magazine du château de versailles

La tapisserie
au-delà des clichés

Depuis plusieurs années, le photographe Olivier Roller questionne
la représentation du pouvoir. Récemment, dans le cadre d’un travail
sur les figures du politique, des bustes d’empereur romain
jusqu’aux portraits photographiques des dirigeants actuels,
il a posé son objectif devant deux tapisseries versaillaises actuellement montrées au musée des Beaux-Arts d’Arras au sein de l’exposition
Le château de Versailles en 100 chefs-d’œuvre.

Tapisserie ; Suite de L’Histoire du Roi, 6e série 16e pièce : Audience accordée par Louis XIV au comte de Fuentès, ambassadeur du roi d’Espagne, au Louvre le 24 mars 1662, d’après le carton de Claude Ballin (1615-1678). © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Christian Jean / Jean Schormans

Si l’on considère la question de la représentation, la photographie et la tapisserie sont deux arts aux antipodes l’un de l’autre. Le premier, opération mécanique dans un cadre et un instant donné, a besoin de la présence matérielle du sujet, ne restituant qu’un phénomène optique. Le second, qui demande un travail minutieux, rend impossible la captation d’un événement, le temps de l’exécution étant trop long et demande donc de la part des artisans un effort d’imagination et de retranscription. De cette profonde différence, il découle une tendance de la photographie à paraître plus vraie, plus exacte, au point qu’il n’est pas rare qu’elle serve de preuve aux systèmes dans un contexte policier. En revanche, la tapisserie stylise et simplifie le réel perçu, restituant des symboles et non des existences matérielles.

Tapisserie ; Suite de L’Histoire du Roi, 6e série 16e pièce : Audience accordée par Louis XIV au comte de Fuentès, ambassadeur du roi d’Espagne, au Louvre le 24 mars 1662 [détail], d’après le carton de Claude Ballin (1615-1678). © Olivier Roller / DR

Par exemple, L’Audience accordée par Louis XIV au comte Fuentès, ambassadeur du roi d’Espagne, est un témoignage de la fonction symbolique que peut revêtir la tapisserie. Exécutée entre 1732 et 1735, la tenture représente une audience dans le grand cabinet du Roi au Louvre, le 24 mars 1662. Cette scène fait suite à une rixe mortelle entre représentants de France et d’Espagne, le 10 octobre 1661, à Londres. Philippe IV, roi d’Espagne, ayant désavoué la conduite de son ambassadeur et souhaitant calmer les esprits, envoie le comte de Fuentès à Paris, qui présente ses excuses à Louis XIV, devant les ambassadeurs européens. C’est bien cette victoire diplomatique, quatrième scène d’un programme iconographique plus vaste, la tenture des « 14 hauts faits de la vie de Louis XIV de 1654 à 1668 que relatait l’Histoire du Roy », qui est ici célébrée. Inspirée d’une œuvre de l’ancien premier peintre du Roi, Charles Le Brun, elle tente, quinze ans après la mort du Roi Soleil, de prolonger artificiellement le fil d’une mémoire collective fondée sur l’image d’une France rayonnante, qui aurait mis l’Espagne à ses pieds devant le reste du monde.

Tapisserie ; Suite de L’Histoire du Roi, 6e série 16e pièce : Audience accordée par Louis XIV au comte de Fuentès, ambassadeur du roi d’Espagne, au Louvre le 24 mars 1662 [détail], d’après le carton de Claude Ballin (1615-1678). © Olivier Roller / DR

Regardons maintenant les photographies d’Olivier Roller. Ce que l’on voit, c’est davantage le matériau en lui-même, l’enchevêtrement de fils tissés qui se présente à nos yeux. L’aspect passé des couleurs, la régularité du point entrecoupée d’accrocs accidentels, captive notre regard autant, voire davantage que la scène à laquelle le détail choisi appartient. Le symbole que les commanditaires ont souhaité faire apparaitre, celui d’une domination française sur l’Europe, s’évanouie. Nous apparaissent au premier plan le travail de l’artisan d’art, miraculeusement et méticuleusement sauvé de l’usure des siècles, grâce aux soins des conservateurs et des restaurateurs. On s’arrête avec curiosité sur une main étrangement (dé)formée, ou encore, sur la restitution des plis d’un vêtement bleu obtenue par un pur effet de couleurs, de formes et de tissage. On quitte le monde de la représentation pour celui de la texture, la facture, les formes et les coloris. Loin d’aboutir au formalisme, les cadrages resserrés rendent ici sensible le temps qui passe. Transformant l’image en matière, le motif passe au second plan. Lorsqu’on l’interroge sur son travail, Olivier Roller aime ainsi rappeler que « le pouvoir est ce vieux rêve de défier le temps, sachant que le temps sera le plus fort. L’homme de pouvoir sait qu’il a perdu. » Que l’effacement du symbole par la sensibilité mécanique de la photographie en soit ici une preuve. Ou un avertissement.

Victor Guégan

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°8 (octobre 2015 – mars 2016).


HORS LES MURS

Installation dans l’exposition « Oser la photographie »
Arles, musée Réattu
Jusqu’au 3 janvier 2016


À VOIR

« Le château de Versailles en 100 chefs-d’œuvre »
Exposition jusqu’au 20 mars 2016
Musée des Beaux-Arts d’Arras

Horaires : 11 h-18 h, les lundis, mercredis, jeudis, vendredis ;
10 h – 18 h 30, les samedis, dimanches et le 11 novembre.

Billets : 7,5 € ; 5 € (TR). Tarif réduit sur présentation d’un billet Château ou de la carte « 1 an à Versailles ». Exposition fermée les mardis et les 1er novembre, 25 décembre et 1er janvier.


À LIRE

Le château de Versailles en 100 chefs-d’œuvre, H. Delalex (dir.), coéd. Silvana Editoriale-Château de Versailles, 216 p., 20 €

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