« Toutes les choses les plus belles, les plus rares et les plus curieuses » : c’est ainsi que le marquis de Sourches décrit les œuvres dont s’entoure très tôt Monseigneur1. Celui-ci, comme son père Louis XIV, fut un grand collectionneur de vases de pierres dures et de statuettes de bronze, mais également de porcelaines de Chine.

Salle d’exposition montrant certaines pièces de la collection du Grand Dauphin. © EPV / Thomas Garnier
Le jeune prince commença à réunir ses premières œuvres alors qu’il n’avait pas vingt ans. Son père l’encouragea en lui offrant, à la fin de l’année 1681, des objets et des bronzes, tandis que sa mère lui fit présent d’une burette en améthyste qu’elle avait achetée à la célèbre foire Saint-Germain, à Paris.

Coupe en jaspe sur un pied en argent doré, par la Dynastie Qing (Chine) et Michel Debourg, 1684-1687 (monture), Madrid, Museo Nacional del Prado. © EPV / Thomas Garnier
Tout au long de sa vie, Monseigneur continua d’enrichir sa collection grâce à des achats effectués à cette même foire et auprès de grands marchands parisiens2. Il s’y rendait souvent avec son oncle, Monsieur, frère de Louis XIV, et son fils, le duc de Bourgogne, accompagné de son épouse. Sa femme, la dauphine Marie Anne de Bavière, des membres de la famille royale et quelques courtisans lui offrirent des vases de pierres dures, tous certains de lui faire plaisir. Le don le plus célèbre par son ampleur, ainsi que par son origine exotique, demeure le présent diplomatique de Phra Naraï, roi du Siam (actuelle Thaïlande), lors de l’ambassade reçue à Versailles en septembre 1686. Il comprenait, entre autres choses, 50 laques du Japon – qui furent les plus appréciés – 343 porcelaines et 45 objets d’or et d’argent de Chine et du Japon.

Aiguière en héliotrope, par l’atelier des Miseroni, vers 1610, Madrid, Museo Nacional del Prado. © Museo Nacional del Prado, Madrid
Des collections bien connues grâce à un inventaire
Au total, les collections du Grand Dauphin comptaient 444 vases de pierres de couleur, 246 vases de cristal de roche, 54 bronzes et 381 porcelaines de Chine, dont 64 provenaient du présent des Siamois. Ces ensembles sont bien connus grâce à l’inventaire rédigé en 1689, puis complété jusqu’à la mort du prince. Ils sont illustrés par les pièces conservées, d’une part, au musée du Prado à Madrid, Philippe V d’Espagne ayant hérité d’une partie des collections de son père ; d’autre part, au musée du Louvre, car ses frères, les ducs de Bourgogne et de Berry, reçurent leur part d’héritage qui, chacune, intégra les collections royales à la suite de leur décès prématuré. Seules les porcelaines de Chine furent vendues aux enchères à Marly en juillet 1711, « avec une indécence qui n’a peut-être point eu d’exemple », selon le duc de Saint-Simon, afin de payer les dettes du prince.
« Contrairement à son père, Monseigneur préférait les pierres de couleur aux cristaux de roche, presque moitié moins nombreux. »

Bouteille et vases « rouleaux » de la dynastie Qing (Chine), présentés dans l’exposition. © EPV / Didier Saulnier
Pierres de couleur aux allures fantastiques
Contrairement à son père, Monseigneur préférait les pierres de couleur aux cristaux de roche, presque moitié moins nombreux. Il goûtait la beauté des agates, jaspes et autres lapis-lazuli, mis en valeur par des montures en or émaillé somptueuses et originales, enrichies de pierres précieuses et, souvent, de camées et d’intailles, très appréciés du prince. Les orfèvres donnèrent libre cours à leur créativité à travers des sirènes, des dragons, des figures et autres masques fantastiques, rehaussés par la riche polychromie des émaux imaginés dans les années 1660-1670. Puis, à la fin des années 1680, le Grand Dauphin accompagna le changement de goût et commanda des montures en argent doré, sans émaux ni pierres précieuses, particulièrement pour les objets de jade offerts par les ambassadeurs du Siam.
Dans le domaine des cristaux, le prince prisait tant les grandes pièces spectaculaires aux foisonnants décors gravés que celles sans gravure, où resplendissait la parfaite transparence du cristal de roche. Les vases zoomorphes, les galères et autres chariots à roulettes reflètent le goût du prince pour les pièces extraordinaires.
Étuis pour vase, anonyme, Madrid, Museo Nacional del Prado.
Celui du milieu est destiné à une carafe avec poignée trilobée et date du dernier
quart du XVIe siècle. Les deux autres sont plus tardifs, du XVIIIe siècle.
Bronzes et porcelaines de Chine
Monseigneur était moins amateur de bronzes que Louis XIV, mais tout prince se devait d’en posséder. Sans doute sous l’influence du don paternel de 1681, comprenant neuf bronzes d’une qualité remarquable, le Grand Dauphin conserva un haut niveau d’exigence dans le choix des pièces acquises postérieurement, caractérisées par leur grande taille, la qualité de leur fonte, de leur ciselure et de leur patine. Les sujets inspirés de l’Antiquité dominaient, suivis par les créations de Jean de Bologne et celles de l’Italie du XVIIe siècle.
Une autre grande passion de Monseigneur portait sur les porcelaines de Chine au décor bleu et blanc – les seules alors disponibles sur le marché européen – qui, elles, n’intéressaient aucunement Louis XIV. Le prince appréciait particulièrement les décors dits « à broderie », dont les motifs rappelaient les fines broderies européennes alors à la mode et témoignaient de la maîtrise technique des peintres sur porcelaine chinois. Amateur exigeant, Monseigneur, déçu par les porcelaines apportées par les Siamois, en offrit une grande partie à son entourage. La réputation de qualité qui entourait sa collection en fit une référence prestigieuse en la matière jusqu’à la fin du XVIIIe siècle dans les catalogues de vente.

Fontaine, gobelet en jaspe doté d’une monture en or émaillé des années 1630, terme féminin attribué à François II Roberday et coupe en agate, cornaline et or émaillé, prêtés par le musée du Louvre pour l’exposition. © EPV / Didier Saulnier
Une présentation dans des décors d’un raffinement extrême
Selon l’inventaire de 1689, le Grand Dauphin présentait dans son appartement de Versailles, situé au rez-de-chaussée du corps central, 345 agates, 197 cristaux, 168 porcelaines, 23 pièces d’orfèvrerie siamoise et 25 bronzes, choisis parmi les plus belles œuvres. Il s’agissait de la plus grande partie de ses collections : les trois quarts de ses gemmes, les quatre cinquièmes de ses cristaux et presque la moitié de ses porcelaines.
Ces dernières ornaient son Cabinet doré3, tandis que les vases de pierres dures et les bronzes se trouvaient réunis dans son cabinet des Glaces attenant4 qui devint une des pièces les plus célèbres du château, par son contenu, mais aussi par son décor. Contre les murs, les trumeaux de miroirs étaient entourés de panneaux de marqueterie sortis de l’atelier de l’ébéniste André-Charles Boulle. Au sol, la marqueterie de bois présentait les chiffres de Monseigneur et de son épouse, lesquels se reflétaient au plafond dans les miroirs disposés dans des caissons d’ébène. Quant au reste des collections, elles ornaient les appartements et la galerie du château de Meudon, occupé par le prince à partir de 1695.

Bronzes des musées du Louvre, de la Wallace Collection et du château de Versailles, présentés sur des gaines et scabellons d’André-Charles Boulle dans l’exposition. © EPV / Didier Saulnier
Des œuvres choisies par le prince lui-même
Le Grand Dauphin réunissait des objets estimés dignes de son rang au XVIIe siècle, dans la continuité des collections royales constituées par Louis XIV. Faute de participer au gouvernement, le prince disposait de temps libre pour fréquenter foires et boutiques de luxe parisiennes, contrairement à son père qui s’appuyait sur un réseau d’agents pour ses collections, même s’il choisissait lui-même quelques pièces. Celles de Monseigneur témoignent ainsi directement de son exigence et de sa sensibilité, bien éloignées du portrait à charge dressé à l’époque par le duc de Saint-Simon.
Stéphane Castelluccio,
directeur de recherche au CNRS Paris, centre André-Chastel
1 Mémoires du marquis de Sourches sur le règne de Louis XIV, publiées par le Cte. de Cosnac et Arthur Bertrand, vol. I, Paris, Hachette et Cie, 1882-1893, p. 62-63.
2 Stéphane Castelluccio, Le Prince et le marchand. Le commerce de luxe chez les marchands merciers parisiens pendant le règne de Louis XIV, Paris, Éditions SPM, coll. « Kronos », 2014.
3 Actuelle chambre du Dauphin.
4 Aujourd’hui disparu, ce cabinet des Glaces occupait les deux tiers ouest de l’actuelle seconde antichambre du Dauphin.
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°27 (octobre 2025 – mars 2026).

Fontaine de table, par l’atelier des Sarachi, 1575-1600, Paris, musée du Louvre. © Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art, Dist. GrandPalaisRmn / Thierry Ollivier
À LIRE
Letizia Arbeteta Mira, El Tesoro del Delfin. Catalogo razonado, Madrid, Museo Nacional del Prado, 2001.
Stéphane Castelluccio, « La collection de vases en pierres dures du Grand Dauphin », Versalia, nº 4, janvier 2001, p. 38-59, accessible sur persee.fr.
À VOIR
Exposition Le Grand Dauphin (1661-1711). Fils de roi, père de roi et jamais roi
Du 14 octobre 2025 au 15 février 2026
CHÂTEAU DE VERSAILLES
Salles d’Afrique et de Crimée
Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 17 h 30 (dernière admission à 16 h 45).
Billets : accessible avec le billet Passeport, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Réservation horaire obligatoire.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».
COMMISSARIAT
Lionel Arsac, conservateur du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Scénographie : Philippe Pumain