Chantier de géants

L’un pour l’Architecte en chef des monuments historiques Frédéric Didier, l’autre pour la Direction du Patrimoine et des Jardins du château de Versailles, ils ont suivi au plus près le chantier de restauration de la Chapelle royale. Thomas Clouet, architecte du patrimoine, et Stéphane Masi, conducteur d'opérations, nous racontent cette véritable épopée à laquelle ont été associés des artisans d’excellence.

Deux « compagnons » restaurant l’une des gargouilles de la Chapelle. © EPV / Didier Saulnier

Vous êtes à la tête de ce grand chantier de restauration depuis ses débuts, fin 2017. Que ressentez-vous alors que les travaux se sont achevés ?

Th. C. Ça a été un moment paradoxal. Nous avons redécouvert un monument splendide, qui était resté enfoui durant plus de trois ans sous les bâches, et qui a ressurgi, encore plus beau. Mais a rôdé aussi la crainte de voir apparaître, au fur et à mesure de la dépose des échafaudages, quelque chose qui nous aurait échappé…

S.M. Impliqué dans le projet dès le lancement des premières études, en 2013, j'ai vu se clore avec fierté ces années passées au chevet de la Chapelle royale. J'ai été très soulagé que cela se termine sans encombre et savoure cette redécouverte du monument, notamment au lever et au coucher du soleil, quand les dorures de sa toiture – qui avaient disparu depuis longtemps – brillent dans le ciel.

La Chapelle royale émergeant des échafaudages à la fin du chantier. © EPV / Didier Saulnier

Et les nombreux artisans qui sont intervenus sur cette restauration ?

S.M. Ils sont tous très heureux d’avoir participé à ce chantier unique, y compris les entreprises habituées à des travaux d’une telle ampleur, notamment les couvreurs et les métalliers. Quant aux sculpteurs, ils ont maintes fois témoigné de leur émerveillement devant la qualité du travail de la pierre sur ce monument.

Th. C. Les charpentiers se sont vu confier un ouvrage tout à fait hors du commun, construit selon une structure traditionnelle en usage depuis le Moyen Âge, mais avec des sections de poutre faramineuses. Serge Vivier, qui travaille chez Aubert Labansat depuis pourtant vingt ans, parle du « chantier de sa vie » pour lequel lui a d’ailleurs été décernée la Médaille de la Compagnie des Architectes en chef des Monuments Historiques.

© EPV / Didier Saulnier

Sur ce chantier gigantesque, qui s’est déployé à plus de 50 mètres de hauteur et sous un « parapluie » de 1 400 m², les conditions d’intervention ont été particulières…

Th. C. Elles ont exigé une coordination étroite entre les corps de métier afin qu’ils ne se gênent pas entre eux, en particulier pour la restauration des fenêtres et celle de la charpente, dont l’encombrement compliquait les mouvements. De manière très inhabituelle, c’est la toiture de l’édifice qui a imposé le rythme du chantier, et non pas les façades. La superposition d’éléments complexes – trois niveaux de poutraison, ardoises et multiples ornements en plomb – rendait encore plus cruciale la question de l’étanchéité, au-dessus, rappelons-le, d’œuvres inestimables, peintes à l’intérieur sur les voûtes par des artistes célèbres.

Dorure des ornements en plomb tout en haut de la Chapelle royale. © EPV / Didier Saulnier

S. M. Les artisans nous ont été reconnaissants de la qualité des installations que nous avons su adapter au fil des circonstances : un ascenseur sur toute la hauteur de l’édifice, deux palans permettant de déplacer les matériaux sur la longueur du bâtiment, des passerelles d’accès remaniées en fonction des besoins, ainsi qu’une bâche renforcée pour que les doreurs, notamment, puissent œuvrer sereinement, à l’abri du froid et de la poussière.

Soulèvement simultané des chevrons de la charpente en vue de remplacer les sablières et autres éléments affectés par les infiltrations d’eau.© EPV / Didier Saulnier

Ces hommes de l’art, rompus aux monuments historiques, en quoi vous ont-ils impressionnés ?

Th. C. Tout d’abord, précisons qu’il s’agit d’entreprises très structurées, avec de nombreuses personnes à l’œuvre derrière celui qui travaille en haut des échafaudages…

S. M. On devrait parler de « compagnons » plutôt que d’artisans. Ils étaient, à certains moments, plus de 80 sur le site ! Moi, j’ai surtout été frappé par leur calme, leur sérénité, dans des moments parfois décisifs. Je pense au démontage et à la repose des ornements en plomb, dont certains pesaient plus d’une tonne (anges des groupes sculptés). Je me souviens aussi du soulèvement de l’ensemble de la charpente contre des IPN métalliques à l’aide de vérins. Tout cela a été mené avec une maîtrise époustouflante, sans un mot au-dessus de l’autre.

Th. C. En effet, l’ambiance est restée cordiale jusqu’à l’étape des finitions – quand habituellement les nerfs craquent – et c’est rare !

Restauration en cours des bas-reliefs de la façade de la Chapelle royale. © EPV / Didier Saulnier

Et au-delà des défis techniques ?

Th. C. Bien sûr, interviennent la main du maître verrier ou celle du sculpteur et leur sensibilité artistique. Ce qui m’a le plus marqué, c’est le long processus de restauration et de restitution des bas-reliefs au-dessus des baies des tribunes. Depuis leur modelage pour obtenir des tirages en plâtre jusqu’à leur patinage, en passant par la pose de pierres neuves et l’insertion de greffes dans les parties conservées, j’ai suivi cette métamorphose pas à pas. Remonter ou pas une lèvre, insérer ou non une boucle de cheveux, couler plus à droite un regard… Ce fut un véritable jeu des sept erreurs entre les photographies anciennes dont nous disposions et les bas-reliefs, bien réels, des parois ! Une réflexion qui exige une grande culture historique et esthétique de la part du sculpteur.

S. M. Une culture que l’on perçoit très bien chez tous ces hommes de l’art, ne serait-ce qu’à travers leur façon de s’exprimer et leurs références…

Présentation de l’une des bordures colorées ornant les hautes verrières de l’édifice. © EPV / Didier Saulnier

En quoi ce chantier a-t-il participé à la préservation des savoir-faire ?

S. M. La taille du monument nécessitait beaucoup de bras, ce qui a permis aux entreprises d’embaucher des apprentis et de les faire travailler auprès de personnes plus âgées et expérimentées.

© EPV / Didier Saulnier

Th. C. La Chapelle royale a aussi pour caractéristique de présenter des motifs répétés tout au long de ses façades, comme les verrières et leurs menuiseries métalliques. Une aubaine pour montrer à un jeune le travail à effectuer, et le faire progresser au fil de chaque ouvrage.

Quels ont été les moments les plus difficiles pour vous ?

S. M. La bâche, recouvrant un édifice particulièrement exposé aux vents, m’a fait passer quelques nuits blanches (rires) ! Fort heureusement, nous avons eu des hivers plutôt cléments. Les échafaudages étaient conçus pour résister aux assauts les plus violents, mais j’avais sans cesse en tête la catastrophe de la tempête de 1999. Mais le moment le plus dur a été indubitablement ce jour funeste du 15 avril 2019, quand Notre-Dame a été assaillie par les flammes. Dès les premières images, je me suis trouvé projeté dans le drame, d’autant plus que certaines entreprises avec lesquelles nous travaillions sur la Chapelle intervenaient parallèlement sur la cathédrale de Paris.

Et les plus heureux ?

Th. C. Ce furent plein de petits moments de bonheur, captés au fil du chantier, souvent à travers des détails. Et puis le contraste, tant attendu, entre le bleu ardoise de la toiture et les dorures de ses ornements !

S. M. Voir s’en aller, comme des enfants quittant le nid familial, les anges en plomb pour leur restauration chez Socra, puis les voir revenir. Leur transfert a demandé une très lourde organisation, depuis la mise en place d’une grue de 110 tonnes pour les transporter jusqu’au choix du jour J, où nous devions prendre le risque de retirer une partie du parapluie de protection. Ces anges n’avaient pas bougé depuis l’édification de la Chapelle, et leur retour a été, pour moi, l’apogée de ce chantier titanesque qui, aujourd’hui terminé, commence déjà à me manquer !

Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

Retour des anges en plomb restaurés, recouverts d’une peinture de protection avant leur dorure, une fois réinstallés à leur emplacement d’origine. © EPV / Didier Saulnier


Les entreprises du chantier de la Chapelle

Layher (échafaudages) ; H. Chevalier (maçonnerie-pierre de taille) ; groupement Tollis /Art graphique et Patrimoine (sculpture, restauration de sculptures en pierre) ; Socra (restauration de sculptures en plomb) ; Aubert Labansat (charpente) ; SAS Le Bras Frères (couverture, décors en plomb) ; Vitrail France (vitraux) ; Ateliers Saint-Jacques (menuiserie métallique, serrurerie) ; Ateliers Gohard (peinture, dorure) ; Spie (électricité) ; Amiante Services (désamiantage, déplombage).


À SUIVRE

La visite guidée «La Chapelle royale restaurée».
Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr


À VOIR AUSSI :

Et retrouvez toutes les étapes de la restauration de la Chapelle royale sur le site Internet du Château : chateauversailles.fr/chapelle-royale

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