine. Les canons grondant, les hommes s’élançant avec leurs piques et les cadavres gisant à terre, nous voici d’emblée transportés dans le regard du jeune homme, confronté à une violence qui le rendra particulièrement méfiant vis-à-vis de la vindicte populaire et des Parisiens.

Bataille des Pyramides, le 21 juillet 1798, par Louis François Lejeune (1806). © Château de Versailles, Dist. RMN / © Jean-Marc Manaï.

De même, ces vastes panoramas illustrant les batailles qui le distinguèrent, il les a traversés, observés avec minutie, contemplés, et nous parlent de lui. Ainsi de la Bataille des Pyramides, dans la lumière du couchant, décrite avec force détails, d’autant plus réalistes que l’artiste appartenait au corps du Génie, par Louis François Lejeune. Ou de la distribution des croix de la Légion d’honneur au camp de Boulogne, dépeinte par Philippe-Auguste Hennequin qui fait la part belle à l’immense assemblée des soldats, rigoureusement rassemblés face à lui, plutôt qu’au futur empereur ; ou de l’empressement des Bavarois, dont les costumes ont été scrupuleusement décrits par le peintre Nicolas Antoine Taunay, lors de l’entrée de l’armée française à Munich, en 1805.

Scènes de bivouac autour du chef

Certaines œuvres montrent des aspects moins convenus, notamment des scènes de bivouac où l’on entend presque les clameurs des hommes harassés tandis que les feux crépitent en brûlant les joues. Cette visite aux soldats, se rassemblant instinctivement derrière leur chef à la lumière de milliers de fanaux de paille, la veille de la grande victoire d’Austerlitz, Napoléon l’a vue ainsi, l’a sentie ainsi – il déclara plus tard que ce fut la plus belle soirée de sa vie – ce que ne manqua pas d’indiquer l’artiste, chef du Bureau topographique, en signant son tableau : « Bacler d’Albe, vidit et pinxit ».

Napoléon Ier visitant les bivouacs de l'armée à la veille de la bataille d'Austerlitz, le 1er décembre 1805, par Louis Albert Guislain Bacler d'Albe, 1806-1808 © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Jean-Marc Manaï.

Les hommes, enfin, que Napoléon a côtoyés de près, quotidiennement, font aussi partie de lui. Les physionomies de ces maréchaux de l’Empire et de ces grands officiers de la Couronne, affublés de somptueux atours, révèlent des caractères divers avec lesquels l’Empereur a dû certainement composer. Tout comme celles des différents membres de sa nombreuse famille, où l’on retrouve parfois la finesse des traits et de la bouche, le nez droit et les yeux en amande de Bonaparte que l’on surprend, dans une œuvre de Louis Ducis, entourés de ses neveux et nièces et de leurs jouets, tel un bon père de famille !

Juliette Récamier (1777-1849), née Bernard, par François Gérard (1802).
© RMN-GP (Château de Versailles) / © Franck Raux.

Quant aux femmes, elles reflètent toute une époque, avec leurs cheveux relevés à la grecque, leurs robes fluides dévoilant les épaules et ornées de motifs à l’antique. Un ravissant portrait de Juliette Récamier, par Eulalie Morin, évoque l’influence de la jeune femme qui tint un salon où accourrait toute l’Europe. Celui de la baronne de Staël campe une figure imposante dont Napoléon s’efforça de tenir à distance les ambitions politiques.

Dans l'exposition, une partie des petits formats, réductions, esquisses ou ricordi des fameux portraits de François Gérard. ©Château de Versailles / Didier-Saulnier

Mais le clou de cette exposition est, sans doute, l’ensemble formé par une série de petits formats, réductions des portraits sortis de l’atelier de François Gérard qui faisaient fureur auprès de la haute société de l’époque, foule élégante, présentée selon les canons en vogue, dans le cadre strict du néo-classicisme et de l’Empire. Une vision claire, tout en retenue, qui palpite dans l’arrondi d’un bras nu, l’esquisse d’un sourire, l’inclinaison d’une tête. Ce sont ces multiples regards que l’on emporte et retient de cette exposition.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles


À VOIR

Napoléon. Images de la légende
Jusqu’au 4 novembre 2018
Musée des Beaux-Arts d’Arras
versaillesarras.com
#VersaillesArras

Plus d'informations sur l’exposition.

Commissariat : Frédéric Lacaille, conservateur en charge des peintures du XIXe siècle au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Marie-Lys Marguerite, directrice du musée des Beaux-Arts d’Arras.

En partenariat avec la région Hauts-de-France et la ville d'Arras.

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