(RE)NAISSANCE
D’UN DÉCOR

Sortis des réserves du théâtre de la Reine, deux magnifiques châssis symétriques ont donné envie à la brigade de Versailles
de se lancer dans une nouvelle aventure : imaginer tout le décor
qui pouvait autrefois leur correspondre.

Le défi est de taille, à la mesure de ce merveilleux théâtre de la Reine qui abrite l’une des machineries anciennes les mieux conservées au monde. Après avoir restauré, puis complété des décors existants, la brigade de Versailles a décidé d’en imaginer un de toutes pièces à partir de ces châssis strictement similaires. Leur singularité ? Ils datent du XVIIIe siècle, ce qui est aujourd’hui rarissime.
À l’arrière, ils portent la mention « fonds d’Azor », ce qui laisse supposer que ce décor a servi pour l’opéra-ballet d’André Grétry, Zémire et Azor, inspiré du conte de La Belle et la Bête1. Pas très étonnant lorsque l’on sait que le compositeur a été l’un des protégés de Marie-Antoinette dont il a été directeur de la musique…

Premières réflexions
Les deux châssis, de près de quatre mètres de haut, devaient encadrer une partie centrale pour laquelle tout est à faire ; et, en premier lieu, décider de l’élément central : une cheminée ? une porte-fenêtre ? une niche ? Raphaël Masson, conservateur du château chargé des collections de théâtre, et Pasquale Mascoli, peintre de la brigade, tournent autour des châssis, les sourcils froncés par la concentration.
Ces châssis « à brisure », c’est-à-dire à deux volets, frappent tout d’abord par leur simplicité. Mais les détails de ce décor d’intérieur apparaissent comme autant d’indices, soigneusement relevés. Un pilastre surmonté d’un chapiteau ionique et un feston sculpté donnent un caractère à la fois sobre et élégant à la pièce suggérée, très probablement un salon.

Tableau magique de Zémir et Azor, dédié à Madame la Dauphine par son très humble et très obéissant serviteur Touzé, par François Voyez, imprimé par J. B. Dute[rtre]. © Bibliothèque nationale de France. DR

L’une des scènes principales de l’opéra oriente alors la réflexion : le monstre Azor, à qui Sander lui a cédé l’une de ses filles pour l’avoir sauvé, permet à celle-ci de voir sa famille et de la rejoindre à travers une sorte de tableau magique. Souvent présent sous cette forme dans les œuvres figuratives évoquant cet opéra, ce sera donc un miroir qui trônera au centre du futur décor de théâtre.

Pasquale Mascoli et Raphaël Masson en pleine réflexion devant une première simulation à l'intérieur de la maquette du théâtre de la Reine. © DR

Une atmosphère claire et dépouillée
Quant aux châssis eux-mêmes, ils évoquent chacun l’embrasure d’une fenêtre d’où l’on perçoit un jardin derrière de grands arbres feuillus. « Ce jardin, j’ai envie d’y descendre depuis des marches », murmure Pasquale. « La perspective m’y invite », ajoute-t-il, en précisant qu’elle devait être « assez accélérée », c’est-à-dire accentuée. Le peintre aborde là une question cruciale : l’intégration de ces châssis dans le sens de la profondeur, de façon à créer un espace complet. Avec le conservateur, il va s’aider de maquettes pour modéliser les lignes de fuite, travailler les côtés du décor et créer l’illusion.
« Le dégradé du ciel peut indiquer un début d’après-midi », remarque également Pasquale. La lumière est perceptible grâce à l’ombre portée qui en indique la direction sur la porte entrebâillée. « Autrefois, celle-ci n’était pas donnée par du matériel d’éclairage, les bougies permettant seulement aux spectateurs de voir la scène. C’était le peintre en décor qui se chargeait de suggérer les effets de lumière par le travail des couleurs », rappelle Raphaël.
Le style un peu raide et néoclassique des châssis ainsi que leurs tons gris appellent, en tous les cas, une atmosphère plutôt claire et paisible qui exclut l’abondance de détails, ce qui n’est pas pour déplaire au conservateur : « En tant que garants de ce patrimoine, nous nous devons d’être le plus respectueux possible. Ces châssis seront « glissés » dans notre décor, et modifiés en aucune façon. Ils pourront en sortir à tout moment et rester tels quels. » Des années d’expériences, maintenant, et selon des formules très différentes, donnent toute légitimité à cette brigade d’un genre inédit pour redonner du sens à ces deux châssis esseulés.

Lucie Nicolas-Vullierme,
Rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1 Conte écrit, comme tant d’autres, par Jeanne-Marie Le Prince de Beaumont.

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