Vies intérieures

Après avoir été présentés à Amiens, les tableaux qui ornent les murs
de la chambre du Roi, actuellement en travaux, sont exposés dans l’appartement de Madame de Maintenon. L’observation de près
des quatre évangélistes, pour la première fois rassemblés à hauteur d’homme, donne plus qu’une leçon de peinture.

Saint Matthieu [détail], par Valentin de Boulogne (1591-1632), vers 1624-1626, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin

Les quatre évangélistes, peints par Valentin de Boulogne (1591-1632), ornent de nos jours le niveau supérieur de la chambre du Roi. Accrochés habituellement à plus de 10 mètres du sol, ils sont exceptionnellement présentés à portée du regard. Qui aurait pu penser que le plaisir nous serait donné de pouvoir contempler de près ces chefs-d’œuvre ? L’inoubliable exposition consacrée à Valentin, pour laquelle deux d’entre eux, Saint Marc et Saint Matthieu, avaient été déposés, en avait déjà donné l’occasion1; celle aujourd’hui organisée au château de Versailles favorise le rapprochement des six peintures des attiques de la chambre en place en 1701 : Le Mariage mystique de sainte Catherine du peintre véronais Alessandro Turchi, un autre tableau de Valentin, Le Denier de César, et les quatre évangélistes. L’accrochage de ces derniers permet tout à la fois d’apprécier l’harmonie de l’ensemble et de savourer les qualités picturales de chacune des toiles.

Saint Matthieu [détail], par Valentin de Boulogne (1591-1632), vers 1624-1626, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin

L’inspiration divine

Lorsque l’on balaie, d’un premier regard fasciné, les quatre peintures, on ne peut qu’être saisi par l’unité qui s’en dégage : le choix du format horizontal, le fond uni, plutôt sombre, le traitement des figures à mi-corps et la construction de la composition autour de chaque protagoniste et de son symbole rendent évidente leur appartenance à un même ensemble. Valentin traduit sublimement la quête de l’inspiration divine qui anime chaque évangéliste. Saint Matthieu est plongé dans sa réflexion intérieure au point d’en laisser glisser son livre sur ses genoux. Saint Marc, empreint d’une grande gravité interrogatrice, scrute l’invisible.

Saint Marc [détail], par Valentin de Boulogne, vers 1624-1626, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin

Saint Jean recueille le message divin tandis que saint Luc, concentré sur sa tâche, noircit son papier. Les quatre saints et le gamin aux cheveux ébouriffés qui prête son visage à l’ange offrent une déclinaison des âges de la vie. Saint Jean et Saint Luc, à la gamme monochrome, se répondent l’un l’autre, tandis que le drapé rouge du Saint Matthieu contraste avec le vêtement ocre jaune et bleu du Saint Marc.

Des détails à contempler

À scruter la matière, en laissant glisser notre regard des figures aux natures mortes, des détails surgissent dont la perfection d’exécution est admirable. En témoignent les cornes du taureau, magnifiées par le coup de lumière précisant leurs contours, les auréoles à peine perceptibles, la cordelette légèrement désaxée autour du cou de saint Marc, le traitement différencié des boucles épaisses et folles qui laissent entrevoir son front à peine dégarni, la finesse des poils de sa barbe aux multiples nuances, passant du gris au roux et au blanc.

Saint Marc [détail], par Valentin de Boulogne, vers 1624-1626, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin

Dans le rassemblement des livres, des encriers et des plumes, diversement ordonnancés sur les tables, des détails merveilleux apparaissent : les bandelettes des couvertures rouges des livres, la pliure des manuscrits couverts d’une fine écriture illisible ou en hébreu, la variété des plumes. Et, dans cet univers neutre, sans espace défini, où la nature est absente, court une plante au pied du bloc de pierre sur lequel s’appuie saint Jean.

Saint Luc [détail], par Valentin de Boulogne, vers 1624-1626, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin

Le plus grand caravagesque français, sous le signe de la mélancolie

Très apprécié en son temps et tout le long du XVIIe siècle, Valentin est un des représentants les plus brillants du courant caravagesque qui s’éteint au moment où lui-même disparaît. Le plus italien des Français, il a passé la majeure partie de sa courte carrière en Italie, de 1614 jusqu’à sa mort tragique, en 1632. Considéré par le grand historien de l’art Roberto Longhi comme « le plus énergique et le plus passionné des suiveurs naturalistes de Caravage », Valentin se détache du maître par son style empreint de gravité et de mélancolie. Si le peintre adhère à la « pittura dal naturale », il en donne sa version propre, toujours mesurée, où le temps semble suspendu ; ses modèles, tirés des rues de Rome, deviennent des archétypes universels chargés d’humanité.

Béatrice Sarrazin,
conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

1 À l’occasion de la première exposition organisée à New York, au Metropolitan Museum, puis à Paris au musée du Louvre, Valentin de Boulogne. Réinventer Caravage en 2017, ces deux toiles ont été restaurées, entraînant naturellement la restauration des deux autres.

Les six tableaux accrochés dans la chambre du Roi ont été exposés, à l’automne, au musée de Picardie à Amiens, en échange des Chasses exotiques, présentées à l’exposition Louis XV, passions d’un roi.

 


Des chefs-d’œuvre de l’intimité du roi à nouveau réunis pour la première fois

L’exposition peut avoir lieu à la faveur des travaux menés dans le corps central du château en vue d’améliorer sa protection, la conservation de ses collections et l’accueil du public. La fermeture de la chambre du Roi a permis de déposer les tableaux qui occupent aujourd’hui la partie haute de ses murs, mais également de faire venir ceux qui furent retirés des boiseries, lors de l’aménagement de la chambre ou ultérieurement : La Diseuse de bonne aventure par Valentin de Boulogne et Le Mariage mystique de sainte Catherine par Alessandro Turchi, empruntés au musée du Louvre, ainsi que La Réunion de buveurs attribué à Nicolas Tournier, emprunté au musée de Tessé du Mans. Sont ainsi rassemblés pour la première fois l’intégralité des neuf toiles et les quatre médaillons qui ornaient l’ancien salon avant sa transformation en chambre. À travers ces véritables chefs-d’œuvre, se manifeste, de manière très concrète, le goût de Louis XIV pour la peinture caravagesque dont les clairs-obscurs furent exaltés par le somptueux décor saturé d’or de la nouvelle chambre.


À VOIR

Exposition
Chefs-d’œuvre de la chambre du Roi, l’écho du Caravage à Versailles

Jusqu’au 16 juillet 2023
Appartements de Madame de Maintenon

Horaires : Tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 18 h 30 (dernière admission à 17 h 45).

Billets : Accessible avec un billet Passeport ou un billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles »

Commissariat : 
Béatrice Sarrazin, conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

À LIRE

Le catalogue de l’exposition, Coédition château de Versailles / In Fine, 96 p., 19,5 × 25 cm, Prix : 19 €, disponible sur boutique-chateauversailles.fr

AUTOUR DE L’EXPOSITION

Un parcours audio, disponible dans l’audioguide du Château et sur l’application mobile onelink.to/chateau

 

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