La douceur
d'une vie privée

Les cabinets intérieurs de la Reine n’avaient pas encore livré
tous leurs secrets. De nouvelles découvertes et une meilleure compréhension de leur organisation spatiale ont permis de restaurer
et de remeubler le second étage dans toute sa splendeur, à l’image
d’une souveraine insatiable et au goût parfaitement sûr.

Au second étage des cabinets intérieurs de la Reine, détail de l’ancienne pièce pour les « Premières femmes [de chambre] de la reine », consacrée aujourd’hui à ses amies. © EPV / Thomas Garnier

Les cabinets intérieurs de Marie- Antoinette ont rouvert dans leur totalité. Si, au premier étage, les visiteurs peuvent découvrir le boudoir de la Méridienne dans son dernier état textile connu avant la Révolution – un pou de soie couleur lilas soutenue par quatre tons de vert tendre – le deuxième étage, disparu sous Louis-Philippe et restitué en 1985, a fait l’objet d’une restauration et d’un remeublement complets.

La Méridienne, avec son pou de soie couleurs lilas et ses bordures dans des tons de vert tendre.

Nichés derrière la grande chambre de la Reine, ces espaces intimes constituaient un monde en soi quasi ignoré des courtisans. Leurs accès, gardés de jour comme de nuit, étaient strictement réglementés par les premières femmes de chambre qui n’y introduisaient que de rares privilégiés dont elles possédaient la liste. C’est dans ces écrins précieux, canevas charmant mêlant des petites pièces – parfois minuscules – à l’extrême élégance et d’autres, plus simples, aux boiseries simplement « en blanc », que se déploie de manière privilégiée la parfaite harmonie de tous les arts décoratifs français. Matériaux, techniques, dimensions et couleurs les plus diverses s’équilibrent, se répondent et entrent en résonance : c’est le beau langage des objets d’art.

Au second étage des cabinets intérieurs de la Reine, le boudoir. © EPV / Sébastien Gilles.

Marie-Antoinette décoratrice

Marie-Joséphine-Louise de Savoie, comtesse de Provence, d'après François-Hubert Drouais, après 1771. Epouse du futur roi Louis XVIII, elle est une belle-soeur de Marie-Antoinette. © EPV / Thomas Garnier

Ces cabinets racontent la grande passion de la reine pour l’aménagement et le décor et, en la matière, elle fit preuve d’un instinct très sûr et d’un goût remarquable. Quelques mois à peine après son arrivée à Versailles, trouvant l’appartement royal démodé, elle ordonne, avec sa toute-puissance infantile et sans même passer par le roi, de grands travaux à Ange-Jacques Gabriel qui s’en étrangle, refuse et s’en plaint au souverain. Le ton était donné ! Par la suite, cette passion se poursuivit de manière croissante et il n’y eut que la Révolution, au fond, pour mettre un terme à cette frénésie de travaux. Durant les dix-huit années de son existence à Versailles, Marie-Antoinette n’aura de cesse de développer ses espaces privés, procédant par un double principe d’extension et de colonisation. C’est en 1779, après les grands travaux menés dans les jardins du Petit Trianon, que la reine procéda au remaniement général de ses cabinets intérieurs et, comme à Trianon, son implication fut totale. Les espaces disponibles dans le corps central n’étant pas extensibles, elle récupère progressivement à son compte des pièces auparavant dévolues aux valets de chambre du roi, à sa dame d’honneur, à ses femmes de chambre et même au premier valet de chambre de son fils, d’où l’aspect labyrinthique et enchevêtré de l’ensemble.

Où la reine jouissait d’une relative tranquillité

Dans ces lieux aménagés pour les besoins de sa vie quotidienne, familiale et amicale, Marie-Antoinette pouvait goûter, selon Mme Campan, « la douceur d’une vie privée ». Elle s’y isolait pour se reposer – ne souhaitant pas être « dérangée », comme le précise une note de Richard Mique concernant l’aménagement de la Méridienne –, lire un livre ou s’adonner à un ouvrage de tapisserie ou de broderie, une activité qu’elle pratiquait depuis son enfance avec dextérité. C’est également là qu’elle dînait « en société », dans la petite salle à manger du second étage ouvrant, à l’époque, sur une terrasse d’agrément, et passait du temps avec ses jeunes enfants, amenés chaque jour du rez-de-chaussée par leur gouvernante, son amie la duchesse de Polignac. À ce sujet, les archives gardent la mémoire de deux rampes de cordes dans les petits escaliers, dont une à hauteur d’enfant, et l’inventaire du marchand mercier Lignereux, réalisé le 10 octobre 1789, mentionne « la lanterne magique et les jouets de M. le Dauphin » gisant au sol de la Méridienne après le départ précipité de la famille royale.

Au second étage des cabinets intérieurs de la Reine, ancienne pièce pour les « Premières femmes [de chambre] de la reine », consacrée aujourd’hui à Marie- Antoinette comme mère.
Tableau de gauche, Les Enfants du comte et de la comtesse d’Artois, et celui de droite, Louis-Antoine d’Artois, duc d’Angoulême. © EPV / Didier Saulnier

Mais dans cette histoire, le plus passionnant est moins ce que faisait la reine dans ces espaces que comment elle les faisait : ils dessinent d’elle un portrait en creux, une sorte de portrait par les lieux où se reflètent de manière fidèle tous les traits de sa personnalité, l’audace, l’assurance, l’exigence, l’impatience, l’orgueil et un goût certain pour le changement permanent. Dans ces cabinets, Marie-Antoinette renouvelle tout, tous les trois ans en moyenne.

Comprendre les espaces

Le premier enjeu de ce chantier de restauration et de remeublement fut ainsi de saisir l’organisation et la destination des neuf pièces du second étage, longtemps restées méconnues. Cette recherche était un préalable indispensable au choix des textiles. L’étude de nombreuses sources a permis, comme un jeu de piste, de se former une idée fiable du décor et de l’ameublement, du moins en 1784, état le mieux documenté choisi pour cette restitution. Il s’agissait par exemple de deviner, par le calcul des métrages des toiles, rideaux et portières livrés, que la salle à manger et le boudoir formaient une seule et même entité nommée « Pièce de retraite du Billard servant de logement à la dame d’Honneur lorsque la Reine est malade », et donc voués à être garnis de la même toile. C’est aussi grâce à la retombe nº 4 d’un plan de 1779 que nous avons pu préciser la destination des autres espaces, selon trois niveaux hiérarchiques distincts : trois pièces « à la reine », trois autres pour les « Premières femmes [de chambre] de la reine » et trois dernières destinées au « Service de la reine ».

Le motif du « Grand Ananas » décore les murs et le mobilier du boudoir. © EPV / Sébastien Gilles.

Un extraordinaire « Grand Ananas »

En 1784, les pièces dévolues à la reine étaient meublées d’une grande perse à fond blanc en toile de Jouy dite « superfine », payée 1 850 livres à Christophe-Philippe Oberkampf, directeur de la Manufacture. Dans les années 1780, l’engouement pour ces toiles imprimées était général et Marie-Antoinette, toujours « au goût du jour », y souscrit naturellement. Ce fut donc une plongée fascinante dans les fonds conservant ces étoffes, principalement au musée de la Toile de Jouy et au musée des Arts décoratifs de Paris, où se dévoile un univers visuel fait de variations de motifs à l’infini…

© EPV / Thomas Garnier

Les toiles finalement choisies témoignent toutes de la passion du XVIIIe siècle pour les fleurs au naturel où la rose et l’œillet règnent en maîtres. Quant à celle dite « au Grand Ananas », après sa découverte dans les réserves du musée de Jouy, elle s’est imposée d’emblée comme une évidence tant elle réunissait tous les critères recherchés : un chef de pièce complet, daté quasi exactement de l’année établie pour la restitution, d’un niveau royal, ayant conservé ses couleurs d’origine et présentant une qualité de blancheur, de luminosité et de délié merveilleuse.
La collaboration finale avec le Royal Ontario Museum de Toronto a été décisive puisque l’institution conservait la grande, la moyenne et la petite bordure correspondante ; il est en effet rarissime de pouvoir restituer une toile avec ses bordures originales, souvent perdues ou dissociées par le temps. Enfin, cet ananas, très à la mode à la Cour depuis 1733, résonnait parfaitement avec le goût de Marie-Antoinette puisqu’elle choisit le célèbre Ananas dans un pot du peintre Jean-Baptiste Oudry pour orner l’un des dessus-de-porte de son grand cabinet intérieur, au premier étage. Mais comme au XVIIIe siècle, la recherche continue, et le chantier ne s’arrête pas, car nous venons de découvrir une nouvelle indication de 1786 concernant des embrasses et un cordon de sonnette de passementerie installés dans ces pièces ! Nous les réaliserons l’année prochaine, avec les garnitures textiles des deux salles de bains.

Hélène Delalex,
conservatrice au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Le second étage des cabinets intérieurs de la Reine a retrouvé son atmosphère singulière grâce au mécénat de la maison Pierre Frey, complété par les dons de M. et Mme Mollier.
L’ameublement a été repensé et complété par des acquisitions, telles les deux encoignures de Martin Carlin offertes par la Fondation La Marck.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°23 (octobre 2023- mars 2024).


Détail des tentures ornant désormais chaque pièce
du deuxième étage des cabinets intérieurs de la Reine

1. Cabinet du Billard

 

 

 

 

8 et 9. Anciennes pièces au « Service de la reine », consacrées aux souvenirs liés à Marie-Antoinette.

Plan du second étage des cabinets intérieurs de Marie-Antoinette, 1779, Paris, Archives nationales, cote O/1/1773, dossier 3, nº 8, 4e retombe.

Ancienne pièce « à la reine », aujourd’hui
2. Salle à manger / 3. Boudoir

 

 

 

 

 

 

4. Ancienne pièce au « Service de la reine », consacrée à Mme Campan.

5. Ancienne pièce pour les « Premières femmes [de chambre] de la reine », consacrée aux amies de Marie-Antoinette.

 

 

 

 

6. Ancienne pièce pour les « Premières femmes [de chambre] de la reine », consacrée à Marie-Antoinette comme mère.

7. Ancienne pièce pour les « Premières femmes [de chambre] de la reine », consacrée à la famille de Marie-Antoinette.

 

 

 

 

 


À VISITER
Les cabinets intérieurs de la Reine (10 personnes maximum) grâce à la visite guidée « Marie-Antoinette en privé ».
Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr

Le musée de la Toile de Jouy
Château de l’Églantine
54, rue Charles-de-Gaulle, à Jouy-en-Josas
Renseignements sur museedelatoiledejouy.fr

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