Vent Sculpté

C'était il y a trente ans...La réalisation d’un nouvel orgue pour la chapelle du Château ne marqua pas seulement la renaissance d’un instrument ancien fabriqué dans les règles de l’art. Il redonna toute son importance à un métier aussi singulier que passionnant : celui de facteur d’orgue.

L'orgue de la Chapelle royale vu du dessus, avec ses nombreux tuyaux. © EPV / Jean-Marc Manaï.

L’aventure contemporaine de l’orgue de la chapelle de Versailles débute en 1993, lorsque Jean-Loup Boisseau et Bertrand Cattiaux se voient confier sa reconstruction. Abrité dans un meuble datant de 1710, le vénérable instrument avait été modifié au fil des époques, notamment au XIXe siècle, afin de satisfaire à la mode musicale du moment. […]

Une reconstruction inspirée de la dynastie des Cliquot

Chaque pièce est unique et fabriquée dans les règles de l’art. Elle n’est pas inventée, mais créée grâce à une documentation riche et précise. On dispose, par exemple, d’un relevé de la tribune des musiciens, attribué à Jean-Baptiste Métoyen, musicien à la Chapelle royale de 1760 à 1792 et compositeur, représentant une vue zénithale de la tribune de l’orgue. […]

Détail des boutons de registre de l'orgue de la Chapelle. © EPV / Thomas Garnier.

Connaissant dans toutes ses finesses la facture des Clicquot, la célèbre dynastie de facteurs d’orgue, [Jean-Loup Boisseau et Bertrand Cattiaux] proposent une reconstruction fidèle et soignée de l’orgue d’origine : le travail, bien compris, de Robert (1645-1719) et de ses deux fils, Jean-Baptiste (1678-1746) et Louis-Alexandre (1684-1760), et de François-Henri Clicquot (1732-1790), fils de ce dernier, est une base aussi utile que précieuse pour l’atelier.

Chaque lieu, portant la marque des Clicquot, est exploré pour comprendre les méthodes employées : ils ont exercé leurs talents à Souvigny dans l’Allier, dans les églises de Saint-Nicolas-des-Champs et Saint-Leu-Saint-Gilles à Paris, ainsi qu’au château de Fontainebleau. L’église de Houdan, dans les Yvelines, fournit aux facteurs d’orgue de notre temps l’exemple le plus fidèle de ce qu’était l’orgue de Versailles. Il fut d’ailleurs construit en 1710-1711 par Robert Clicquot, après une commande passée en 1689 par Louis XIV à son prédécesseur Étienne Enocq. Dans les deux lieux, il n’existe qu’un seul buffet. Versailles a d’ailleurs servi de modèle à Houdan, puisque son orgue a été réalisé en 1734 par Louis-Alexandre Clicquot.

L'orgue au sein de la Chapelle royale. © EPV / Didier Saulnier.

La vie d’orgue à Versailles

[…] Les grandes verrières de la Chapelle modifient la température des espaces intérieurs selon les heures de la journée. Il est aisé de comprendre l’importance du climat pour la stabilité de la mécanique et de l’accordage. L’orgue doit être raccordé au diapason. Le diapason « bouge » en fonction de la température extérieure. Aujourd’hui, la hauteur sonore est fixée à 442 Hz pour un orchestre contemporain. En 1710, le diapason était fixé à 415 Hz, adapté à une température donnée de 15 ºC. En été, à une température moyenne estimée à 20 ºC, on accordait – et on accorde toujours – l’orgue de Versailles à 420 Hz, soit un demi-ton plus bas que le diapason moderne.

Pour révéler ses belles propriétés et remplir sa mission, l’orgue de la Chapelle royale a donc besoin d’attentions régulières, adaptées à son environnement. Depuis 1995, année de son inauguration, il bénéficie d’un contrat d’entretien annuel avec visite mensuelle comprenant la vérification des tuyaux et de la mécanique. À Versailles, deux spécialistes coordonnent leurs gestes : l’un s’occupe de l’orgue, l’autre du clavier. Une demi-journée de travail est nécessaire au réglage de la mécanique des claviers et à l’accord des jeux d’anches, soit 10 jeux d’anches qui représentent 600 tuyaux. L’harmoniste indique à l’assistant les gestes à suivre pour modifier la sonorité de chaque tuyau.

En harmonie

D’une façon plus générale, le facteur d’orgue a pour rôle de mettre l’instrument en son : c’est là qu’intervient la signature de l’harmoniste, joliment qualifié dans le métier de « sculpteur sur vent ». L’harmonie se définit en effet comme l’art de « mettre en son » un orgue afin de lui donner sa personnalité. Deux harmonistes créeront une touche finale différente à travers le timbre, la couleur sonore de l’instrument. Mais à Versailles, explique Bertrand Cattiaux, « son nom s’efface devant l’orgue Clicquot ». […]

Si on dépoussière régulièrement l’instrument, l’entretien permet d’en conserver l’harmonie pendant plusieurs siècles. Depuis 1995, quatre à cinq dépoussiérages ont été effectués, ce qui représente à chaque fois un mois de travail pour trois personnes : on dépose la tuyauterie, on nettoie, on passe un compresseur sur les parties qui reçoivent la poussière, on repose la tuyauterie, on reprend l’égalisation de l’harmonie et on accorde l’orgue.

Bruno Calvès,
journaliste et historien.

Cet article, extrait de la revue Château de Versailles, est tiré des Carnets de Versailles n°18 (mai - septembre 2021)


À l’écoute de la Chapelle royale

La restauration de l’orgue de la Chapelle royale n’aurait pas pris cette ampleur sans l’opiniâtreté de Jean-Paul Gousset. C’est contre vents et marées que l’ancien directeur technique de l’Opéra royal parvint à convaincre les institutions – mais aussi beaucoup d’organistes connus à l’époque – de procéder à une reconstitution à la manière des Clicquot, avec les méthodes et la sensibilité du XVIIIe siècle. Il fut l’interlocuteur privilégié, et un merveilleux complice, de Bertrand Cattiaux et Jean-Loup Boisseau. Pour fixer le nombre de tierces, et déterminer ainsi le « tempérament » de l’orgue, il ne cessa de leur rappeler l’essentiel : se mettre à l’écoute du lieu où allait prendre place l’instrument. Enfin, c’est lui qui partit à la rencontre du grand organiste Michel Chapuis (1930-2017), un soir de neige en Haute-Saône, pour l’amener à en devenir le titulaire durant cinq ans…


La revue Château de Versailles

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 40 de la revue Château de Versailles (janvier-février-mars 2021). La revue est disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du Château : boutique-chateauversailles.fr

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