Voir des planches
dans les arbres

On n’imagine pas la variété des techniques qui se rapportent à la fabrication des meubles. Le parcours d’Éric De Meyer, qui dirige l’atelier d’ébénisterie du château, en témoigne, à travers les multiples formations qu’il a suivies pour exceller en la matière et transmettre sa passion.

Éric de Meyer restaurant une console. © EPV / Didier Saulnier

Quand il s’agit d’entretenir et de restaurer du mobilier précieux, signé des plus grands artistes de l’époque, on se fournit à la source, auprès des arbres. Ainsi, un tronc de chêne est-il en train d’être débité dans l’atelier d’ébénisterie du château en vue d’obtenir les planches désirées. Un délicieux parfum flotte en ces lieux où les machines les plus sophistiquées côtoient les outils les plus simples, maillets et ciseaux à bois.

De l’arbre à des meubles multi-centenaires

La fascination pour les arbres a suscité la passion d’Éric De Meyer qui dirige aujourd’hui cet atelier où il exerce depuis plus de vingt ans et terminera bientôt sa carrière. « Ce qui m’a toujours plu, c’est que le bois provienne directement de la nature. Le travailler revient ainsi à participer à la transformation du vivant, qu’il s’agisse d’un spécimen prélevé dans une forêt dense où il a dû se hisser pour capter la lumière ou d’un gros pépère, bien proportionné, profitant d’un champ pâturé, tel un enfant gâté. » De sa voix aérienne, Éric dégage une grande sensibilité : « j’aime entendre le crissement de la scie et le frottement du rabot, j’adore les copeaux, et toute l’esthétique inhérente au bois. » Pour obtenir « un bel ouvrage », il faut savoir choisir les morceaux les plus prometteurs, en fonction de leur veinage, et s’attacher à les révéler : « On s’associe ainsi à un processus de création dans lequel, à Versailles, intervient aussi le passé du meuble, une vie qui nous échappe et dans laquelle il faut discrètement s’inscrire. »

Éric de Meyer restaurant un siège Nadal. © EPV / Didier Saulnier

Tout est bon pour apprendre

Après une première expérience dans la fabrication de mobilier destiné à la micro-informatique, alors en plein essor, Éric De Meyer rejoint très vite un domaine plus traditionnel - mais qui, précise-t-il, exige tout autant des techniques de pointe - celui du patrimoine. Il prend en charge l’atelier d’ébénisterie de la cour des Comptes, à Paris. C’est là qu’il peut bénéficier de formations à l’école Boulle avec laquelle il a pris contact, à l’âge de 34 ans, le cœur battant. « Tu entreras à l’école Boulle », lui répétaient ses professeurs lorsqu’il n’était qu’un jeune apprenti : « je ne voyais pas du tout de quoi ils parlaient, avec ce mot si curieux », raconte l’ébéniste. Dans cette institution prestigieuse, il peut multiplier les expériences, s’intéressant à tous les aspects de l’ébénisterie, depuis l’histoire de l’art jusqu’aux serrures en passant par les colles, la marqueterie ou la dorure. Il peut aussi saisir l’opportunité d’un concours de technicien d’art qui l’amène tout droit à Versailles : une sacrée revanche pour lui qui a longtemps souffert de ne pas avoir pu poursuivre des études supérieures.

Commode d'André-Charles Boulle, 1708, destinée au grand Trianon et exposée aujourd'hui au château, dans le salon de l'Abondance. © Thomas Garnier / EPV

L’importance historique du mobilier de Versailles

Vue générale du salon de l'Abondance. © EPV / Didier Saulnier

« Reçu premier, j’ai préféré le château au musée du Louvre pour la diversité et le raffinement des objets que j’allais croiser ». Éric ne cesse, en effet, de le souligner, ces meubles que nous voyons dans le château peuvent nous paraître familiers, mais sont tout, sauf banals : « Imaginez les commodes Boulle telles qu’elles sont apparues aux contemporains de Louis XIV, avec leurs formes féminines, leurs pieds fins comme des escarpins, leurs placages d’écailles de tortue et chargées de bronzes. Après l’austérité des meubles Louis XIII, quelle déflagration, peut-être aussi puissante que celle provoquée par un Philippe Stark dans les années 1980 ! ».
L’ébéniste fait bien de nous rappeler la singularité de ce mobilier, souvent noyé dans la richesse des décors. « Il est important de se rappeler qu’à l’époque de leur fabrication, ces meubles étaient les premiers dans leur genre. Versailles a été un véritable laboratoire d’où rayonnait la création. Les techniques et les styles s’élaboraient depuis le château pour ensuite être diffusés dans les autres demeures prestigieuses, puis dans les maisons plus communes. »
Tables, bureaux, commodes, fauteuils et canapés du domaine se refont, à l’atelier, une beauté auprès de mains expertes dont Éric ne cesse de contribuer au perfectionnement à travers la formation et la collaboration, désormais, avec l’école Boulle, mais aussi avec d’autres institutions. Des apprentis viennent régulièrement s’exercer auprès des quatre personnes de son équipe qui accueillent, de temps en temps, des spécialistes pour continuer de découvrir de nouvelles techniques.

Opérations cruciales de démontage
Cette soif d’apprendre a amené Éric à participer à des opérations spectaculaires, notamment lorsqu’il a fallu déplacer certains objets. Ses yeux d’un bleu intense se mettent à briller lorsqu’il évoque la restauration de la table en acajou qui occupe la grande bibliothèque de Louis XVI.  Cédée en 2008 par l’Institut de France, celle-ci, qui fait plus de quatre mètres de long pour étaler les cartes de géographie dont le roi était passionné, devait rejoindre son lieu d’origine, sous les combles. Éric a dû entièrement la démonter pour pouvoir l’acheminer et la remonter ensuite sur place.

Le serre-bijou de la Reine. © Château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin

L’ébéniste se souvient aussi du premier démontage du fameux serre-bijou de la Reine en vue de le présenter au Grand Palais lors de l’exposition sur Marie-Antoinette. Plus d’une journée fut nécessaire aux experts pour parvenir à désosser le meuble insigne, sous l’œil attentif d’Éric qui consigna chaque étape. L’ébéniste en fit un véritable guide méthodologique : « Je ne voulais surtout pas que l’on ne sache plus remonter ensuite le serre-bijou et, depuis, c’est toujours à moi que l’on s’adresse pour le faire ! ». Une attention qui se perçoit dans la façon dont il effleure des mains la surface d’un placage d’amarante destiné à une encoignure. Le bois va grincer quand Éric fermera pour la dernière fois la porte de l’atelier et quittera les murs de la Petite Écurie où il s’est tant passionné.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles


« Voir des planches dans les arbres,
Des chemins dans les montagnes,
Au bel âge, à l’âge de force,
Tisser du fer et pétrir de la pierre,
Embellir la nature,
La nature sans sa parure,
Travailler. »

Paul Éluard, « Ouvrier », dans Exemples (1921), éd. Gallimard, p. 81


À SUIVRE

Une conférence d’Éric de Meyer : « Ébéniste-restaurateur au château de Versailles, comment ça marche ? » ainsi qu'une conférence de Frédéric Leblanc (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France) sur la restauration du bureau de Louis XIV, lors des IIIèmes Rencontres des acteurs de la préservation du patrimoine culturel : « Regards sur la restauration des œuvres d’art », les 3 et 4 juillet, au château Les Merles, à Mouleydier (24520), près de Bergerac.

Colloque et formation organisés par l’ILSTEP.

À CONNAÎTRE

Le Campus Versailles pour en savoir plus sur les métiers d'art.

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