magazine du château de versailles

Un écrin pour le Roi

L’acquisition en vente publique à Cannes fin 2015 d’un médaillier de l’ébéniste Alexandre-Jean Oppenordt nous livre un rare témoignage matériel sur l’ameublement du cabinet des Médailles et des Raretés de Louis XIV, ce lieu mythique du château, à la fois caverne de collectionneur, petit musée privé et show-room de prestige, disparu à la fin du règne de Louis XV.

Médaillier, par Alexandre-Jean Oppenordt (v. 1684).)

Médaillier, par Alexandre-Jean Oppenordt (vers 1684). Sapin, chêne (tirettes), hêtre noirci (piétement), noyer (socle). Marqueterie d’ébène et étain gravé. Cuir. Dimensions : 122,5 x 83 x 45,5 cm. Le décor dû à Jean Bérain, se déploie sur la tranche des tirettes et également sur les montants où s’affichent le chiffre de Louis XIV et des fleurs de lys.(© Château de Versailles/Christophe Fouin)

Un étrange meuble concave

Ce bloc de tiroirs à médailles héberge 36 tirettes de chênes aux tranches plaquées d’ébène et incrustées d’arabesques d’étain gravé où s’exprime toute la finesse du travail d’Oppenordt, ébéniste ordinaire du roi. Ce décor, dû à l’imagination du dessinateur Jean Bérain, se déploie également sur les montants où s’affichent le chiffre de Louis XIV et plusieurs fleurs de lys. La façade concave, assez inhabituelle, et la hauteur modeste de ce meuble révèlent qu’il fut conçu pour venir se loger à l’un des angles arrondis du cabinet des Médailles et des Raretés, derrière des portes sculptées et dorées ménagées dans le bas-lambris. Le piètement en colonnes torses est un ajout du XIXe siècle. Oppenordt a réalisé au total 12 médailliers pour le Cabinet. L’exemplaire acquis est à rapprocher d’un autre mis en vente en 1999 à Monte-Carlo. Cet achat a pu être réalisé grâce à la Société des Amis de Versailles.

Le cabinet des Médailles et des Raretés, héritier des trésors royaux

Cette pièce de 70 m2 se situait à la fin de l’enfilade du Grand Appartement du Roi, sur le trajet emprunté quotidiennement par le roi pour aller à la chapelle. Aménagée entre 1682 et 1686, elle disparaît complètement dans les années 1770 pour faire place au salon des Jeux de Louis XVI. On y accédait par le salon de l’Abondance qui en formait en quelque sorte le préambule iconographique en offrant sur son plafond des représentations d’objets conservés dans le cabinet, comme la nef d’or du Roi ou la coupe de jaspe de Rodolphe II de Prague. Au tympan de la grande porte qui marquait l’entrée du cabinet (toujours visible face aux fenêtres du salon), on voyait également une allégorie de la « Recherche des médailles » sculptée par Coysevox. Le cabinet proprement dit abritait une diversité d’objets rares hérités des prédécesseurs de Louis XIV mais aussi achetés dans toute l’Europe : vases, bustes, camées, intailles, pierres précieuses et un ensemble de monnaies et médailles antiques et modernes, dont celles à l’effigie du roi destinées à la propagande. Héritière de la tradition des trésors royaux du Moyen-Âge, la pratique de la collection royale de médailles est véritablement initiée au XVIe siècle lorsque François Ier fait construire à Fontainebleau un cabinet de curiosités au-dessus de sa chambre. Le terme médailles au sens ancien désigne à la fois les monnaies antiques et les médailles commémoratives modernes .

Un petit musée d’une extraordinaire richesse décorative

Cet antre de collectionneur était surmonté d’une coupole ovale à dominante de bleu de lapis et d’or, surchargée d’ornements peints et sculptés. Face à soi, en entrant, on voyait une fenêtre donnant sur la cour Royale. À gauche, sous une glace, se trouvait un lit de repos sous lequel s’inséraient des tablettes contenant médailles, monnaies, intailles, camées. À droite s’ouvrait une cheminée en marbre de Carrare surmontée elle aussi d’une glace. L’endroit était animé du reflet de nombreux miroirs placés sur les parois de la coupole, au plafond, aux voussures, dans les 50 niches qui couraient le long de la corniche, sur les étagères près de la cheminée et aux angles. Douze médailliers logés derrière des portes encastrées dans le bas-lambris qui ceinturait la pièce accueillaient eux aussi médailles, monnaies, intailles, camées. Un grand et luxueux bureau octogonal à marqueterie de cuivre et étain sur fond d’écaille – également d’Oppenordt – placé au centre du cabinet, recélait des pierres gravées. Pour lui-même et ses hôtes auxquels il aimait faire découvrir sa collection, le Roi disposait de fauteuils et de pliants en brocart or et argent. Tendues de velours bleu de Venise les parties de murs encore libres se couvraient d’une bonne vingtaine de tableaux de maîtres : Véronèse, Raphaël, Mantegna, Del Sarto.

Un lieu créé par les grands noms de l’art français

Le cabinet fut aménagé en quatre années (1682-1686) pendant la grande campagne de travaux menée par Hardouin-Mansart pour parachever un palais devenu résidence permanente du pouvoir royal. La conception du décor de la petite pièce est signée Jean Bérain l’un des meilleurs dessinateurs et ornemanistes de cette période. D’autres grand artistes ont travaillé à la réalisation de ce cabinet : les sculpteurs Pierre Mazeline, Noël Jouvenet, Étienne Le Hongre, les peintres René Houasse (également auteur du plafond du salon de l’Abondance), Jean Le Moyne et bien sûr Alexandre-Jean Oppenordt, ébéniste du roi. ♦


Le Grand Commun, annexe technique du cabinet des Médailles

La gestion de la collection du Cabinet des médailles était assurée au premier étage du Grand Commun par le « bureau des médailles » où s’effectuaient les tâches d’étude, de classement, de catalogage, d’inventaire. On y rédigeait sur les cartons à alvéoles placés dans les tirettes des médailliers les explications des pièces présentées. L’endroit était équipé d’une bibliothèque de plus de 800 volumes. Il servait aussi à recevoir les « savants » et à stocker les médailles en double ou de mauvaise qualité. ♦

 

Les allées et venues d’une collection

Conservées à la Bibliothèque royale à Paris, les collections de médailles arrivent à Versailles en 1684 sur ordre de Louvois qui vient de succéder à Colbert à la Surintendance des Bâtiments, Arts et Manufactures de France. En 1691 on dénombre 21 000 médailles dans le cabinet versaillais. Après la mort de Louis XIV, le lieu tombe en désuétude. Le Régent ordonne en 1720 le déplacement des collections numismatiques à Paris. Le transfert effectif ne se fait que vingt ans plus tard, en 1741. ♦

 

Victime de l’opium

Grâce à la protection de l’archevêque de Reims (frère de Louvois), le médecin et lettré rémois Pierre Rainssant est nommé en 1683 garde du Cabinet des médailles. C’est donc lui qui supervise le déplacement des collections de Paris à Versailles. Avec la collaboration d’un petite équipe de savants, il s’occupe de la mise en place des médailles dans les médailliers, de l’acquisition de nouvelles pièces, de la rédaction des inventaires et de la publication du catalogue de la collection. Mais cette carrière est brusquement interrompue en juin 1689, lorsqu’il se noie dans la pièce d’eau des Suisses, après avoir consommé de l’opium. ♦

 

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