Musée-monde

Le château de Versailles participe au projet du Louvre Abu Dhabi depuis sa création. À mi-chemin entre l’Orient et l’Occident, une exposition organisée avec l’Agence France Muséums évoque les multiples échanges qui ouvrirent Versailles à de lointaines contrées : des influences réciproques qui sont les mieux à même, aujourd’hui, de toucher les visiteurs de ce musée.

Audience accordée au comte de Saint-Priest pour la signature du traité d’Aynali-Kavak, 18 mars 1779 [détail], par François-Joseph Casanova, vers 1789. Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin

L’exposition inaugurale du Louvre Abu Dhabi, qui ouvrait ses portes en novembre 2017, s’intitulait D’un Louvre à l’autre. Elle mettait en perspective l’idée de musée universel, enracinée dans la philosophie des Lumières et matérialisée par la création du « Muséum » national après la Révolution. Versailles y occupait une place majeure, comme préfiguration de la forme muséale au XVIIIe siècle, comme source des collections nationales, et l’exposition rendait parfaitement sensible le rôle joué par le mécénat royal dans la profusion des arts et leur perfection. Le propos était illustré aussi bien par les collections du Louvre que par les prêts massifs (en nombre comme en format et en qualité) accordés par le château de Versailles.
Pas moins de vingt-cinq œuvres avaient fait le voyage, allégories, portraits de souverains, de surintendants et d’artistes, sculptures monumentales comme les sublimes Acis et Galatée de Jean-Baptiste Tuby, ornements idylliques du bosquet des Dômes, qui rejoignaient leur voisine du parterre de Latone, la Nymphe à la coquille de Coysevox, aujourd’hui exposée au musée du Louvre. Il n’est pas étonnant que Versailles, moins palais que cité, microcosme, centre de gravité, ait été amené à jouer un rôle si important dans le lancement d’un nouveau musée-monde.

Le Louvre Abu Dhabi, sur le site de Saadiyat. Les galeries permanentes du musée présentent une riche collection d’œuvres d’art, ainsi que des pièces majeures prêtées par les institutions culturelles françaises engagées dans le projet et réunies au sein de l’Agence France Muséums. © Abu Dhabi, department de la Culture et du Tourisme / © Photo par Hufton and Crow

Des prêts d’œuvres spectaculaires

La contribution de l’Établissement au grand projet muséal du Golfe s’est poursuivie au fil de ces cinq premières années sous bien d’autres formes, conseil, formation... la plus visible étant les prêts de longue durée, renouvelés périodiquement. Certains d’entre eux ont fait mouche, notamment celui, inaugural, d’un des groupes monumentaux des Chevaux du Soleil qui a impressionné les visiteurs et a fortement contribué à fixer le niveau d’exigence revendiqué par le nouveau musée. Et que dire du tableau de David, Napoléon franchissant le Grand-Saint-Bernard, resté quatre ans à Abu Dhabi et devenu l’un des phares de cette aventure ? Aujourd’hui, la vedette versaillaise de l’accrochage est la fameuse Tasse de chocolat, ce grand tableau de Charpentier montrant la famille du duc de Penthièvre en 1768, image parfaite de l’art de vivre à la française.

Le duc de Penthièvre et sa famille, par Jean-Baptiste Charpentier, 1768. © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin

La question de l’universalité

Une nouvelle exposition temporaire, conçue et organisée par les conservateurs de Versailles avec les équipes du Louvre Abu Dhabi, renouvelle l’étonnement lors de l’inauguration face à cet étrange surgissement de la poésie du palais de Louis XIV, entre sable et mer, au sein de l’incroyable bâtiment de Jean Nouvel qui se laisse piqueter par le soleil, à travers son dôme-crible, et rafraîchir par la brise marine.

À l’intérieur du Louvre Abu Dhabi. © Abu Dhabi, départment de la Culture et du Tourisme / © Photo par Hufton and Crow

Versailles et le monde aborde sous un autre angle la question de l’universalité en évoquant les contacts, échanges, influences, ambassades, recherches scientifiques et fantasmes exotiques, qui ont fait de Versailles un lieu ouvert sur le monde pendant tout l’Ancien Régime. Bertrand Rondot, s’appuyant sur les recherches qu’il avait menées avec Daniëlle Kisluk-Grosheide pour la mémorable exposition Visiteurs de Versailles, présentée au château en 2017-2018, a développé, cette fois avec Hélène Delalex, une grande fresque impressionnante où les cultures du monde viennent se frotter en produisant les effets les plus délicieux.

« Bertrand Rondot, s’appuyant sur les recherches qu’il avait menées avec Daniëlle Kisluk-Grosheide pour la mémorable exposition Visiteurs de Versailles, présentée au château en 2017-2018, a développé, cette fois avec Hélène Delalex, une grande fresque impressionnante où les cultures du monde viennent se frotter en produisant les effets les plus délicieux. »

Le ton est donné d’emblée par les illustrations extraordinaires du Grand Carrousel de 1662, issues d’un recueil conservé à la bibliothèque municipale de Versailles, où les cavaliers et leurs montures défilent dans les appareils les plus extravagants pour évoquer l’immensité et la diversité du monde. On rencontre ensuite les ambassadeurs de diverses nations de l’Asie, puis les témoignages précieux des échanges internationaux, perles, porcelaines montées, livres, où la verseuse chinoise en argent figure en vedette. Désormais bien connu des fidèles du château de Versailles, ce cadeau de l’ambassadeur du roi de Siam à Louis XIV, rarissime rescapé des fontes de l’orfèvrerie royale et qualifié de « trésor national », a été acquis en 2018 par le château de Versailles.

Mise en scène du « cabinet des Chinois » tel qu’il s’insérait, dans les années 1760, dans les cabinets intérieurs de la reine Marie Leszczyńska, au château de Versailles. © Abu Dhabi, department de la Culture et du Tourisme / © Photo par Mohamed Somji – Seeing Things

Mais la manifestation la plus originale de la fascination exercée par la Chine à la cour de France est certainement le « cabinet des Chinois », peint par la reine Marie Leszczyńska elle-même, un peu aidée bien sûr. L’exposition du Louvre Abu Dhabi a permis de le remonter pour la première fois dans sa disposition exacte grâce à une belle idée scénographique consistant à agrandir les dessins originaux pour en faire une boiserie feinte et y insérer les peintures réelles, autre acquisition récente et majeure de Versailles. Cette pièce disparue de l’appartement intérieur de la Reine est donc ressuscitée à cinq mille kilomètres de distance : c’est ainsi que les expositions temporaires éclairent d’une façon irremplaçable des phénomènes qu’il est plus difficile d’illustrer dans les sites d’origine et dans les collections permanentes.

Chef-d’œuvre emblématique de la découverte du monde par le roi et la Cour : Ananas dans un pot, peint en 1733 par Jean-Baptiste Oudry. © Abu Dhabi, department de la Culture et du Tourisme / © Mohamed Somji –Seeing Things

Zoologie et botanique

On ne quitte ce cabinet que pour entrer dans le salon octogonal de la ménagerie royale, cette fois dupliqué puisqu’au même moment, les visiteurs du château le découvraient dans l’exposition Les Animaux du Roi. Il nous a fallu quelques acrobaties intellectuelles pour permettre les deux manifestations avec une présence égale d’œuvres originales… Après la zoologie chère à Louis XIV, vient la passion de Louis XV pour la botanique, et un espace centré sur le splendide portrait d’ananas de Jean-Baptiste Oudry. Un chef-d’œuvre qui raconte toute une histoire, celle du fruit couronné, enfin obtenu à Versailles après mille efforts et aussitôt dégusté par Sa Majesté. Autour de lui, toute l’effervescence scientifique, tout l’afflux d’espèces exotiques qui font aujourd’hui partie de notre quotidien, même si leur culture, comme celle du riz, n’a pas franchi la barrière du climat.

© Abu Dhabi, department de la Culture et du Tourisme / © Mohamed Somji –Seeing Things

Sublimes métissages

L’exposition se conclut dans cette atmosphère d’expérimentation et de recherche, avec l’astronomie, les prémices de l’aéronautique (cantonnées à la modeste ascension des trois fameux animaux qui furent les premiers à quitter la surface de la terre à bord d’un ballon), mais aussi les expéditions maritimes. Les visiteurs peuvent ainsi découvrir un autre tableau célèbre de nos collections, Louis XVI donnant ses instructions à La Pérouse de Monsiau. Beaucoup moins connue, une somptueuse vue du port de Brest par Hue, dépôt du musée du Louvre au Sénat, laisse le visiteur, encore imprégné de tous les sublimes métissages rencontrés dans l’exposition, sortir en rêvant d’horizons lointains noyés dans la lumière dorée, ressentant avec force le besoin du voyage et de l’aventure, l’impossible repli, la beauté des rencontres et des grandes distances.

Laurent Salomé,
directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Article publié dans Les Carnets de Versailles n°20 (avril-septembre 2022)


À VOIR

L'exposition Versailles et le monde
Jusqu’au 4 juin au Louvre Abu Dhabi

Informations sur louvreabudhabi.ae

 

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