Les exigences
de madame Du Barry

La restauration de l’appartement de madame Du Barry est terminée. Elle redonne tout son lustre à l’une des parties les plus authentiques du château, ayant miraculeusement échappé aux transformations du XIXe siècle. Elle rappelle aussi le raffinement de la maîtresse royale qui, avec une simplicité désarmante, obtenait ce qu’elle voulait du Roi.

Exposé dans son appartement, Jeanne Bécu, comtesse Du Barry (1743-1793), par un mouleur anonyme du XIXe siècle, d’après Augustin Pajou. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles / Didier Saulnier

L’installation de la dernière maîtresse royale au-dessus de l’appartement intérieur de Louis XV avait de quoi mettre en émoi une Cour versaillaise attachée à l’Étiquette, blâmant les moindres entorses à la bienséance. Madame Du Barry n’en avait cure, sa beauté et sa fraîcheur avaient fait tourner la tête du Roi presque sexagénaire qui, pour lui plaire, cédait à tous ses caprices. Parmi ceux-là, elle réussit ce qu’aucun autre courtisan de noble extraction n’aurait osé faire : obtenir un intérieur blanc et or, décor réservé aux puissants, imposant ainsi avec aplomb son goût du luxe, acquis depuis son enfance en côtoyant de près le milieu mondain parisien.

L'appartement de madame Du Barry restauré, avec vue sur la cour de Marbre. © Château de Versailles / Christophe Fouin

Installation au cœur du château

Si dans les premiers temps de sa rencontre avec Louis XV, au printemps 1768 à Versailles, Jeanne Bécu était logée en ville, rapidement le souverain l’installa au rez-de-chaussée de l’aile du Gouvernement, dans l’ancien appartement de son premier valet de chambre qui venait de mourir. Cette installation survint en décembre 1768, alors même que Jeanne, fraîchement dotée du titre respectable de comtesse après son mariage arrangé avec le Gascon Guillaume Du Barry, frère de son entremetteur, Jean-Baptiste Du Barry, n’était pas encore présentée officiellement à la Cour, ce qui se fit, non sans difficulté1, le 22 avril 1769.
L’ancien logement de Lebel ne semblait toutefois pas convenir à la belle qui devait s’y sentir à l’étroit ; le chantier de reconstruction de l’aile du Gouvernement par Ange-Jacques Gabriel l’en aurait de toute façon chassée. Ne pouvant rien lui refuser, sans doute avec désinvolture et surtout par commodité, Louis XV lui attribua alors, dans le courant de l’année 1769, ses cabinets particuliers, au second étage du corps central, avec une vue agréable sur la cour de Marbre, la Cour royale et la cour des Cerfs : un emplacement pour le moins prestigieux qui symbolisait à lui seul l’insolente ascension de la nouvelle maîtresse royale.

Plan des changements à faire à l’appartement de madame Du Barry, par Ange-Jacques Gabriel, 22 juillet 1770. © Paris, Archives nationales, avec le soutien du LabEx Patrima et de la Fondation des sciences du patrimoine.

L’agacement du marquis de Marigny

À peine était-elle installée que la comtesse demandait déjà des changements qui furent cependant ajournés en l’absence des fonds nécessaires. Persévérante, la maîtresse anticipa le voyage d’été de la Cour à Compiègne pour solliciter de nouveau les Bâtiments du roi pour une remise en état générale de son logement. Cette fois-ci, sa requête fut prise en considération. Le 26 juillet 1770, Marigny, surintendant des Bâtiments de Sa Majesté, donnait ses ordres dans une lettre, à la lecture de laquelle on sent un agacement contenu face aux nombreuses demandes de la comtesse :

Enfilade des pièces d'apparat de l'appartement de madame Du Barry. © Château de Versailles / Christophe Fouin

 

« Je vous envoie monsieur [L’Écuyer], le plan de ce qu’il y a à faire à l’appartement de madame la Comtesse du Barry […]. Comme le temps est court pour faire tous ces ouvrages, j’ai demandé au Roy que la partie qui est à faire en exhaussement au-dessus de sa chambre fût différée jusqu’au voyage de Fontainebleau […]. Madame la comtesse souhaite que la pièce marquée A de l’ancien appartement de Madame Adélaïde soit rétablie en bibliothèque comme elle existoit, vous devez en avoir la dépouille dans le magasin. Que tout l’appartement soit blanchi et traité avec toute la propreté possible. Elle m’a aussi parlé de changement de bordure, mais comme elle ne s’est pas encore expliquée clairement, vous en serez prévenu par moi ou Monsieur Gabriel quand je serai mieux instruit. […]2 »

 

La lettre était accompagnée des plans de Gabriel et d’un programme de travaux chiffré. Outre l’aménagement d’une nouvelle entrée, de bains au nord, le boisement de l’alcôve de sa chambre et la création d’une garde-robe et d’une chaise au-dessus de l’alcôve de la chambre du Roi, la remise en état de l’appartement consistait à gratter et lessiver toutes les menuiseries existantes avant de reblanchir l’ensemble et de dorer, comme à l’accoutumée, les bordures des glaces. Dès la fin du mois de juillet 1770, commencèrent les travaux. Madame Du Barry les suivait de près, comme en témoigne la lettre du 3 septembre 1770 de Charles L’Écuyer, contrôleur du Château, informant Marigny qu’elle « est très contente aussi de ce qu’on fait pour elle pendant son absence ; comptant qu’on achèvera le reste qui est à faire pendant Fontainebleau3 ». Contre toute attente, elle obtint également de Louis XV que les pièces de réception et la bibliothèque de son appartement soient blanc et or, un privilège jusque-là réservé aux princes. La comtesse formula d’autres exigences dont la plus extravagante fut celle de dorer son cabinet à chaise percée et de créer une niche dans sa bibliothèque, signe qu’elle souhaitait que cette pièce fasse également office de boudoir.

La bibliothèque de madame Du Barry restaurée. © Château de Versailles / Thomas Garnier

Un acompte conséquent pour avancer les dorures

À la mi-octobre 1770, profitant du voyage de la Cour à Fontainebleau, le doreur Médart Brancourt commença ces travaux. À cette date, pour des questions de temps et d’argent, ne devaient être d’abord dorés que la bibliothèque et le cabinet d’angle. Madame Du Barry dut certainement insister pour qu’il en soit autrement, comme l’indiquent les propos de L’Écuyer après qu’il eut convoqué Brancourt : « […] le sieur Brancourt qui arrive de Paris et que j’ai piqué d’honneur m’assure de dorer la totalité de l’appartement si on lui fait toucher 10 000 livres sous peu de jours pour avoir de l’or et les 7402 livres restant quelques jours avant la fin desdites dorures pour pouvoir payer et renvoyer ses ouvriers. » Nous ignorons si la comtesse avança les fonds mais quoi qu’il en soit, le 28 octobre 1770, la dorure de la galerie était en cours : « […] je prie M. Gabriel, par cet ordinaire, de la prévenir que sa bibliothèque est dorée, ainsi que sa chambre à coucher [il s’agit en réalité du cabinet d’angle qui servait provisoirement de chambre à la comtesse], et que son salon [galerie] est commencé y ayant vingt doreurs qui y travaillent, mais qu’il ne les y remettra pas après les fêtes, si on ne lui donne de l’argent, ne lui étant pas possible, ce qui seroit fort désagréable de voir cette pièce à moitié dorée et les autres petites qui ne le seroient point […]. » Quelques semaines plus tard, le contrôleur informait Marigny que « le Sieur Brancourt […] y travaille de façon à le rendre fait et parfait pour son retour » et le 16 novembre de signaler enfin que « […] l’appartement est doré à très peu de chose près et le sera entièrement pour son retour4 ». Bien que madame Du Barry ait finalement obtenu dans un temps record la dorure des lambris des pièces de réception de son appartement, elle dut toutefois renoncer à la mise au ton blanc et or des boiseries de son cabinet à chaise qui furent finalement peintes en bleu et les fonds rechampis en jaune, à l’instar de la pièce des bains au nord.

Vue du Grand Cabinet de l’appartement de madame Du Barry, avec, au premier plan, un vase de Luigi Valadier exécuté à Rome vers 1770 et livré en 1773 à madame Du Barry pour son appartement de Versailles. © Château de Versailles / Didier Saulnier

Tout le second étage de la partie nord du corps central et une partie du troisième

À la richesse des lambris blanc et or des pièces de réception répondait celle du mobilier en bois sculpté qui fut livré en 1770 et venait compléter un ensemble de meubles précieux, de tableaux, de riches étoffes et d’objets d’art accumulés par la favorite pour garnir les pièces de son appartement versaillais. D’après les mémoires du doreur, l’appartement était densément meublé5. Signe de son goût démesuré pour le luxe, la salle à manger, espace où la simplicité et la mesure étaient conventionnellement de rigueur, reçut pas moins de trente chaises toutes dorées. Même Mirza, sa petite levrette, disposa dans le salon d’angle d’« une niche dorée supportée par quatre pieds en gaine ornés de quatre têtes de chien avec guirlandes et fonds en mosaïque ».

« À la richesse des lambris blanc et or des pièces de réception répondait celle du mobilier en bois sculpté qui fut livré en 1770 et venait compléter un ensemble de meubles précieux, de tableaux, de riches étoffes et d’objets d’art. »

Les lettres de L’Écuyer révèlent encore d’autres aménagements comme le renouvellement, en 1771, de bordures sculptées et dorées pour les glaces ou la création, durant l’été 1772, de nouveaux bains à l’extrémité est de son appartement qui atteignait alors ici sa pleine expansion, à savoir : tout le second étage de la partie nord du corps central et une partie du troisième autour de la cour des Cerfs et de la petite cour du Roi à l’est.
Hélas, la dernière maîtresse royale n’aura goûté que peu de temps aux plaisirs de ce vaste et si agréable appartement qu’elle fut contrainte de quitter sans ménagement six jours avant la mort de Louis XV, survenue le 10 mai 1774, avant qu’il ne soit démeublé, divisé et redistribué aux proches conseillers du nouveau Roi. Bien qu’elle y résida durant cinq années seulement, la comtesse Du Barry y déploya un faste si prodigieux qu’elle y laissera son souvenir et donnera même son nom, dès le début du XIXe siècle, à cette partie du deuxième étage du corps central.

Emmanuel Sarméo,
docteur en histoire de l’art, chargé de recherches chez 2BDM Architectes

1 Jeanine Huas, Madame du Barry, Paris, Tallandier, 2011, p. 82.
2 Arch. nat., O1 1798, pièce nº 520, Lettre du marquis de Marigny à L’Écuyer, 26 juillet 1770.
3 Arch. nat., O1 1798, cité dans Racinais, 1950, p. 119.
4 Arch. nat., O1 1798, pièces nº 580, 568, 583 et 585.
5 BnF, Ms fr 8258, Comptes de Madame Du Barry, « Mémoire de dorure en meuble par Cagny », 1770.

La restauration de l’appartement de madame Du Barry a bénéficié du mécénat du Groupe AXA.

La salle de bains de madame Du Barry restaurée. © Château de Versailles / Didier Saulnier

Article tiré des Carnets de Versailles n°19, p. 54


À SUIVRE

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