Malbrough s'en revient au château

Le duc de Marlborough est étonnamment présent à Versailles : une tour miniature, au hameau de la Reine, porte son nom. Il est mis à l’honneur, cette année, par la 6ème édition du prix du livre d’histoire décerné à Clément Oury pour l’ouvrage qui lui est consacré (éd. Perrin). Spécialiste de la guerre sous l’Ancien régime, l’historien retrace le parcours de cette personnalité hors du commun qui échappe à toutes les caricatures.

Vue de la tour de Marlborough dans le hameau de la Reine. © Thomas Garnier / EPV

Comment peut-on résumer le rôle du premier duc de Marlborough (1650 – 1722) en faveur de l’Angleterre ?

John Churchill, duc de Marlborough (1650-1722), par Louis Coblitz, 1845, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / © Christophe Fouin

Le duc de Marlborough joue un rôle historique majeur à deux occasions. Tout d’abord lors de la Glorieuse Révolution (1688) où il fomente un complot au sein de l’armée pour favoriser le débarquement de Guillaume d’Orange, qui renverse le roi et s’empare du pouvoir. Marlborough, qui devait beaucoup à Jacques II, a été très critiqué : pour sa défense, il a assuré qu’il voulait sauver les libertés religieuses et éviter que son pays ne devienne une monarchie absolutiste, inféodée à la France.

Mais c’est surtout lors de la guerre de Succession d’Espagne qu’il se distingue en remportant, en tant que commandant en chef des armées alliés, la plupart des batailles menées contre les troupes de Louis XIV. Il joue aussi un rôle décisif comme diplomate : il est « le grand ciment » qui permet à la Coalition (qui réunit notamment l’Angleterre, la Hollande et l’Empire) de tenir malgré des intérêts divergents. Enfin, en tant qu’homme politique, il soutient activement le parti de la guerre. Le conflit se conclut par un succès total de l’Angleterre qui y gagne le statut de grande puissance européenne.

Allégorie de la reconnaissance du duc d'Anjou comme roi d'Espagne, novembre 1700, par Henri de Favanne, 1704. © RMN-GP (Château de Versailles) / DR.

Comment expliquez-vous que Marlborough se soit si bien illustré dans les conflits alors qu’il avait peu d’expérience militaire et a manifesté parfois trop d’empressement ?

Lorsqu’il devient commandant en chef des armées, en 1702, il a peu d’expérience, en effet, mais cela joue plutôt en sa faveur. Il fait quelques erreurs, certes, mais son tempérament audacieux et agressif prend vite le dessus en matière tactique et stratégique. Il est courageux, et il a le sens de la manœuvre pour tromper ses adversaires sur le terrain. Il est aussi très attentif aux questions logistiques, veillant au bon approvisionnement de ses soldats, ce qui le rend très populaire et lui vaut le surnom de « vieux caporal ». C’est d’autant plus important que les armées de l’époque, lourdes à manier, doivent mener de nombreux sièges. Enfin, il est l’un de rares généraux à démontrer une vision stratégique globale, à l’échelle de l’Europe.

Gravure allégorique sur la Réclamation du duc d'Anjou et de la guerre de Succession d'Espagne, par Carel Allard, 1706, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV

Votre livre a, entre autres, le mérite de décrire très précisément les batailles de cette époque. Qu’est-ce qui les caractérise ?

On a coutume de les qualifier de « guerres en dentelle ». Rien n’est plus faux ! Les combats sont alors féroces. Ainsi, un quart des soldats alliés sont tués lors de la bataille de Malplaquet, en 1709 : c’est d’autant plus impressionnant que les effectifs étaient considérables, avec près de 100 000 soldats de part et d’autre. Il faut attendre la fin de l’époque napoléonienne pour dépasser ce chiffre ! Les opérations sur le champ de bataille étaient très statiques, avec des lignes successives de troupes qui s’avançaient les unes contre les autres, en « ordre linéaire ». Marlborough n’a pas révolutionné l’art de la guerre, comme un Napoléon, mais il a œuvré à son accélération par son génie stratégique et tactique.

Winston Churchill en est un descendant et en fera le panégyrique dans son livre en quatre tomes : Marlborough, His Life and Times. En quoi êtes-vous plus circonspect ?

Marlborough a d’abord été l’objet d’une légende noire qui en fait un aventurier sans scrupules, prêt à tout pour atteindre ses propres ambitions. Il a toujours prétendu défendre la succession protestante, mais, après avoir trahi son protecteur, Jacques II, il a renoué avec lui et échangé des informations. Était-il agent double, ou triple ?
Son image s’améliore quand l’Angleterre doit envoyer ses troupes sur le Continent, lors de la Première Guerre mondiale. L’hagiographie de Churchill, publiée dans les années 1930, en fait enfin le héros anglais par excellence. Ses succès, ses louvoiements et ses intrigues ont suscité à la fois l’admiration et la détestation. Mais comment y discerner ses véritables convictions ? C’est pour cela que je me suis plongé dans les archives, notamment dans sa propre correspondance : il s’agissait de comprendre les aspects brillants du personnage, mais aussi ses failles, et en donner une vision plus nuancée.

Le sous-titre de votre ouvrage désigne le duc comme « le plus redoutable ennemi de Louis XIV ». Or, il est dit que la chanson « Malbrough s’en va-t-en guerre » a été rendu célèbre par la reine Marie-Antoinette, plus d’un demi-siècle après ses exploits. Pourriez-vous expliquer ce retournement ?

Après la bataille de Malplaquet, s’est répandue la rumeur que Marlborough était mort. C’est ainsi que la chanson est née, puis est tombée dans l’oubli. Elle a été remise au goût du jour, en effet, par Marie-Antoinette entendant une nourrice de ses enfants la fredonner. Elle a circulé à la cour, mais elle a ensuite servi aux révolutionnaires pour se moquer de la noblesse ! Elle ressurgit en Angleterre sous la forme « For He’s A Jolly Good Fellow » (« Car c’est un bon camarade ») qui est devenue un hymne populaire dans le monde entier. Quelle ironie du sort !

Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles,
auprès de Clément Oury,
directeur adjoint des bibliothèques du Muséum national d’histoire naturelle


« Mironton, mironton, mirontaine ! »

C’est Marie-Antoinette, entendant la chanson « Malbrough s’en va-t-en guerre », qui souhaita la jouer sur son clavecin et la sortit de l’oubli. L’histoire contée fit fureur sur les éventails et les chapeaux et donna son nom à l’une des fabriques du célèbre Hameau de la Reine. Les paroles, en effet, évoquent Marlborough partant en guerre et ne revenant pas. Son épouse « à sa tour monte, si haut qu’elle peut monter » et « aperçoit son page tout de noir habillé ». Celui-ci l’invite à quitter ses « habits roses » et ses « satins brochés », car « Monsieur Malbrough est mort ».


Remise du sixième Prix château de Versailles du livre d'Histoire par Catherine Pégard, Présidente de l'Établissement public du château de Versailles, à Clément Oury. © Didier Saulnier / EPV.

Le prix Château de Versailles du livre d’Histoire

Il a pour objectif de soutenir et de mettre en lumière le dynamisme de la production éditoriale en matière de recherche historique. Pour cette sixième édition, parmi les nombreux ouvrages envoyés par les maisons d’édition – essais, documents, biographies, mémoires ou journaux –, le comité de lecture avait sélectionné cinq titres finalistes :

  • Cul-de-Sac. Une plantation à Saint-Domingue au XVIIIe siècle, Paul Cheney, Éditions Fayard
  • La Main cachée. Une autre histoire de la Révolution française, Edmond Dziembowski, Éditions Perrin
  • Vivre pauvre. Quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières, Laurence Fontaine, Éditions Gallimard
  • L’Abbé Grégoire. Une « tête de fer » en Révolution, Françoise Hildesheimer, Éditions Nouveau Monde
  • Le duc de Marlborough. John Churchill, le plus redoutable ennemi de Louis XIV, Clément Oury, Éditions Perrin

À LIRE

Clément Oury, Le duc de Marlborough : John Churchill, le plus redoutable ennemi de Louis XIV, Paris, éd. Perrin, 2022.


À SUIVRE

La visite « Le Hameau, de Marie-Antoinette à Marie-Louise »

Au fond du domaine, le long des rives du lac, campent les chaumières du Hameau construites par Richard Mique pour Marie-Antoinette. Survivantes d’une époque brillante et mouvementée, celles-ci illustrent le goût de la reine pour le charme de la vie champêtre. Leur intérieur révèle un décor raffiné qui contraste avec leur aspect rustique.

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