Émois électriques

Une petite décharge pour le plaisir ? L’intérêt pour les sciences de Louis XV fit faire de grands pas à la découverte de l’électricité qui se présenta d’abord comme un objet de divertissement et de spectacle. À découvrir dans l'exposition Louis XV, passions d'un roi, actuellement au château de Versailles.

Bouteilles de Leyde, par Pieter Van Musschenbroek, seconde moitié du XVIIIe siècle. Paris, musée des Arts et
Métiers – Conservatoire national des arts et métiers. © Paris, musée des Arts et Métiers-Cnam / © Photo M. Favareille

« Il y a longtemps que [l’abbé Nollet] a fait l’expérience de l’électricité, qui n’est connue que depuis quelque temps, et sur laquelle on fait tous les jours des découvertes nouvelles. […] il en fit une hier dans la grande galerie ici, d’abord sur soixante-quatre personnes, ensuite sur cent quarante ; elle réussit très bien et d’une manière extrêmement sensible. […] On est sur le parquet ; on se tient par la main ; il faut seulement que les habits ne se touchent point. Il y en eut hier deux ou trois seulement dans le grand nombre qui ne furent pas frappées : apparemment parce que leurs habits se touchaient1. »

Ainsi le duc de Luynes relate-t-il la démonstration du « nouveau phénomène électrique » que l’abbé Nollet, avec un art consommé de la mise en scène, présenta devant le roi le 14 mars 1746, dans la galerie des Glaces. La décharge provoqua une étincelle et une forte explosion : au même instant, tous les participants sursautèrent en s’exclamant de surprise, ce qui amusa beaucoup le souverain. Passionné de sciences et inlassablement curieux de nouvelles découvertes, Louis XV soutenait les avancées de la physique. Dans sa jeunesse, il avait assisté avec fascination, au collège d’Harcourt, aux leçons de Pierre Polinière, fondateur de la science expérimentale en France et pionnier des recherches sur la lumière électrique. La « bouteille de Leyde », ancêtre du condensateur, venait tout juste d’être découverte par Pieter van Musschenbroek (1692-1761), l’illustre professeur de physique de l’université de Leyde.

Moines, soldats, chèvres et moutons : des expériences à grande échelle
Fort de ce succès auquel la présence du roi apportait une caution définitive, l’abbé Nollet électrisa à la chaîne des personnes de tout rang en augmentant le nombre des participants : deux cent quarante soldats, puis six cents Chartreux, disposés en cercle dans leur couvent, acceptèrent de se faire foudroyer joyeusement en tenant dans leurs deux mains un même fil de fer. L’abbé voulut ensuite constater l’effet de la décharge d’une batterie électrique sur des animaux d’assez grande taille : chiens, chèvres et moutons furent ainsi sacrifiés sur l’autel de l’électrologie. À Paris, l’expérience de la commotion électrique engendra un enthousiasme inouï, poussé parfois jusqu’à l’exaltation : les Parisiens assiégèrent son cabinet, sollicitant la faveur de recevoir la fameuse décharge. La capitale était possédée par une « électromanie » générale.

« Fort de ce succès auquel la présence du roi apportait une caution définitive, l’abbé Nollet électrisa à la chaîne des personnes de tout rang en augmentant le nombre des participants. »

L’électricité devint alors un délassement royal. En plus des nombreux dispositifs et de leurs accessoires conservés au cabinet de physique de l’hôtel des Menus-Plaisirs, détaillés dans les inventaires de 1762, 1765 et 1770, Louis XV possédait plusieurs machines électriques au cabinet de La Muette, ainsi que des « bouteilles de Leyde », « soleils électriques », « plateau à électriser », « globe et plateau pour l’électricité » et « différentes bagatelles pour les expériences d’électricité »2.

La machine électrostatique d’Edward Nairne, 1774. Paris, musée des Arts et Métiers – Conservatoire national des arts et métiers. © Paris, musée des Arts et Métiers-Cnam / © Photo M. Favareille

Premières théories sur l’électricité
Au-delà du divertissement, ces recherches pionnières permirent d’élaborer les premières théories sur la nature et les propriétés fondamentales de l’électricité. Louis-Guillaume Le Monnier, premier médecin du roi, conclut que la vitesse de propagation du fluide électrique était quasi instantanée, comme celle de la lumière. Quelques années plus tard, en 1752, Benjamin Franklin démontra la similitude entre l’éclair de foudre et l’étincelle électrique observée dans ces machines ; ses découvertes sur le paratonnerre connurent un succès universel.

Dans l'exposition Louis XV, passions d'un roi, détail de la machine électrostatique. © EPV / Thomas Garnier

La magie d’un fluide « puissant, invisible et mystérieux »
La vogue de l’électricité passa ensuite des élites au spectacle populaire : des physiciens devenus magiciens exploitèrent les effets merveilleux du fluide électrique, puissant, invisible et mystérieux dans des tours de magie qui représentaient pour le public autant de défis à l’entendement. Ainsi en est-il, par exemple, de l’« Araignée artificielle, que l’on fait mouvoir par le moyen de l’électricité3 » de Giuseppe Pinetti (1750-1800), professeur et démonstrateur de physique qui se produisit dans le théâtre des Menus-Plaisirs du roi : « Vous suspendrez ensuite cette araignée artificielle par un fil de soie grise, bien délié, entre un corps électrifié & un corps qui ne le sera pas […] : elle ira et viendra entre ces deux corps ; on apercevra le mouvement des pattes, comme si c’était une araignée vivante. »

Hélène Delalex,
conservatrice du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

1 Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV (1735-1758), publiés par L. Dussieux et Eud. Soulié, Paris, Firmin Didot, 1860-1865, t. VII, p. 252-253.
2 Avec le même intérêt, Louis XVI installera un grand nombre de ces machines dans ses espaces privés à Versailles, notamment dans son laboratoire situé au deuxième étage de ses cabinets autour de la cour des Cerfs, puis au troisième étage dans son nouveau « cabinet électrique en galerie », édifié sur les terrasses du château.
3 G. Pinetti, Amusemens physiques et différentes expériences divertissantes, Paris, Hardouin, 1784, p. 52.


Bouteilles de Leyde présentées dans l'exposition Louis XV, passions d'un roi. © EPV / Didier Saulnier

La « bouteille de Leyde »

La « bouteille de Leyde », ancêtre du condensateur, était une jarre en verre (isolant) recouverte d’une feuille de métal (conducteur), remplie d’eau ou de copeaux métalliques (conducteurs) et munie à l’intérieur d’une tige en laiton se terminant au-dehors par un arc à l’extrémité duquel figurait une boule (électrode). Lorsque cette dernière était mise au contact de la borne d’une machine électrostatique en activité, la bouteille se chargeait en électricité (positive et négative). Quiconque touchait les deux parties conductrices recevait une violente décharge, bien plus forte que celle que délivrait la machine qui l’avait chargée. Lorsque ces bouteilles étaient groupées dans une caisse, elles constituaient de puissantes batteries : le courant électrique était né.


À VOIR

 Exposition Louis XV, passions d’un roi
jusqu’au 19 février 2023
Château de Versailles, salles d’Afrique et de Crimée

Horaires : Tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 17h30 (dernière admission à 17 h).

Billets : Accessible avec le billet Passeport, le billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».

Commissariat : 
Yves Carlier, conservateur général du patrimoine, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Hélène Delalex, conservatrice du patrimoine, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Scénographie : Martin Michel

© Château de Versailles / Claire Le Meil

Autour de l'exposition

Visites guidées de l’exposition, ainsi que la visite guidée « Chez madame Du Barry, dame de Cour et de cœur » qui mène à son appartement, de nouveau rouvert au public.
Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr

Visites en famille : Plusieurs activités sont proposées

Un livret-jeu gratuit pour les 6-12 ans, disponible à l’entrée de l’exposition ou sur chateauversailles.fr

Un parcours audio, disponible dans l’audioguide du Château et sur l’application mobile onelink.to/chateau

Cycle d’activités proposé aux 18-30 ans et aux détenteurs du Pass Culture.

Programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles » à découvrir sur chateauversailles.fr/abonnes


À LIRE / À ÉCOUTER

Le catalogue de l’exposition, sous la direction d’Hélène Delalex et Yves Carlier. Château de Versailles / éd. In Fine, 2022, 24 × 30 cm, 496 p., 49 €
Disponible sur boutique-chateauversailles.fr

Une playlist « Louis XV » : Parcourez l’exposition en musique, au rythme du XVIIIe siècle, grâce à cette sélection musicale, disponible gratuitement sur la plateforme d’écoute Deezer.

Une série de podcasts sur Louis XV et les sciences, disponible sur chateauversailles.fr et sur la chaîne YouTube du Château.

 

 

 

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