Un château
au féminin

Découvrir Versailles à l’aune des femmes, c’est ce que propose un nouveau guide du château. Parmi les lieux les plus emblématiques, la somptueuse chambre de la Reine où s’accomplissait le devoir suprême
de la souveraine, l’enfantement.

La tête du lit de la chambre de la Reine et ses somptueuse soieries. © EPV / Thomas Garnier.

Entre 1683 et 1786, deux reines et quatre dauphines accouchent à Versailles, faisant de la chambre qu’elles occupent successivement, au cœur du château, le lieu de naissance de dix-neuf enfants. Ces naissances se déroulaient-elles en public, comme on l’entend souvent affirmer ? En dépit de ses occurrences, l’événement fait encore aujourd’hui l’objet d’idées reçues en raison de ce caractère public, assez incongru, qu’on lui prête. L’intimité de la future mère serait sacrifiée à la solennité du moment – la naissance d’un enfant scellant l’union des parents, et celle d’un fils, plus spécifiquement, assurant la perpétuité dynastique. Des recherches récentes dévoilent une réalité plus nuancée et recouvrant des enjeux propres à la monarchie d’Ancien Régime.

Anticiper l’arrivée du nouveau-né 

L’une des deux bergères du mobilier dit « des couches » (menuisier : Jean-Baptiste Boulard), livré à Versailles pour Marie-Antoinette le 11 février 1785 en prévision de la naissance du duc de Normandie (futur Louis XVII). © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin

Deux mois avant la naissance présumée, les préparatifs commencent. Ils concernent aussi bien l’enfant que la mère. Pour le premier, un appartement est aménagé au sein du château et une « layette » est commandée, comprenant du mobilier adapté, de l’argenterie, du linge de corps et de service, fournis le plus souvent par la Maison du roi. Est également nommé un personnel destiné à en prendre soin, au premier chef une gouvernante et une ou plusieurs nourrices, assistées d’une remueuse, chargée d’emmailloter le nouveau-né.
Un mobilier spécifique, dit « de couches », est également livré pour la princesse en vue de faciliter l’accouchement et d’améliorer son confort. Au lit de parade est adjoint un lit de travail qui, à compter des années 1680, remplace la chaise, encore utilisée par l’épouse de Louis XIV. Des bergères et des fauteuils sont également mis à disposition pour favoriser le repos de la mère.

Un travail en présence du roi
La chambre est, elle aussi, aménagée pour l’occasion. Une « tente » ou « pavillon » – remplacée au temps de Marie-Antoinette par des paravents – est installée pour la parturiente et son personnel, chirurgien-accoucheur et sage-femme essentiellement. Le roi les rejoint lorsque le travail commence, et se tient à la tête du lit.
Le futur père peut, quant à lui, se tenir à l’écart. C’est par exemple le cas du duc de Bourgogne qui, en juin 1704, patiente dans un cabinet « où on lui venait rendre compte à tout moment de tout ce qui se passait et d’où il ne pouvait entendre les cris, qui lui auraient trop fait de peine », précise Dangeau1. L’épouse, qui « souffrit cruellement durant trois heures », était alors accompagnée de son grand-père par alliance, Louis XIV, et de Madame de Maintenon. Le public assistant au travail lui-même est donc relativement limité.
Les autres membres de la famille royale, ainsi que les grands officiers de la Couronne, attendent dans le salon de la Paix. Ils ne sont autorisés à pénétrer dans la chambre qu’au moment de la délivrance. Ils s’arrêtent alors de l’autre côté de la tente ou du paravent, où se tiennent des officiers ecclésiastiques en prière autour d’un autel provisoire.

L’auguste naissance de monseigneur le Dauphin de France, le 4 septembre 1729 [détail], estampe anonyme, après 1729. © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin

Présentation de l’enfant
C’est le roi qui est le premier informé du sexe de l’enfant. Après l’avoir fait constater à son chancelier, il l’annonce lui-même à la mère comme au public. Alors seulement, les portes de la chambre sont ouvertes aux courtisans, officiers et ambassadeurs qui ont pu accéder aux pièces attenantes, contrôlées par des gardes du corps et huissiers. Après la bénédiction royale vient celle de l’Église : dans l’attente du baptême et pour prévenir un décès précoce sans sacrement, le nouveau-né est ondoyé au-dessus d’un plat d’argent surmontant l’autel provisoire, de façon à intégrer la communauté chrétienne. Il est également « présenté », c’est-à-dire désigné par le roi avec les titres et qualités qui lui sont attribués. Enfin remis à sa gouvernante, il est séparé de sa mère qui, de son côté, doit le lendemain recevoir les compliments de la Cour depuis son lit de parade, avant que ne s’engage le temps dit des « relevailles ».

Flavie Leroux,
chargée de recherche au Centre de recherche du château de Versailles

1 Journal du marquis de Dangeau, Paris, Firmin Didot frères, 1854-1860, t. X, p. 51.


À LIRE

Flavie Leroux et Élodie Vaysse (dir.), Versailles, un château au féminin, Château de Versailles / éd. RMNGP, nov. 2022, 15,5 x 23 cm, 176 p., 20 €.

et aussi :

Fanny Cosandey, Reines et mères. Famille et politique dans la France d’Ancien Régime, éd. Fayard, 2022.

Pascale Mormiche, Donner vie au royaume. Grossesses et maternités à la cour, xviie-xviiie siècle, CNRS Éditions, 2022.

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