En chair et en os

Le projet Immersailles donne corps à toutes ces personnes
qui ont habité le château de Versailles. Grâce au progrès des technologies numériques, 
il permet de localiser ces différents occupants
sur des cartes à trois dates liées aux règnes des rois
Louis XIV (1715), Louis XV (1732) et Louis XVI (1777).

Capture d’écran d’une partie de l’une des cartes proposées par l’application Immersailles, chaque onglet correspondant à un occupant du château à cette époque. © CRCV

Qui vivait réellement au château de Versailles ? Comment les nombreux logements de courtisans, distribués de part et d’autre de ceux de la famille royale et dont la plupart ont disparu, s’organisaient-ils à l’intérieur de l’immense monument ? Quelles circulations et quelles relations cela pouvait-il engendrer ? Le projet Immersailles vise à rendre accessible à tous l’identification « historicospatialisée » de ces anciens locataires à partir de plans d’époque.

« Au croisement de l’informatique et de l’histoire »

Très concrètement, et à ce jour, il permet aux utilisateurs d’afficher les cartes restituées pour chacune de ces trois dates, d’évoluer sur les différents niveaux consultables des bâtiments (rez-de-chaussée, étages, mais aussi entresols et caves où l’on stockait le vin et le bois), de survoler les zones des appartements recensés pour découvrir les désignations associées (galerie des Glaces, chambre du Roi, logement du Capitaine des gardes du corps en quartier, cave du premier chirurgien du roi…) et de cliquer sur les icônes référençant les résidents des appartements pour consulter leur fiche biographique.
Le projet Immersailles est l’un des premiers à exploiter l’extraordinaire documentation mise à disposition par le projet VERSPERA ayant numérisé l’ensemble des plans de Versailles détenus par les Archives nationales et la Bibliothèque nationale de France. Parmi les autres ressources utilisées, l’ouvrage de William R. Newton publié en 2000, L’Espace du roi1, s’est avéré précieux. Au croisement de l’informatique et de l’histoire, ce projet en humanités numériques intègre aussi des informations issues de différentes bases de données permettant d’enrichir les portraits et notices biographiques. Citons notamment la base du Centre de recherche du château de Versailles (CRCV) ou celle du Fichier Bossu, fichier de francs-maçons des XVIIIe et XIXe siècles conservé à la Bibliothèque nationale de France. Ainsi se dessine un groupe d’individus qui participe à certaines logiques de sociabilité au sein de la Cour.

Rez-de-chaussée du château, en 1732, où naviguer pour déterminer les occupants des différents logements. © CRCV

Qui vit au château ?

Le projet recense actuellement plus de six cents lieux distincts et deux cent soixante-cinq anciens résidents dont l’occupation des espaces est significative. Autour des membres de la famille royale et de leurs collatéraux gravitent tous ceux qui assurent une charge auprès d’eux, courtisans, officiers et serviteurs variés. Seules certaines maîtresses du roi, comme madame Du Barry, ont pu habiter au château sans fonction définie. « Un courtisan “moyen” disposait a minima, pour se loger, d’une antichambre, d’une chambre, d’un cabinet et d’un cabinet de garde-robe2, explique Mathieu da Vinha, directeur scientifique du CRCV, mais certains partageaient juste une chambre, car ils ne vivaient là que trois mois par an, les charges étant assurées par roulement. Le reste du temps, ceux-ci rentraient chez eux, dans leur province. »

Vue de la chambre de l’appartement de monsieur de Maurepas, au deuxième étage du château. © EPV / Thomas Garnier

Des lieux à la mesure des hommes

Grâce aux données rassemblées, le projet Immersailles permettra, à terme, de suivre l’attribution des espaces et les superficies allouées au fur et à mesure pour chacun. Il traduira les incessantes modifications qui rendent le château si difficile à comprendre dans le temps, fruit des travaux réclamés à cor et à cri par des courtisans oppressés par l’exiguïté des lieux. Ainsi pourra-t-on distinguer l’évolution de grands personnages avec le développement de leur appartement ou son rapprochement de celui des princes. Au temps de Louis XIV, la famille de Noailles (le duc et la duchesse, leur fils comte d’Ayen et leur fille duchesse de Guiche qui céda ensuite sa place à sa belle-soeur) disposait, par exemple, de la moitié de l’attique du Nord. Leur appartement « était si grand qu’on l’appelait la rue de Noailles, parce qu’il y avait un corridor très long qui communiquait à toutes les pièces3 ». À l’inverse, nous pourrons river nos yeux sur certains endroits où se sont succédé plusieurs générations d’occupants, avec toutes leurs petites histoires.

Thomas Fressin,
docteur en histoire moderne,
maître de conférences associé en informatique de l’Université Gustave Eiffel

1 William R. Newton, L’Espace du roi. La cour de France au château de Versailles, 1682-1789, Paris, Fayard, 2000.
2 Où l’on rangeait les habits et le linge, avec une éventuelle chaise percée.
3 Mémoires du Marquis de Sourches, 22 mai 1707.


De l’Université au Centre de recherche du château de Versailles

Thomas Fressin est à l’origine de ce projet qu’il est venu proposer au Centre de recherche du château de Versailles. Enthousiaste, le CRCV a fourni l’appui scientifique pour choisir les époques et les plans, puis recenser et localiser les individus. Des étudiants de l’IUT de Marne-la-Vallée (Université Gustave Eiffel) ont participé au développement informatique de l’application.


À CONSULTER

Le projet Immersailles

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