Benjamin Franklin
piste le Laki

L’année du traité de Paris, qui consacra l’indépendance américaine, fut aussi celle d’une éruption volcanique qui affecta durablement le cycle des saisons. Ces deux événements majeurs furent suivis de près par une personnalité hors du commun, mise à l’honneur ce printemps à la télévision : Benjamin Franklin.

La chaîne des cratères du Laki, appelée Lakagígar, à l’origine de l’éruption de 1783 plongeant l’Europe dans le brouillard. © Areuland / CC-BY-4.0, via Wikimedia Commons.

Au début de l’été 1783, la France, puis bientôt toute l’Europe, est touchée par un étrange brouillard qui s’étend un peu plus chaque jour. Le ciel vire au carmin, le soir. Le temps est anormalement orageux. L’air sent le soufre, les yeux piquent. Les feuilles roussissent, des récoltes sont anéanties. Personne ne comprend les raisons de ce phénomène que l’on imagine passager. Pourtant, la situation perdure.

Brouillard rouge, puis hiver glacial

Si l’été est caniculaire, l’hiver est précoce et long. Les fleuves gèlent, les neiges sont continuelles, on meurt de froid. S’ensuivent la débâcle printanière et des pluies diluviennes qui causent d’importantes inondations dans tout le royaume. Consécutif à cette saison pourrie, arrive le temps de la disette. Dans les années suivantes, le climat conserve ce fort dérèglement. Il n’est pas rare de voir tomber la neige au printemps.
En 1879 est ouvert un manuscrit de Sveinn Pálsson oublié sur les rayonnages de la Bibliothèque royale de Copenhague : au début des années 1790, ce naturaliste danois identifiait, pour la première fois scientifiquement, grâce à une étude de terrain, le responsable de la terrible éruption qui avait recouvert l’Europe de ses fumées, une chaîne de volcans située en Islande. Le Lakagígar représente pas moins de cent quinze cratères, s’étirant sur près de vingt-sept kilomètres. Ces monstres de feu ont produit l’éruption la plus importante du millénaire, éjectant dans l’atmosphère, du 8 juin 1783 au 7 février 1784, un panache de cendres de près de 122 millions de tonnes de dioxyde de soufre.
Dès l’été 1783, le météorologue montpelliérain Jacques Antoine Mourgue avait émis l’hypothèse de cette irruption, mais, pour la postérité, le scientifique et diplomate américain Benjamin Franklin (1706-1790) est le premier savant à avoir pressenti l’origine de ce volcan.

Réception de Franklin à la cour de France, 1778, par Anton Hohenstein, vers 1860. © Washington, bibliothèque du Congrès. Benjamin Franklin reçoit une couronne sur la tête devant Marie-Antoinette et Louis XVI, assis, en présence également du comte de Vergennes.

Benjamin Franklin, premier lanceur d’alerte

En 1778, le docteur Franklin – « l’ambassadeur électrique », comme se plut à le surnommer la reine Marie-Antoinette – se présentait à la Cour en habit de simple colon, les cheveux au naturel. Il fit sensation, mais les portes de Versailles ne s’ouvriront pas grand pour autant. Imprimeur, éditeur, il est un homme politique, le représentant d’un peuple révolté. Ministre plénipotentiaire, envoyé par les insurgés pour négocier le soutien de la France à la cause de l’indépendance, il séjournera neuf années près de Paris, à Passy, s’intégrant parfaitement aux réseaux intellectuels de la capitale et aux milieux d’influence. Le vieux docteur est la coqueluche des salons, des femmes de l’aristocratie qui recherchent sa conversation.
Brillant scientifique et météorologue, Benjamin Franklin est honoré par les académies. Il a inventé le paratonnerre, a découvert le Gulf Stream. Alors que tout le monde questionne le ciel, son avis compte. Entretenant de multiples correspondances avec les savants de toute l’Europe, il consigne les perturbations de l’atmosphère et identifie l’origine volcanique du brouillard rouge.

Globe céleste soutenu par un Atlas, par l'ingénieur Lennel, 1778, dans la bibliothèque de Louis XVI au château de Versailles. © EPV/ Thomas Garnier.

Toutefois, rien ne semble indiquer qu’à Versailles, les alertes du docteur aient été prises au sérieux. Dans ses mémoires et ses correspondances, Franklin ne laisse pas entendre qu’il bénéficie d’une oreille attentive de la part du pouvoir. Après avoir, enfin, été reconnu ambassadeur officiel, suite à la signature du traité de paix de septembre 1783, il est une seconde fois invité à Versailles pour assister au premier vol habité d’une montgolfière. Louis XVI s’intéresse, en effet, à l’actualité des sciences, à l’électricité, à la cartographie des océans tout comme aux études météorologiques. Il a fait poser des paratonnerres sur les toitures du château suivant les conseils de Benjamin Franklin, mais toutefois, jusqu’à son départ de France en 1785, le savant demeure à l’écart de la vie de la Cour.

Une monarchie ébranlée par la crise climatique

La France est un vaste pays, peuplé par près de vingt-sept millions d’habitants. Le jeune roi, à peine trentenaire, n’est nullement préparé à gérer une telle crise, à une époque où les sciences ne sont pas encore capables de prévisions météorologiques. L’échec de ses premières réformes, l’interminable guerre américaine et ses dépenses colossales ont conduit à la paralysie du pouvoir.
En mars 1784, le roi innove, cependant. Après avoir fait lever une taxe spéciale auprès des riches, il dégage une somme exceptionnelle de trois millions de livres pour aider les victimes des inondations, ainsi que d’un million supplémentaire pour réparer les routes et les ponts. Aussi bien informé soit-il, Louis XVI ne peut néanmoins prendre toute la mesure des besoins et les caisses du royaume sont vides. L’événement climatique de 1783-1784 est, à juste titre, considéré par certains historiens comme une des raisons de la montée en puissance des mécontentements, comme l’élément déclencheur d’une inéluctable crise politique. C’est à Philadelphie – où il a consacré les dernières années de sa vie à la rédaction de la Constitution américaine – que Benjamin Franklin apprendra le déclenchement de la Révolution française.

Nicolas-Bruno Jacquet,
historien et guide-conférencier


À LIRE

Nicolas-Bruno Jacquet, 1783, Le Souffle rouge du volcan, éd. L’Harmattan, 2023.

À VOIR

La série Franklin, où le diplomate et savant est incarné par Michael Douglas, tournée en partie au château, sur Apple TV+, à partir du 12 avril, chaque vendredi.

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