Trois questions à Angelin Preljocaj

Pour lui, la danse doit participer, plus que tout, à sublimer les émotions de la dramaturgie. Dans une nouvelle création contemporaine,
Angelin Preljocaj met la splendeur de sa chorégraphie au service des merveilles lyriques d'Atys, tragédie lulliste qui suscite autant de charmes que de pleurs…

© Didier Philispart.

Votre cœur est à la danse depuis votre plus tendre enfance. Aujourd’hui, vos compositions sont dansées dans toute la France comme à l’étranger. Qu’est-ce qui a guidé votre écriture chorégraphique aussi loin ?

Angelin Preljocaj : C’est parfois un détail qui vous pousse sur un territoire complètement inconnu et fantastique. Étonnement, alors que la danse est un art du mouvement, cette passion est née à partir d’une photographie fascinante du danseur étoile Rudolf Noureïev « transfiguré par la danse », et suspendu dans un saut. Cette expérience mystérieuse m’a lancé sur le chemin de la danse sans aucune retenue. Beaucoup de figures m’ont ensuite inspiré, puis conforté dans ce choix d’exigence et d’endurance. La découverte de la danse contemporaine avec Karine Weiner, chorégraphe allemande à la Schola Cantorum de Paris, l’expressionnisme allemand de Mary Wigman, ou encore la modern dance de l’américain Merce Cunningham, ont progressivement modelé ma sensibilité artistique. Ma passion première est d’explorer le champ chorégraphique indéfiniment, en agrandissant l’éventail des possibilités physiques des danseurs. La virtuosité est primordiale, certes, mais la recherche de mouvements qui n’auraient jamais été et dont l’articulation serait nouvelle est pour moi source de grandes richesses et d’envoûtement.

Vous créez des chorégraphies empreintes de modernité, comme celle du Lac des cygnes reçue à dix reprises à l’Opéra royal. Quels défis devez-vous relever pour rester à contre-courant de ce qui existe déjà ?

Angelin Preljocaj : J’ai toujours une multitude d’idées en tête pour créer des revisites à ma manière. J’aime m’amuser avec cette idée d’hybridation des mouvements, entre les arts martiaux, la danse classique, les mouvements de hip-hop ou les danses folkloriques. Je ne m'interdis pas d'aller sur tous les territoires qui excèdent l’inspiration traditionnelle des musiciens de l’époque. De plus, j’ai toujours revendiqué que la danse est à la fois un langage et une écriture. J’aime à penser que la danse n’est autre que de la pensée en mouvement, un peu comme l’exprime Spinoza : « L’âme est la pensée du corps ». En transposant, me dire que le mouvement est le langage de l’âme animera toujours mon travail chorégraphique. Dans Le Lac des cygnes, je donne une nouvelle signature contemporaine, avec de la musique électro du groupe 79D. Même si l’on garde les tonalités de la musique de Tchaïkovski, c’est un véritable parti pris de rupture. L’affinité de textures musicales qui se forme en plus de la chorégraphie est très forte.

© Gregory Batardon.

© Gregory Batardon.

Vous revenez à Versailles pour dévoiler votre prochaine création à partir de la tragédie Atys de Lully. Comment comptez-vous intégrer le ballet dans cette œuvre ?

Angelin Preljocaj : Pour l’écriture chorégraphique d’Atys, il y a plusieurs paramètres à maîtriser. Contrairement à ce qui aurait été fait au XVIIe siècle, je m’efforce de créer une véritable relation entre les ballets et la tragédie qui se joue. Il faut que la tragédie déteigne sur la danse, tout comme la danse doit déteindre sur la tragédie, pour qu’une osmose surgisse et que tout s’enchaîne sans interruption. En tant que chorégraphe, je cherche effectivement à introduire « dramaturgiquement » le ballet dans ces œuvres classiques, pour qu’il participe à sublimer les émotions suscitées. Dans cette pièce, sorte de Roméo et Juliette inversée, l’histoire d’amour est extrêmement contrariée. Les corps qui se déchirent, se repoussent, s’aiment ou se violentent sont esthétiquement incontournables pour le montrer. Après une première au Grand Théâtre de Genève, le 27 février 2022, Atys est maintenant reçue à l’Opéra royal, ce théâtre magnifique, intime et aussi très fastueux, dont je suis amoureux depuis mes débuts à Versailles.

Propos recueillis par Camille des Monstiers.

© Gregory Batardon.

© Gregory Batardon.

 

Découvrez Atys, à l'Opéra royal, du 19 au 23 mars 2022.

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