La restauration de la pendule en ivoire du château de Versailles permet de s’émouvoir d'imperceptibles traces : celles laissées par le travail du roi Louis XV qui a lui-même participé à la fabrication de l’objet.

Détail de la cassolette brûle-parfum qui surmonte la pendule en ivoire du château de Versailles. © CREOD

Ce sont de minuscules fleurs qui forment une ronde le long d’un ruban de papier. Mais aussi des baguettes torsadées, soigneusement disposées les unes à côté des autres, et plusieurs cadres dotés de perles d’une grande finesse. Cette pendule en ivoire, une fois son mécanisme ôté, s’est laissée démunir de tous ses ornements. Juste à côté d’elle, une autre pendule, très similaire, mais plus petite et blanche, s’offre aussi dans l’intimité de ses atours : elle a été gracieusement prêtée pour une étude comparative. Autour d’elles, ce matin d’hiver, tournent deux messieurs, pleins d’attention. Le premier, Sébastien Evain (atelier CREOD), a été chargé de la restauration de la pendule du Château. Le second, William Iselin, s’est porté mécène, par l’intermédiaire de la Société des Amis de Versailles, de cette opération spectaculaire. L’expert américain de meubles XVIIIe est basé à Londres. Il sort tout juste de l’Eurostar pour venir assister au rapprochement des deux sœurs.

Les cages des deux pendules démontées. © CREOD

Une passion princière pour les ivoires tournés

Détail de la paroi latérale du cabinet de la pendule en ivoire. © CREOD

Le restaurateur et l’expert se félicitent de pouvoir ainsi comparer de visu les deux pièces entièrement démontées qui sont, il faut d’emblée le signaler, d’une extrême rareté. Celles-ci illustrent l’engouement dans les cours européennes, à partir de la fin du XVIe siècle, pour les ivoires dits « tournés » (c’est-à-dire sculptés à l’aide d’un tour). À cette époque, grâce au développement du trafic maritime, l’ivoire est de plus en plus facilement importé d’Afrique et de Ceylan tandis qu’est mis au point l’art du tour. Les souverains s’en emparent, séduits par l’habileté à la fois manuelle et intellectuelle que cette activité exige. Ils en font même un objet d’apprentissage où interviennent les mathématiques et la géométrie et où est éprouvée la patience. En Italie, en Bavière, au Danemark et en Russie s’exercent ainsi les jeunes princes.

On sait que Louis XV se passionna pour cet art difficile et plein d’écueils. Pour preuve, cette pendule du château de Versailles dont il tourna l’ivoire vers 1770, à la fin de sa vie. Avec ses parois ajourées flanquées de colonnes cannelées, celle-ci témoigne magnifiquement de la technique du « mosaïqué » qui consiste à faire de la plaque d'ivoire une véritable dentelle. Enthousiaste, Sébastien Evain insiste sur le tour de force accompli.

Détail d'une colonnette. © CREOD

Les efforts d’un roi

Le restaurateur s’attendrit néanmoins sur les petites imperfections qui donnent d’autant plus de valeur à cet ouvrage insigne. Il pointe les percements préparatoires, légèrement plus larges que les canaux définitifs des colonnettes, les éraflures de la scie, les coups de lime, témoins émouvants du travail du monarque. L’autre pendule ne montre pas les mêmes traces et atteste, par la surface parfaitement lisse de l’ivoire, d’une maîtrise caractéristique d’une époque plus tardive, celle de Louis XVI. Elle comporte cependant beaucoup d’éléments semblables que Sébastien Evain et William Iselin passent en revue. Le traitement des colonnes, aux faisceaux torsadés, finit de les persuader que cette pendule - surmontée d’une corbeille de fleurs - a probablement été fabriquée en référence à celle - couronnée d’une cassolette brûle-parfum - de Louis XV, ce qui plonge les deux hommes dans le ravissement.

La lumière de l’ivoire, et celle du bronze doré

Elle ne possède pas, en revanche, les bronzes dorés qui enrichissent la pendule du roi : enchâssant l’ivoire au creux de ses reliefs, ces ornements subliment l’objet de leurs reflets. « La dorure du bronze doit éclairer l’ivoire, et inversement. C’est tout un jeu de lumière qu’il faut retrouver à travers leur restauration. », précise Sébastien Evain qui a eu très peu d’occasions de travailler sur de tels objets, si rares. Rompu à la restauration du bois, dont les cernes et les veinages apportent de nombreuses informations sur les meubles, il s’est heurté, raconte-t-il, au silence de l’ivoire, matière pure et compacte, que seules les hésitations d’un roi ont pu, un tant soit peu, faire parler.
La restauration de la pendule, qui se trouve depuis de nombreuses années en réserve, a été programmée par Hélène Delalex, conservateur en charge de la collection, en vue de sa présentation dans l’exposition Louis XV qui se tiendra durant l’automne. L’objet sera ensuite installé dans les cabinets intérieurs de la Reine, au deuxième étage du Château. Aucun élément ne manquait, à son arrivée à l’atelier, sauf une rosace de son soubassement : Sébastien Evain s’apprêtait à la restituer quand il l’a retrouvée, coincée dans le mécanisme ! Cette pendule a vraiment tout d’une souveraine.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

L’étude de la pendule en ivoire du château de Versailles a été possible grâce au mécénat de la SARL Pascal Izarn.
Sa restauration a bénéficié du mécénat de la société Iselin Art Advisory Ldt par l’intermédiaire de la Société des Amis de Versailles.

Soubassement de la pendule en ivoire, avec ses rosaces, du château de Versailles. © CREOD


À ÉCOUTER

« Le temps à Versailles : l'histoire secrète des pendules du Château », dans un nouveau parcours audio à télécharger sur l'application mobile onelink.to/chateau.


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Le portfolio de Nicolas Lascourrèges sur les pendules de Versailles


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