Entrée en matière

Les visiteurs de Versailles passent sans transition des appartements royaux aux salles de musée voulues par Louis-Philippe. Les strates historiques s’entremêlent, les décors reflètent la complexité du destin de ce palais. À l’occasion de son 400e anniversaire, la galerie du rez-de-chaussée de l’aile nord a été entièrement repensée.

Vue de la troisième salle composant la nouvelle galerie de l’Histoire du château. © EPV / Sébastien Giles

Même si l’une des missions primordiales d’un musée est de veiller à ce que les visiteurs ne touchent pas les œuvres d’art, l’ambition des nouvelles salles de l’aile du Nord est de rendre l’histoire du château véritablement palpable. Il s’agit de favoriser ce mystérieux contact physique que nous avons avec les témoins matériels du passé, de sentir pleinement le riche effluve qui émane de leur matière, de leur beauté, mais aussi de leur décalage et de la nuée de questions qu’ils lancent à leurs spectateurs.

Un si vaste sujet

Raconter l’origine et les transformations incessantes du château et de son domaine, en expliquer les fonctions et les décors, pourrait être un exercice terriblement scolaire et le sujet est si vaste que, s’il fallait le faire avec des mots, c’est un ouvrage entier ou une conférence de trois heures qu’il faudrait pour n’en donner que les rudiments. Au visiteur qui vient d’entrer au château, souvent après un long voyage et après en avoir beaucoup rêvé, nous ne souhaitons évidemment pas infliger cette leçon, mais simplement lui offrir, avant qu’il ne découvre le salon d’Hercule, la salle des gardes de la Reine ou la galerie des Batailles, quelques indices qui renforceront son expérience, lui feront percevoir de façon plus aiguë la profondeur historique de tous les espaces qu’il va traverser.

Mise en scène du « cabinet des Chinois » tel qu’il s’insérait, dans les années 1760, dans les cabinets intérieurs de la reine Marie Leszczyńska, au château de Versailles. © EPV / Christophe Fouin

Des chefs-d’œuvre comme jalons de l’histoire

Il s’agit aussi, comme si nous avions peur qu’il n’y ait pas assez de belles choses à voir lors de la visite (hypothèse improbable), de le faire entrer d’emblée dans le domaine du sublime : car, pour raconter l’histoire de Versailles, les documents les plus parlants sont des chefs-d’œuvre. Certains sont célèbres, comme les grandes vues panoramiques du château ou les tableaux d’Hubert Robert montrant la campagne de reboisement du parc sous Louis XVI. D’autres sortent des réserves pour la première fois, comme les merveilleuses gaines de la bibliothèque de stuc de Madame Sophie, surmontées de leurs grands vases pots-pourris imitant l’albâtre, dont les couvercles perforés laissent imaginer les parfums que la princesse aimait diffuser dans son appartement du rez-de-jardin, entièrement disparu. Nous croyons au pouvoir de suggestion de ces pépites qui, plus sûrement qu’un discours, excitent la curiosité et font entrevoir d’un coup un monde englouti, l’immensité du temps, de l’activité humaine et du génie de l’art, effort éperdu pour comprendre et mettre en scène l’harmonie du monde, toutes choses qui s’incarnent à Versailles plus qu’ailleurs et que le monde entier vient aujourd’hui y chercher, bien plus qu’une simple démonstration de la grandeur française.

Salle de la galerie de l’Histoire évoquant l’appartement des Bains de Louis XIV, avec l’un des piédestaux qui ornaient le Salon octogone ainsi que deux peintures de paysage par René-Antoine Houasse, vers 1677. © EPV / Sébastien Giles

Un vestige de l’appartement des Bains de Louis XIV

Parfois, le témoin du passé présente un aspect plus archéologique encore : tout récemment, était identifié, dans une des nombreuses réserves du château, un piédestal en brèche grise, l’un des marbres les plus rares et recherchés, vestige du Salon octogone de l’appartement des Bains de Louis XIV. Il supportait la statue de l’un des douze mois de l’année, réalisés à partir des dessins de Charles Le Brun, qui entouraient la pièce. Mis en situation dans une salle de la nouvelle galerie, à proximité d’un tableau de Houasse qui surmontait la cheminée de ce salon, et de deux autres chefs-d’œuvre du même peintre provenant d’une pièce voisine du mythique appartement des Bains, ce morceau de marbre suffit, dans son élégance parfaite, à délivrer une leçon de grandeur et à montrer l’amour de l’antique dont le Grand Siècle était transi.

De très nombreuses acquisitions récentes viennent éclairer ce nouveau parcours. Des esquisses de Jean-Baptiste de Champaigne pour le salon de Mercure, de Charles Le Brun pour l’escalier des Ambassadeurs ou le salon de la Guerre, de Nicolas Sébastien Adam pour un autel latéral de la chapelle… Elles vont de la plus modeste, comme ce minuscule tableau où l’on voit Louis XVIII visitant la galerie des Glaces en travaux, image d’un intérêt extraordinaire acquise pour quelques sous dans une vente aux enchères, jusqu’à la redécouverte majeure du groupe monumental en marbre de Zéphyr et Flore, offert au château en 2022 par la République d’Angola. C’est l’une des dernières commandes de sculpture de Louis XIV, destinée aux salles vertes des jardins du Grand Trianon. Autre événement exceptionnel, l’entrée dans les collections de la Messe de la famille royale aux Tuileries, tableau d’Hubert Robert classé trésor national. Encore une œuvre capitale qui, certes, nous fait quitter Versailles, mais justement nous fait vivre en direct la fin d’un monde.

Fête de nuit, par Gaston La Touche, 1906, musée d’Orsay, en dépôt au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin

Versailles à l’aube de la modernité

L’époque du grand « Versailles Revival », au tournant du XXe siècle, fait aussi l’objet d’une salle bénéficiant des recherches menées pour l’exposition récente du même nom. On y évoque l’entrée du musée dans l’ère scientifique, avec Pierre de Nolhac pris sur le vif à son bureau, dans une jungle de livres et de papiers, en plein travail d’écriture face à un buste de Marie-Antoinette. En contrepoint, le grand tableau de Gaston La Touche, Fête de nuit, retrouvé roulé dans une réserve à Limoges et déposé à Versailles par le musée d’Orsay, offre la plus merveilleuse synthèse du grand fantasme que devient Versailles à l’aube de la modernité.

« Ce ne sont que quelques exemples de la vaste convocation de souvenirs, de témoignages, de splendeurs et d’éclairages nouveaux qui devraient faire de cette entrée en matière une réelle découverte et un premier moment de plaisir pour les visiteurs de Versailles. »

Ce ne sont que quelques exemples de la vaste convocation de souvenirs, de témoignages, de splendeurs et d’éclairages nouveaux qui devraient faire de cette entrée en matière une réelle découverte et un premier moment de plaisir pour les visiteurs de Versailles, de nature à intensifier tous ceux qui vont suivre. Dans ce palais, l’histoire est littéralement incarnée, et dès la première salle, c’est une série de portraits majestueux de tous les « rois de Versailles » qui ouvre le parcours. Ils sont cinq, de Louis XIII à Louis-Philippe, et c’est la première fois que l’on ose cette perspective. Mais Louis-Philippe n’a pas seulement été celui qui a inventé pour le château un statut définitif. À sa manière, n’y a-t-il pas régné ? Le visiteur attentif qui arrêtera son regard sur les poignées des portes-fenêtres n’y trouvera pas les L entrelacés, mais le chiffre LP… Quoi qu’il en soit, la confrontation de son grand portrait par Winterhalter, en pied dans la galerie des Batailles, avec le Louis XVI en costume de sacre de Duplessis, fournit à elle seule le support d’une longue méditation que l’on pourra poursuivre en parcourant l’immensité du château.

Laurent Salomé,
directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

La galerie de l’Histoire du château a été réalisée grâce au mécénat de M. et Mme Evan Spiegel, Free – Groupe iliad, avec le soutien de la Région Île-de-France et la participation de Google Arts & Culture.

Les portraits de Louis XVI, par Louis-Joseph-Siffred Duplessis (après 1777), et de Louis-Philippe, par Franz Xaver Winterhalter (1841), se faisant face dans la première salle de la nouvelle galerie
de l’Histoire du château. © EPV / Sébastien Giles


Quatre cents ans à l’aune du numérique

Plus de cent vingt œuvres des collections de Versailles permettent de mieux comprendre la création, les transformations et les bouleversements du château. Bien sûr, les outils numériques sont de la partie pour éclairer certains aspects. Les reconstitutions en 3D rendent les différentes phases de construction du château beaucoup plus lisibles ainsi que la configuration des nombreux espaces qui ont disparu (grotte de Téthys, escalier des Ambassadeurs, Marly…). Un survol filmé par drone permet d’apprécier l’étendue de l’ancien domaine. Enfin, quatre vidéos inédites sur Versailles aux XXe et XXIe siècles retracent, à partir des archives, la vie artistique, festive et politique de ce monument qui, depuis sa fondation il y a quatre cents ans, est resté un lieu de création et de spectacles tout comme un symbole de la France.

Vidéos proposées à la fin de la galerie de l'Histoire. © EPV / Sébastien Gilles


À DÉCOUVRIR

La galerie de l’Histoire du château,
au début du parcours de visite libre.


À ÉCOUTER

Le podcast de Versailles immortel :

Épisode 1 (1623-1721)
Épisode 2 (1722-1823)
Épisode 3 (1824-1923)
Épisode 4 (1924-2023)

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