Platée à l'Olympe

André Tubeuf, critique musical, nous raconte la genèse de Platée et l’esprit insaisissable de son compositeur, Jean-Philippe Rameau (1683-1764). L’opéra est joué à Versailles les 17, 19 et 22 février.

Portrait de Jean-Philippe Rameau, par Joseph Aved, Dijon, musée des Beaux-Arts. © RMN-Grand Palais

Rameau de toute façon aurait été un grand homme – le tout premier grand homme de la musique française. À peine cadet de Bach, en 1706, à 23 ans, à l’âge où l’autre n’avait encore rien fait, Rameau réglait le bon usage du clavecin et, au passage, inventait un espace musical inouï : la barre de mesure s’escamote, la tonalité entre en apesanteur et se libère cette puissance neuve d’où tout suivra, – l’Harmonie. Ce sont là des titres. Pourtant s’il n’avait été que ce génial maître théoricien et technicien, Rameau ne vivrait plus que dans les dictionnaires.

Mais voilà. Ce Bourguignon bon teint aimait aussi la vigne et la chanson et rêvait théâtre, y faisant autant d’incursions que possible, mais clandestines, pour ne pas compromettre son bon renom par ailleurs, comme il aurait fréquenté le cabaret. Il ne franchit le pas qu’à cinquante ans. Bienvenu et fécond démon du midi ! En résultera la naissance adulte d’une Tragédie lyrique à la française, accompagnée de danses. Régence et Versailles, mais d’abord goût français, exception française obligent, comme si l’écoute de la musique appelait un plaisir de l’œil pour en divertir. Déclamation et chant ne vont plus être seuls héros, mais pour compenser ils se haussent d’un cran ; affectent une noblesse, une hauteur, un ton qui étaient déjà ceux de Racine et Corneille ; et chaussent le cothurne, y trouvant un autre port, un autre geste, une autre stature. De 1733 à 1739 s’échelonneront Hippolyte et Aricie, Castor et Pollux, Dardanus, triade où s’insèrent sans l’interrompre Les Indes Galantes, opéra ballet en trop de tableaux vivants pour qu’aucun personnage y assume un caractère, un destin, et accède au grand ton. La fortune de ces Indes Galantes montées à l’Opéra aux années 1950 avec luxe a trop fait croire que Rameau, c’est du grand spectacle. Et Versailles, les Folies Bergère !

Croquis d’un costume pour la nouvelle création de Platée par Jean-Paul Malgoire, de Sylvie Skinazi. © Sylvie Skinazi

Ce que Platée, aux mêmes années, mais à Aix, démentait ; révélant aussi le plus étonnant et inattendu Rameau, le Rameau final de 1745. Il est conforme à l’esprit du théâtre grec qu’à trois tragédies ainsi succède leur contrepied et contrepoids comique, burlesque. Mais à quel degré de délire ! Toujours en peine d’un livret vraiment scénique, Rameau lui-même retravaillera celui-ci avec Le Valois d’Orville, obtenant un texte théâtral d’une verve (vertu dramatique, vertu d’action), d’une drôlerie aussi (vertu, elle, comique), inouïes. Pauvre Platée ! Son seul travers, batracien(ne), naïade ridicule, c’est qu’elle s’imagine centre de tout, et qu’on ne vient à ses marais que pour lui faire la cour. Il lui en cuira : Jupiter en personne y viendra (d’où la farce), juste pour prouver à Junon qu’elle n’a pas à être jalouse. Fable cruelle, grinçante, mais où les ridicules sont sublimés par tant de verve, un tel bonheur d’expression qu’on peut se croire dans le meilleur Offenbach. Mais il faut écouter les mots, les entendre et même sous-entendre. Là est tout le sel. Le reste est somptueuse pièce montée, Versailles comme un dessert.

André Tubeuf,
Philosophe, critique musical

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°2 (octobre 2012-mars 2013)


INFOS PRATIQUES

Platée
de Rameau

Les 17, 19 et 22 février 2013, à l'Opéra royal

Distribution : Nicolas Rivenq, Un satyre / Cyril Auvity, Thespis / Aurelia Legay, Thalie / Vincent Bouchot, Momus / Sabine Devieilhe, L’Amour / Nicolas Rivenq, Citheron / Cyril Auvity, Mercure / Paul Agnew, Platée / Maïlys de Villoutreys, Clarine / Benoît Arnould, Jupiter / Sabine Devieilhe, La Folie / Aurelia Legay, Junon.

Ensemble vocal de l’Atelier Lyrique de Tourcoing.

Mise en scène : François Raffinot La Grande Écurie et la Chambre du Roy

Direction : Jean-Claude Malgoire.

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