Noël Coypel
sort de l'ombre

Né le jour de Noël et décédé un 24 décembre, Noël Coypel (1628 - 1707)
fait partie des artistes qui œuvrèrent aux décors de Versailles.
Une exposition rend honneur à ce peintre méconnu,
à l’origine d’une descendance qui l’éclipsa quelque peu.

Le Triomphe de Saturne [détail], par Noël Coypel, vers 1671-1672, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-GP (Château de Versailles) / © Michèle Bellot.
Projet de décor pour le salon de Saturne, dans le grand appartement du Roi, qui n’a jamais été exécuté. 

Pourquoi une exposition sur Noël Coypel, et pourquoi maintenant ?

Béatrice Sarrazin, commissaire de l'exposition : Le projet germait depuis longtemps. La restauration du plafond de la salle des gardes de la Reine, en 2015-2017, a confirmé l’importance de ce chef-d’œuvre : son auteur, Noël Coypel, méritait vraiment d’être mieux compris. Cela s’imposait d’autant plus que subsistaient suffisamment de peintures de sa main, notamment au musée des Beaux-Arts de Rennes. Celui-ci présentera d’ailleurs une exposition à la suite de la nôtre1 qui reprend toute sa carrière, en développant certains aspects comme la peinture religieuse ou les tapisseries.

La Calomnie, par Noël Coypel, vers 1660, musée des Beaux-Arts de Rennes.
Étude dans le cadre de l’ornementation du plafond de la Grand’Chambre du Parlement de Bretagne. © Rennes, musée des Beaux-Arts.

L’exposition au château de Versailles réunit près de quatre-vingt-dix œuvres – peintures, dessins, cartons de tapisserie – illustrant son travail en lien avec les grands décors. Comment Noël Coypel s’inscrit-il dans cette production qui, au milieu du XVIIe siècle, prend une nouvelle tournure ?

B.S. : Noël Coypel est formé à Orléans avant de rencontrer, à Paris, Charles Errard qui le repère et le fait travailler. Va naître entre eux une collaboration où chacun prend sa part, Errard se chargeant de la conception du décor et Coypel des figures. Le Parlement de Bretagne, à Rennes, en offre une somptueuse illustration. Du plafond, encore compartimenté, de la Grand’Chambre, réalisé entre 1660 et 1661, Errard est l’auteur de l’imposante composition. Coypel, lui, a exécuté les groupes de personnages qui animent l’espace de leurs postures virevoltantes.

Le Mois de mars, par Noël Coypel, 1667-1668, Washington, ambassade de France, dépôt du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
Huile sur toile commandée pour l’alcôve de la chambre du Roi dans l’appartement de commodité, au premier étage du palais des Tuileries. © Washington, ambassade de France, dépôt du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon / © Christophe Fouin.

Un peu plus tard, entre 1666 et 1670, Noël Coypel travaille seul, au palais des Tuileries depuis détruit, sur le décor de l’ensemble du petit appartement du Roi. Nous présentons, de manière inédite, ses peintures qui étaient insérées dans les boiseries ainsi que des œuvres préparatoires. On y perçoit l’excellent dessinateur, amateur de traits amples et impérieux, qui se sert de l’allégorie pour dépeindre un monde idéal, habité de personnages aux visages imperturbables.
Charles Errard appartenait à la première génération d’artistes qui initièrent les grands décors dans les résidences royales, mais il fut écarté par Charles Le Brun et éloigné des chantiers par sa nomination, en 1666, à l’Académie de France à Rome. Noël Coypel, au contraire, se distingue par la longévité de sa carrière, conservant la faveur du roi jusqu’à la fin de sa vie, passant au travers des querelles de pouvoir entre peintres, traçant son chemin sans coups d’éclat jusqu’à Jules Hardouin-Mansart qui le remplacera à son poste de directeur de l’Académie royale de peinture, en 1699, par Charles de La Fosse.

Quelles sont les caractéristiques de son style ?

B.S. : Si on devait le cataloguer, Noël Coypel donne la primauté au dessin, ainsi qu’en témoignent ses interventions à l’Académie. L’observation fine de ses œuvres révèle qu’il accumulait les croquis préparatoires et reprenait inlassablement ses compositions. Au niveau de la couleur, le peintre a été sensible à la seconde école de Fontainebleau et à la suavité de sa palette. Il se rattache, par ailleurs, au courant atticiste parisien qui développe, avec Eustache Le Sueur, un nouveau classicisme.
Mais l’on remarque surtout l’influence de Nicolas Poussin : celle-ci prend toute sa force au plafond de la salle des gardes de la Reine, dans le château. Les toiles marouflées étaient, à l’origine, destinées au salon de Jupiter dans lequel ce décor ne fut pas posé en raison de l’aménagement de la galerie des Glaces. La thématique s’adressait donc au roi, non pas à la reine, à travers des scènes inspirées de l’Antiquité et réinterprétées selon des formules qui rappellent celles de Poussin. Les dispositions en frises, les fonds architecturés, les drapés ainsi que la gestuelle, privilégiée pour manifester les passions plutôt que les expressions des visages, font penser au grand maître dont Coypel a dû contempler la production lors de son séjour à Rome. Ce qui est formidable, c’est que les visiteurs de l’exposition peuvent se faire une opinion sur place, dans la salle des gardes de la Reine, où sont présentées les œuvres préparatoires de cet ensemble magistral auquel les écoinçons apportent une note moins sévère.

Ptolemée Philadelphe donnant la liberté aux Juifs [détail], par Noël Coypel, 1673-1675, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © © RMN-GP (Château de Versailles) / © Franck Raux.

Comment apprécier ces grands décors, si difficiles à appréhender ?

B.S. : Il est ardu, en effet, de décrypter ce langage d’une époque révolue, s’inspirant d’une littérature complètement oubliée de nos jours. À défaut d’une analyse savante, je crois que l’on peut apprécier le caractère plastique de ces œuvres, en saisissant leur structure d’ensemble et en distinguant les différents univers qui s’y côtoient à l’aide de codes plus accessibles. Ainsi des parties centrales, réservées aux dieux de la mythologie.
Pour les voussures, c’est plus compliqué, avec souvent un double ou triple discours. Revenons au plafond de la salle des gardes de la Reine où chacune d’entre elles se rapporte, en réalité, à la mansuétude de Louis XIV. Trajan donnant des audiences publiques est accueillant comme le roi le prétend ; Ptolémée Philadelphe donnant la liberté aux Juifs rappelle une intervention de Louis XIV pour faire libérer des esclaves chrétiens aux mains des Turcs ; Alexandre Sévère faisant distribuer du blé au peuple de Rome dans un temps de disette est à relier directement à la famine de 1662. Si les visiteurs de Versailles goûtent juste à l’harmonie générale de ces œuvres, je serai comblée !

Apollon couronné par la Victoire après la défaite du serpent Python, par Noël Coypel, 1688, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, dépôt du musée du Louvre.
Commande de Louis XIV pour la chambre de repos du Grand Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin.

Et vous, qu’aimez-vous dans ces tableaux de Noël Coypel ?

B.S. : En les examinant de plus près, j’ai découvert combien l’artiste a pu s’épanouir dans le cadre strict des commandes du roi. J’avais une vision assez monolithe de son travail, qui connaît pourtant des évolutions durant sa longue carrière. Je me suis rendu compte qu’il avait pu jouir d’une certaine liberté de style, comme ses confrères, d’ailleurs : quel plaisir de savourer la délicatesse des coloris, en particulier !
C’est encore plus vrai dans le cadre de l’aménagement du Grand Trianon où, en 1688, sont aussi sollicités Jean Cotelle, Charles de La Fosse, René-Antoine Houasse ou Michel Corneille. Les œuvres de Noël Coypel s’y trouvent habituellement dispersées, à l’écart du circuit ouvert librement au public. Rassemblées dans l’exposition, elles échappent, tout d’un coup, à cette vision caricaturale d’un goût louis-quatorzien. La série d’Apollon dégage une impression de douceur, de bien-être. Celle d’Hercule se lit comme une histoire…

Noël Coypel a fondé une véritable dynastie. Ses fils, Antoine et Noël Nicolas, ainsi que son petit-fils, Charles Antoine, sont tous passés par l’Académie royale de peinture…

B.S. : Oui, Noël Coypel a eu de très nombreux enfants, dix-sept ! De son union avec sa première femme, qui était aussi une artiste, est né Antoine. Ce garçon précoce, qu’il a emmené à Rome, est devenu par la suite premier peintre du roi et a occulté la mémoire de son père, à tel point que les deux sont très souvent confondus. Noël Nicolas, issu d’un deuxième mariage, est moins célèbre, Charles Antoine davantage, mais tous trois ont bénéficié d’une monographie. Il ne manquait plus que celle de Noël. C’est chose faite, et nous nous en réjouissons.

Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1 Exposition au musée des Beaux-Arts de Rennes, Noël Coypel, peintre du roi, du 17 février au 5 mai 2024.

Plafond de la salle des gardes de la Reine dont l’octogone central et les voussures ont tout d’abord été peints par Noël Coypel avant les écoinçons, quelques années plus tard. © © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin.


Versailles, berceau des grands décors à voussures

Dans un système où la personne du souverain a un caractère sacré, les résidences royales s’imposent comme centres symboliques de son pouvoir à travers leur ornementation. Ces décors métaphoriques, truffés de références érudites, sont développés par Louis XIV qui cherche à s’affirmer après l’épisode de la Fronde. Tout d’abord magnifiant les façades et les murs, ils envahissent les plafonds, notamment lors du grand chantier versaillais.
Noël Coypel intervient, dans ce qui est encore le château de Louis XIII, dès le début des années 1660, au niveau des petits appartements du Roi et de Marie-Thérèse, mais c’est à partir des années 1670 que les grands décors sont déployés, dans les Grands Appartements, l’escalier des Ambassadeurs, puis la galerie des Glaces.
Introduit vers 1640, le modèle du plafond à voussures bouleverse, par ailleurs, la transcription du message symbolique : le plafond plat permettait une compartimentation en caissons et une narration linéaire ; la composition suivant une toile centrale et des voussures périphériques reliées par des écoinçons induit une représentation sous forme de cycle. L’enfilade des Grands Appartements évoque ainsi successivement les sept planètes avec, au centre, le dieu en gloire correspondant et, autour, les grands hommes et les allégories qui lui sont associés1.

1 Lire Nicolas Milovanovic, Du Louvre à Versailles. Lecture des grands décors monarchiques, Paris, éd. Les Belles Lettres, 2005.


À SUIVRE


À VOIR

Noël Coypel, peintre de grands décors
jusqu’au 28 janvier 2024
1re partie : Grand Trianon – galerie des Cotelle
2de partie : Château de Versailles – grand appartement de la Reine

Horaires : tous les jours, sauf le lundi.
Grand Trianon : 12 h-17 h 30 (dernière admission à 17 h)
Château : 9 h-17 h 30 (dernière admission à 17 h)

Billets : accessible avec le billet Passeport (pour voir l’ensemble de l’exposition), le billet Domaine de Trianon (pour la 1re partie uniquement), le billet Château (pour la 2de partie uniquement).
Réservation horaire obligatoire.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».

Commissariat :

Béatrice Sarrazin, conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Guillaume Kazerouni, responsable des collections anciennes du musée des Beaux-Arts de Rennes

Scénographie : Véronique Dollfus

L’Apothéose d’Hercule [détail], par Noël Coypel, vers 1700, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © © RMN-GP (Château de Versailles) / © Gérard Blot.

Autour de l'exposition : 

Visites guidées de l’exposition, sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr

Un parcours audio à télécharger gratuitement sur l’application mobile : onelink.to/chateau

Un livret-jeu gratuit pour les 8-12 ans, disponible sur chateauversailles.fr et en distribution libre à l’entrée de l’exposition, au Grand Trianon.
En partenariat avec Paris Mômes.

Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles » à découvrir sur chateauversailles.fr/abonnes


À LIRE

Le catalogue de l’exposition
Coédition château de Versailles / Snoeck
352 p., 24 × 28 cm, 39,90 €
Disponible sur boutique-chateauversailles.fr

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