Tons de prairie
pour la Méridienne

Le cabinet de la Méridienne a connu, à partir de sa création, plusieurs meubles1. La restauration des appartements privés de Marie-Antoinette s’est accompagnée de la restitution du troisième d’entre eux, une soierie brochée et brodée.

Détails de la passementerie accordée au broché choisi pour le meuble du cabinet de la Méridienne. © Tassinari & Chatel / Carole d'Amour

Durant de longues années, le cabinet de la Méridienne a été présenté dans un décor de soierie bleue qui correspondait au premier meuble, mis en place en mai 1781. L’acquisition par le Château en 1980 de deux fauteuils livrés par Georges Jacob vers 1785 a incité à restituer le troisième, un « pékin violet brodé ». Commandé par le garde-meuble privé de la reine et mentionné dans les archives des ventes révolutionnaires, celui-ci couvrait les deux fauteuils de Jacob ainsi qu’un autre, différent, une bergère, une chaise, un tabouret, un écran et une banquette pour l’alcôve, avec ses deux coussins et ses deux rondins.

© Château de Versailles / T. Garnier

Précieuses dépouilles2

Le projet de restitution s’est appuyé sur trois sources matérielles, dont une extraordinaire découverte : la chance a voulu, en effet, que l’on retrouve, sous la couverture moderne des deux fauteuils, les dépouilles de deux dos, de manchettes d’accotoirs et de plusieurs centimètres de bordures de différentes largeurs. Par ailleurs, des photographies sur plaques de verre des sièges, échus au musée des Arts décoratifs de Berlin3 à la fin du XIXe siècle, montraient en situation des vestiges de cette soierie brochée et brodée. L’analyse critique de ces images, au regard notamment de l’art du tapissier et du passementier, a permis de comprendre la façon dont cette soierie insigne avait été réutilisée et disposée au gré de ses usures.

La troisième source – et non des moindres – est la commande passée au soyeux lyonnais Marie-Olivier Desfarges, alors très sollicité par la Cour, d’une étoffe presque identique pour le boudoir de la Reine à Compiègne : cette soierie, elle aussi un pou-de-soie violet, sans doute jamais posée mais mentionnée dans un compte, a été miraculeusement conservée au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg. Elle donne à voir deux couvertures de dossiers de chaises, avec leurs bordures, et celle de la banquette.

© Château de Versailles / T. Garnier

Le broché au motif de semis de fleurs

© Château de Versailles / T. Garnier

Pour les soieries de Versailles comme de Compiègne, la gamme chromatique est un jeu de vert tendre sur un fond parme-lilas. Dans les deux cas, le broché est un semis de fleurs que l’on avait à tort interprété, dans les dépouilles de Versailles, comme un élément hétérogène intégré au fil des réparations du XIXe siècle, sans l’avoir mis en relation avec celui qui est utilisé en périphérie de la couverture de la banquette de Compiègne. Pourtant, le dessin du semis est le même, tout comme le jeu des couleurs des différentes fleurs, l’espacement entre les motifs, la finesse qui donne l’illusion d’une broderie. Autrement dit, le soyeux avait suivi un principe identique.

Le broché pouvait donc être retissé, mais sur quel périmètre ? Comparaisons avec les deux premiers meubles livrés pour Marie-Antoinette et essai dans le cabinet même, avec un coton imprimé au motif, décidaient de son usage pour les draperies de l’alcôve, les rideaux des croisées, les dos des fauteuils et des coussins. Les dépouilles indiquaient parfaitement le raccord du motif. Restait l’enquête chromatique.

Dans les plis du tissu

Afin de laisser le moins de part à la subjectivité, celle-ci a été menée par le laboratoire expert en colorimétrie Datacolor, à Gand, à partir des fils des dépouilles conservés à l’abri de la lumière dans les plis. Les spectres définis ont été comparés à d’autres tissus du XVIIIe siècle et aux photographies du meuble de Compiègne. La première étape a été le tissage, par la maison Tassinari & Chatel (Lelièvre) en charge du marché, du pou-de-soie parme-lilas dont le ton exact, variant selon les fils de chaîne et de trame, a été déterminé à partir de plusieurs échantillons. L’enquête s’est portée ensuite sur les couleurs utilisées dans le semis de fleurs. Celui-ci avait été tissé à l’époque avec des jeux d’ombre dans les pétales et dans les feuillages afin d’en rendre encore plus naturel l’effet. Là encore, à partir des coloris choisis, les essais de tissage ont permis de vérifier la conformité aux fils d’origine et le parfait équilibre d’ensemble.

Un des rideaux installés dans le cabinet de la Méridienne, avec, au premier plan, sa crête où se mêlent différents tons de vert. © Château de Versailles / T. Garnier

Il en a été de même avec les quatre largeurs de bordures, alliant vert céladon, vert jaune, vert foncé et vert prairie pour les fils de trame sur une chaîne de fond en satin de bandes crème et vert tilleul. Enfin, deux tonalités de vert et du lilas sont entrés dans la réalisation de la passementerie dont la crête était indiquée par les photographies anciennes.

Après des mois de dialogue entre les conservateurs du château de Versailles et les maisons Tassinari & Chatel, pour le tissage, et Declercq Passementiers, le résultat est spectaculaire. Il témoigne tout autant du goût raffiné de la souveraine – alliant le parme-lilas à une gamme de verts tendres initiant une véritable mode – que de l’inventivité et de la technicité du soyeux Desfarges. L’éloge doit aussi de nos jours s’adresser aux maisons Tassinari & Chatel et Declercq Passementiers, pour la production, et Sébastien Ragueneau, pour la pose, qui ont su faire preuve d’une virtuosité égale à celle de leurs prédécesseurs.

Élisabeth Caude,
conservateur général, directrice du musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, précédemment en charge à Versailles de cette restitution.

 

1 Garniture textile d'un ensemble mobilier.

2 Fragments de textile.

3 Kunstgewerbemuseum Berlin.

 

La restitution des tissus du cabinet de la Méridienne a été financée grâce à la Société des Amis de Versailles, qui avait déjà rendu possible la restauration architecturale achevée en 2015. Ce mécénat a été permis grâce à la générosité de nombreux donateurs et au legs de Madame Françoise Estrade.


À LIRE ÉGALEMENT :

« Les petits secrets du cabinet de la Méridienne », par François Appas

« Le réveil de la Méridienne », par Elsa Martin

MOTS-CLÉS