Redorure
en cinq temps

La restauration de l’appartement du Dauphin est en cours.
En rez-de-jardin, en plein cœur du château de Versailles, c’est l’un des plus prestigieux de l’ancienne résidence royale. Qui dit prestige dit or, selon toutes ses subtilités.

Application de la feuille d'or sur une boiserie du grand cabinet du Dauphin à l'issue de la préparation du support.
© © EPV / Didier-Saulnier

Parmi les trois pièces qui composent cet appartement, les boiseries sculptées de la chambre et du grand cabinet du Dauphin étaient entièrement dorées. Orientées à l’ouest et au midi, à l’angle du corps central du Château, elles étaient inondées d’une lumière qui les faisait briller de tous leurs feux. En partie supprimées lors de la transformation, au XIXe siècle, du château en musée, les boiseries du Grand Cabinet viennent d’être restaurées avant de passer entre les mains des doreurs.

Différentes étapes de préparation en vue de la pose des feuilles d'or : apprêt, assiette jaune, assiette rouge. © EPV / Didier-Saulnier

« Apprêt » et « assiettes »

La dorure, Marie-Caroline Bardy la connaît sur le bout des doigts. Elle a commencé sa carrière dans les ateliers et, en tant que chargée d’opérations au sein de la direction du Patrimoine et des Jardins du château de Versailles, supervise aujourd’hui ce chantier dont la dorure est réalisée par l’entreprise Mériguet-Carrère.
La jeune femme nous emmène volontiers sur place où elle ne se fait pas prier pour montrer la délicatesse de ce travail d’orfèvre à travers les moindres replis de la boiserie sculptée. La voici déjà énumérant les multiples strates invisibles qui viennent d’abord couvrir les ornements.
Entre huit et dix couches liquides, faites à partir de Blanc de Meudon et de colle de peau de lapin, forment l’apprêt sur lequel vont ensuite être posées des « assiettes » dans le but ultime de « contenter l’œil ».

Ces mélanges de terre argileuse préparent la surface où sera appliquée la feuille d’or qu’elles attireront à elles une fois que celle-ci sera mouillée. C’est la technique de la détrempe, plus technique et coûteuse que celle de la mixtion (qui a recours à des vernis collants), et qui exige une grande maîtrise. Le doreur doit contrôler ses gestes à travers son souffle et ses appuis. Il doit aussi gérer minutieusement son temps pour éviter que sèche l’eau sous la feuille d’or. Cette technique s’impose pour un tel endroit - l’un des plus proches de l’intimité du Roi - sauf pour la corniche du plafond qui est réalisée avec la technique de la dorure à la mixtion, sinon l’eau tomberait…sur la tête de l’artisan !

Jouer avec le soleil

L’assiette de couleur jaune est appliquée partout, notamment dans les creux où se cassent les feuilles d’or qui recouvrent avant tout les parties saillantes, moulures et voussures, où est ajoutée l’assiette rouge. Par son omniprésence, appliquée en trois couches, celle-ci exaltera, par son ton chaud, les reflets de l’or. En transparence se discernent les « yeux » de la colle de lapin, repères précieux pour le doreur : pas question d’empâter ces ornements sublimes !
Marie-Caroline attire l’attention sur les infimes reliefs du bois que le remodelage de l’apprêt a pu restituer. De précédentes campagnes de décapage avaient effacé cette étape de « reparure », quand le doreur vient compléter le travail du sculpteur sur bois et accentue certains galbes ou la nervosité des lignes, propres à chaque style, qui favoriseront les effets de lumière sur les feuilles d’or.

Brunissage des feuilles d'or, ici à l'aide d'une "dent de loup". © EPV / Didier-Saulnier

Celles-ci étant ensuite posées, leur brunissage avec une pierre d'agate constitue, en écrasant le métal, un premier polissage. Mat au départ, l’or prend une allure plus ou moins brillante selon les endroits, travaillés avec différentes pierres, adaptées au type d’ornement. Puis une patine artificielle, à l’aide de brosses, permet de retrouver une usure comparable à celle de la chambre du Dauphin dont l’état des boiseries, mieux conservées, est pris pour modèle.

Ce n’est pas terminé ! Un jus de patine, constitué de gouache et d’eau, permet de créer, comme au XVIIIe siècle, des jeux sophistiqués de mats et de brunis dont les subtilités se dessinent au fur et à mesure de la journée, en parfaite harmonie avec la course du soleil.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

© EPV / Didier-Saulnier

 

La restauration du grand cabinet du Dauphin est réalisée grâce au mécénat de Baron Philippe de Rothschild S.A.

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