Rideau de manœuvre ou d'avant-scène ? Raphaël Masson nous raconte l'histoire complexe d'un ancien rideau impérial qui, maintes fois, se leva au théâtre de la Reine.

Le théâtre de la Reine doté de son nouveau rideau d'avant-scène. © Thomas Garnier

À la Révolution, le théâtre de la Reine subit le sort qui frappe l’ensemble de Versailles : son mobilier et ses tentures sont dispersés aux enchères tandis que les décors de scène sont transportés à Paris. Le rideau d’avant-scène, « en gros de Tours bleu orné de dorures en clinquant », qui s’ouvrait à la française, en deux parties, est lui aussi vendu. Lorsque, une quinzaine d’années plus tard, Napoléon décide de faire remettre la salle en état, un nouveau rideau est alors confectionné à partir de toiles vraisemblablement récupérées dans les anciens magasins des Menus-Plaisirs. Si la couleur de son fond nous échappe encore, on sait néanmoins que ce rideau impérial s’ornait d’un semis de 270 abeilles « en rehaussé d’or », que le peintre décorateur Cicéri fut chargé de transformer en fleurs de lys après la chute de l’Empire.

Bleu, puis rouge, puis à nouveau bleu

Louis-Philippe ordonne à son tour une réfection générale du théâtre et modifie la tonalité de la salle : de bleue, celle-ci devient rouge. C’est à ce moment que l’ancien rideau impérial est très probablement décroché, puis lavé pour en faire disparaître la peinture, et rangé. Pour s’accorder à la nouvelle teinte de la salle, un rideau d’avant-scène neuf en toile d’Alençon est, en effet, commandé, peint en imitation d’une riche draperie damassée et rehaussée d’or. Cependant, la scène doit être aussi dotée d’un rideau dit « de manœuvre ». Placé en retrait du premier, celui-ci sert, au cours de la représentation, à masquer les changements de décor effectués sur la scène1. Pour des raisons d’économie et de rapidité, il est décidé de ressortir l’ancien rideau impérial, qui avait l’avantage d’être déjà taillé aux dimensions du cadre de scène, et de le faire repeindre, à nouveau par Cicéri. Celui-ci réalise une composition en trompe-l’œil représentant un rideau bleu avec faux plis et imitation de motifs damassés, doté d’une riche bordure feinte, rehaussée de cuivre doré. Décor neuf, donc, mais sur un vieux support. Et lorsqu’un siècle plus tard, en 1936, une restauration générale du théâtre détruit les aménagements de Louis-Philippe pour revenir à la configuration d’origine de la salle, de rouge, celle-ci redevient bleue. Il n’est donc plus possible de conserver le rideau rouge à l’avant-scène, et c’est donc le rideau bleu qui prend sa place.

Antoine Fontaine, chargé de la confection du nouveau rideau, copie au calque – comme au XIXe siècle – les motifs du rideau original pour les reporter ensuite sur la toile moderne. © Thomas Garnier.

Une copie à l’identique en guise de protection

L’accord avec la tonalité originelle est suffisamment convaincant pour que les restaurations suivantes ne reviennent pas sur ce choix. Toutefois, l’extrême fragilisation du rideau, confectionné à partir de toiles du XVIIIe siècle, plusieurs fois repeint ensuite, a, au début de l’année 2020, nécessité une intervention destinée notamment à fixer sa couche picturale, devenue très pulvérulente. L’état général de l’ensemble, sans être catastrophique, montrait clairement que le rideau était arrivé en bout de course et qu’il devenait difficile de continuer à le manipuler sans provoquer de dommages irréversibles à la peinture, qui risquait de devenir totalement illisible. Les frottements provoqués par la pliure en portefeuille lorsque le rideau était levé avaient, à la longue, entraîné la quasi-disparition des motifs en partie haute et basse. C’est la raison pour laquelle il a été décidé de mettre un terme à cette inéluctable destruction en déposant le rideau original, désormais soigneusement roulé dans les dessous du théâtre, et en le remplaçant par une copie2 exécutée exactement comme elle l’aurait été au XIXe siècle.

Raphaël Masson,
Conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon,
chargé de la recherche appliquée aux collections et de la conservation des théâtres.

1. Le rideau d’avant-scène s’ouvrant, lui, au début du spectacle pour ne se refermer qu’à la fin.
2. Lire « Un rideau se lève au théâtre de la Reine », par Lucie Nicolas-Vullierme.

Touche finale : le « clinquant ». Il s’agit d’une application de feuilles de cuivre doré sur un mélange de cire d’abeille, de térébenthine de Venise et d’huile de lin, destinée à souligner certains motifs. © Thomas Garnier.


À SUIVRE

La visite guidée Les effets scéniques au théâtre de la Reine au domaine de Trianon,
prochaines séances les 27/01, 09/02, 19/02, 18/03 et 25/03/2002


À LIRE

L'article de Raphaël Masson sur la Brigade de Versailles

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