Quartiers d'été

Chaque année, au début de la belle saison, se déroule un étonnant ballet au pied du parterre du Midi : celui des engins qui sortent, un à un, les 1500 arbres protégés des rigueurs de l’hiver dans la somptueuse Orangerie de Versailles. Un moment bien particulier de la vie du Château.

L'intérieur de l'Orangerie durant la sortie des arbres. © EPV / Christian Milet.

À l’intérieur de l’édifice règne une humidité teintée d’amertume : le parfum entêtant des oranges, tombées au sol et légèrement confites. Le tapis de feuilles mortes trace un chemin entre les alignements de caisses, petites et grandes, disposées en six rangées de part et d’autre. Soudain, un rouge-gorge émet une longue vocalise qui résonne contre les hauts murs. Dans la pénombre qu’accentue la couleur des feuillages, les bigaradiers et autres orangers, mais aussi grenadiers, lauriers-roses et palmiers sortent d’un long sommeil, interrompu par le va-et-vient incessant des tracteurs qui viennent les extirper pour les sortir au soleil.
Ils ont l’air un peu chagrinés, de leur tête souvent chauve aux bois tourmentés. L’air du printemps va les revigorer. « Nous sommes impatients de les sortir pour qu’ils puissent renouveler leur feuillage et fleurir dès le mois de juin en exhalant leur délicieux parfum », explique Éric Quénéa, responsable de l’Orangerie au sein des équipes des jardiniers de Versailles.

Les arbres tout juste sortis de l'Orangerie et disposés selon des lignes strictes. © EPV / Christian Milet.

Un lieu d’exception pour une véritable collection végétale

Louis XIV et sa cour raffolèrent des essences de ces Citrus à l’aspect, de surcroît, très décoratif. Ils se parfumaient de l’eau de leurs fleurs délicates, dont les effluves embaumaient les couloirs du Château. C’est pour ces sujets pleins de caractère que le Roi-Soleil fit réaménager par l’architecte Jules Hardouin-Mansart, entre 1683 et 1685, une splendide Orangerie, selon des dimensions tout à fait inédites à l’époque, avec une galerie centrale longue de plus de 150 mètres, dont la voûte culmine à plus de 13 mètres. Sa situation, en contrebas du parterre d’Eau, avec une exposition au sud, abritée des vents et des murs jusqu’à 5 mètres d’épaisseur, garantit la stabilité de la température ambiante. Elle réunit encore aujourd’hui une véritable collection végétale, entretenue comme au temps des rois.

Élévation de la Façe de l'orangerie de Versailles / Élévation d'un des costés en aile de l'orange[ri]e de Versailles / Élévation de la balustrade des deux entrées de [l'o]rangerie de Versailles, dessinées par Jules Hardouin-Mansart, 1688. © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin

Au printemps, celle-ci est sortie et déployée à l’extérieur sur le grand parterre de pièces coupées de gazon. Les arbres sont disposés, sur près de 3 hectares, selon un dispositif immuable, fixé par un plan datant de 1720, où le dessinateur Jean Chaufourier indique leur position. Un traçage au plâtre permet de les déposer de manière régulière autour des six compartiments qui forment le parterre. Cela fait plus de trois cents ans que sont ainsi répétés, à l’arrivée des beaux jours, les mêmes gestes pour charger, transporter et décharger chacune des pièces dont certaines pèsent jusqu’à 4 tonnes. Un « fardier » est alors nécessaire. Le Nôtre aurait eu l’idée d’emprunter ces véhicules dotés de plateaux bas, habituellement utilisés pour le transport des canons.

Mise en scène

Les jardiniers de Versailles s’affairent durant une quinzaine de jours pour sortir l’ensemble des caisses, puis il faut encore caler avec précision chaque élément de l’immense décor que les visiteurs pourront admirer depuis la terrasse du Midi. Ils s’en approcheront en descendant les Cent-Marches, et déambuleront parmi des spécimens parfois très anciens. On raconte que « le Connétable » y aurait vécu plus de quatre siècles !

© EPV / Christian Milet

Puis, on veillera au bon épanouissement des plantes, avec un « bassinage » régulier durant les fortes chaleurs. « Cette douche sur le feuillage leur fait le plus grand bien, tout en repoussant les cochenilles et les pucerons », explique Éric Quénéa, qui accompagne la pousse inéluctable de ces vénérables sujets. « C’est toute une mise en scène dont nous prenons grand soin en nous fiant à notre œil, l’œil du jardinier. Nous recherchons des proportions idéales : sur la hauteur totale des arbres, 1/3 pour la caisse elle-même, 1/3 pour le tronc et 1/3 pour la frondaison. Tout en laissant un peu de liberté, c’est leur aspect baroque, avec leurs branches tortueuses, qui est intéressant. Cette fantaisie contrebalance la rigueur des lignes du parterre ». Mettre en valeur les plantes en bordure de surfaces simples et uniformes comme les gazons a toujours été la fonction de ces « parterres d’orangerie ».

Dans le même temps, il s’agira de maintenir, à travers la taille de chacun des sujets, une vision d’ensemble équilibrée. « J’adore faire en sorte de placer les plus beaux spécimens du moment sur le passage des visiteurs afin de leur faire profiter au mieux de ces merveilles », confie le jardinier auquel échappera néanmoins une chose : l’apparition désordonnée et inattendue des fleurs, généreux cadeau de la nature.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles.

© EPV / Christian Milet

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