Et si l’on rectifiait
la galerie des Glaces ?

C’est en sortant de l’oubli six manuscrits conservés en Allemagne
et en Autriche qu’est née l’idée de la base en ligne « Visiteurs de Versailles ». Un premier projet, binational, s’est penché sur ces jugements portés sur le château par des architectes et des amateurs d’art.

Johann Balthasar Neumann (1687-1753), Briefe der Reise nach Frankreich 1722-1723, Würzburg, Staatsarchiv (manuscrit), fol. 56. © Würzburg, Staatsarchiv

Les six manuscrits, datant de 1685 à 1723, ont été étudiés par une équipe pluridisciplinaire dans le cadre de ce projet intitulé ARCHITRAVE1. Étonnante constatation des chercheurs : les étrangers d’outre-Rhin ne tombent que rarement dans une simple admiration incontestée de l’art français ; ils se mettent plutôt en posture de connaisseurs, comparant la culture d’autrui avec leurs habitudes et traditions vernaculaires, voire statuant sur les points forts et les faiblesses des usages hexagonaux.

Plan du château et d’un jardin de Versailles [détail], par Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck, tiré de Beschreibung einer Reise von Braunschweig durch Holland nach Frankreich, vers 1699, Rostock. Universitätsbibliothek.

Ainsi, Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck (vers 1685-1720) nous a laissé un carnet illustré de son périple effectué vers 1699 jusqu’en France2. L’architecte y propose – avec un dessin dépliable très soigné (folio 81) – une rectification de la galerie des Glaces. Il nous explique qu’en France, il serait « d’usage de placer les galeries dans les ailes des bâtiments, pour qu’elles possèdent des fenêtres des deux côtés. Celle de Versailles est cependant située dans le bâtiment principal, au centre, et elle occupe toute la partie qui fait face au jardin, ce qui ne me paraît pas le meilleur choix ». Et celui-ci de ne pas hésiter à faire une proposition, planifiant deux arrière-cours ! Loin d’être une plaisanterie, on voit à l’œuvre un architecte allemand reprocher à ses homologues de l’autre rive du Rhin de ne pas persévérer dans leurs propres usages.

Entre gravures et réalité
Diplomate de haut rang, Ferdinand Bonaventure comte d’Harrach (1637-1706) fait halte en France à l’automne 1698 avant de regagner Vienne. De son périple, il nous a laissé un journal intime3 long de plus de cinq cents pages, dont une cinquantaine traite de Paris et de ses environs. Féru d’art et d’architecture, il semble s’être imprégné de gravures françaises (notamment de Nicolas Langlois et d’Israël Silvestre) qui circulaient alors en nombre. Ces feuilles, par leur grandiloquence souvent excessive, ne soutenaient pas la comparaison avec l’aspect réel des lieux : « La première vue qu’on en a, arrivant en voiture, est moins belle qu’il y paraît sur les gravures, car la pierre de taille est toute noircie par les intempéries », confie le comte. Déception qui montre les limites d’une production graphique officielle initiée par Colbert, créant plus d’agacement que d’approbation !

Carte interactive montrant les itinéraires de voyage de Pitzler, Harrach, Corfey, Knesebeck et Neumann.

Le projet ARCHITRAVE s’est concrétisé par la mise en ligne de l’édition critique bilingue de ces six sources en langue allemande. Cofinancé par l’Agence nationale de la recherche et son équivalent allemand, la Deutsche Forschungsgemeinschaft, il a été porté principalement en France par le Centre de recherche du château de Versailles dont il complète utilement plusieurs bases de données.

Hendrik Ziegler,
professeur d’histoire de l’art, Philipps-Universität Marburg

1 « Art et architecture à Paris et Versailles dans les récits de voyageurs allemands à l’époque baroque ».
2 Ce manuscrit inédit est conservé à la bibliothèque universitaire de Rostock.
3 Ce manuscrit se trouve au Österreichisches Hauptstaatsarchiv de Vienne.

 


Christoph Pitzler (1657-1707), Reysebeschreibung durch Teutschland, Holland [...] Frankreich [...], 1685-1688, p. 46-217, Potsdam, Stiftung Preußische Schlösser und Gärten, Graphische Sammlung (manuscrit), fol. 137. © SPSG, Graphische Sammlung
"C'est sur ce canal que le roi navigue pour son plaisir, avec une galère, un voilier d'agrément, d'autres petites embarcations et des gondoles, à cela s'ajoutent 85 matelots qu'on entretien à cet effet", raconte Pitzler au-dessus de son croquis.


À LIRE AUSSI : 

Quand les Allemands venaient voir Versailles, par Hendrik Ziegler

MOTS-CLÉS